Contexte, montages financiers et genèse du contentieux
DGSE - Wikimédia Commons
Alain Duménil, ancien banquier ayant hérité de la banque familiale Duménil-Leblé, s’est reconverti dans l’immobilier, l’industrie, puis le luxe. Dans les années 2000, il acquiert plusieurs marques de mode ou maroquinerie via son groupe. Parallèlement, la DGSE dispose d’un « patrimoine clandestin », des fonds secrets historique, géré hors budget public, théoriquement destiné à assurer la continuité de l’État en cas de crise majeure. Une partie de ce patrimoine aurait été investie à travers le temps dans des entreprises civiles, notamment dans le luxe. C’est dans ce cadre que la DGSE, via ses fonds secrets, aurait détenu des parts dans un groupe de luxe, le France Luxury Group (FLG). En 2002, Duménil reprend la majorité capitalistique de ce groupe : selon certaines sources, il acquiert l’essentiel du capital, via la société Alliance Designers, en échange de la cession par la DGSE de ses parts. Au moment de l’opération, la participation de la DGSE, minoritaire, est estimée à environ 14,86 %, pour une valeur de 10,8 millions d’euros. L’idée avancée alors : relancer le groupe de luxe, redresser les marques, valoriser l’actif. Mais les choses tournent mal : plusieurs entités du groupe connaissent des difficultés, les déconvenues s’accumulent, la conjoncture du luxe pèse, et finalement des sociétés du groupe déposent le bilan ou se retrouvent en grande difficulté.
Quand le groupe sombre, la DGSE, ou du moins ce qui la représente dans ce dossier, considère que l’opération a été mal gérée, voire qu’il y a eu un usage abusif, une mauvaise foi, ou un détournement de fonds. Duménil, de son côté, affirme avoir opéré dans la légalité, ignoraient selon lui la nature exacte des fonds, et avoir injecté des capitaux personnels pour tenter de maintenir le groupe à flot. Ce montage, un service secret investissant des fonds d’État dans le privé via un homme d’affaires, pose une question de fond : la traçabilité du “patrimoine clandestin”, son usage, ses rendements, sa supervision. L’absence de transparence sur ces opérations rend le contrôle externe très difficile, et expose l’État à des pertes financières lourdes non rendues publiques. De surcroit des investissements dans du non coté rend le capital illiquide. Quid si une crise majeure apparaissait avec la nécessité de récupérer les fonds ? Ainsi naît un litige ancien, complexe, mêlant finances opaques, responsabilité d’État, intérêts privés, faillite d’entreprise et soupçons de mauvaise gestion.
Quand le groupe sombre, la DGSE, ou du moins ce qui la représente dans ce dossier, considère que l’opération a été mal gérée, voire qu’il y a eu un usage abusif, une mauvaise foi, ou un détournement de fonds. Duménil, de son côté, affirme avoir opéré dans la légalité, ignoraient selon lui la nature exacte des fonds, et avoir injecté des capitaux personnels pour tenter de maintenir le groupe à flot. Ce montage, un service secret investissant des fonds d’État dans le privé via un homme d’affaires, pose une question de fond : la traçabilité du “patrimoine clandestin”, son usage, ses rendements, sa supervision. L’absence de transparence sur ces opérations rend le contrôle externe très difficile, et expose l’État à des pertes financières lourdes non rendues publiques. De surcroit des investissements dans du non coté rend le capital illiquide. Quid si une crise majeure apparaissait avec la nécessité de récupérer les fonds ? Ainsi naît un litige ancien, complexe, mêlant finances opaques, responsabilité d’État, intérêts privés, faillite d’entreprise et soupçons de mauvaise gestion.
Le bras de fer : pressions alléguées, plainte, mise en examen et procès
Quand le groupe s’effondre, la DGSE réclame le remboursement des sommes investies. Selon la version de Duménil, la demande de remboursement en 2016 ne se serait pas limitée à un courrier, mais aurait pris la forme d’une interception à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle Airport, le 12 mars 2016 : des agents se seraient présentés comme appartenant à la DGSE, l’auraient emmené dans un local pour un “entretien”, et exigé le versement immédiat de 15 millions d’euros. Duménil affirme que ces agents lui ont montré des photos de sa famille, prises à son insu, comme moyen de pression, lui imposant une “date butoir” pour le remboursement. Il a aussitôt porté plainte pour tentative d’extorsion et atteinte à la liberté individuelle. La DGSE, ou du moins ses défenseurs, ont contesté la qualification de “racket”, arguant qu’il s’agissait d’un “entretien de recouvrement” dans le cadre d’un contentieux, non d’une pression illégale. Mais face aux éléments présentés, témoignage de Duménil, rapport interne évoquant la demande de remboursement, reconnaissance partielle de l’opération par un ancien directeur, la justice a engagé des poursuites.
En 2022, Bernard Bajolet, ancien directeur général de la DGSE (2013–2017), a été mis en examen pour complicité de tentative d’extorsion et atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique. En 2025, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Bobigny dans ce dossier.Par ailleurs, l’affaire a remis en lumière une réalité peu connue : le “patrimoine clandestin” de la DGSE n’est soumis à aucun contrôle public sérieux. D’importants acteurs institutionnels chargés de la vérification des fonds secrets avaient eux-mêmes démissionné, affirmant l’impossibilité de contrôler un tel patrimoine. Le procès en cours marque un tournant : pour la première fois, un ancien patron de la DGSE est jugé en relation avec l’usage de ces fonds, l’investissement d’État dans le privé, et des méthodes de recouvrement contestées mêlant finances, secret-défense, pression et justice pénale.
En 2022, Bernard Bajolet, ancien directeur général de la DGSE (2013–2017), a été mis en examen pour complicité de tentative d’extorsion et atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique. En 2025, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Bobigny dans ce dossier.Par ailleurs, l’affaire a remis en lumière une réalité peu connue : le “patrimoine clandestin” de la DGSE n’est soumis à aucun contrôle public sérieux. D’importants acteurs institutionnels chargés de la vérification des fonds secrets avaient eux-mêmes démissionné, affirmant l’impossibilité de contrôler un tel patrimoine. Le procès en cours marque un tournant : pour la première fois, un ancien patron de la DGSE est jugé en relation avec l’usage de ces fonds, l’investissement d’État dans le privé, et des méthodes de recouvrement contestées mêlant finances, secret-défense, pression et justice pénale.
Ce que révèle l’affaire : fragilité, opacité et crise de légitimité d’un service de l’Etat
L’affaire Duménil jette une lumière crue sur les contradictions d’un modèle : un service secret investi dans des affaires commerciales, avec des fonds publics cachés, sans transparence réelle, sans contrôle démocratique, et finalement incapable d’assurer ses arrières lorsque les choses tournent mal. L’échec du montage, la banqueroute, la perte d’actifs, la chute financière tout cela montre que la DGSE, malgré ses moyens, peut être victime de ses propres excès. En principe un service de renseignement est bien renseigné et un service spécial dispose des moyens suffisants pour exercer des pressions persuasives. Mais finalement, la DGSE échoue : ni la menace, ni la pression ne suffisent à contraindre l’adversaire. L’argent ne revient pas. Pourtant, la DGSE dispose de capacités supposées supérieures : ressources humaines, moyens d’action clandestines, force de persuasion. Que ces moyens soient impuissants face à un simple litige financier expose une faiblesse structurelle : l’illusion d’un service secret omnipotent, mais une réalité d’organisation fragile, bureaucratique, soumise à ses propres incohérences. Ce contraste, entre l’image d’un service d’État capable de maniements secrets, et son incapacité à recouvrer un actif perdu interroge la crédibilité de la DGSE dans ses missions opérationnelles. Si elle ne parvient pas à gérer ses propres fonds, à contrôler des actifs, à imposer un recouvrement, comment prétendre à une efficacité dans des opérations clandestines complexes, à l’étranger, contre des acteurs hostiles, terroristes, mafieux, ou étatiques ? La DGSE est censée être le service spécial de la 7e puissance du monde.
L’affaire Duménil ne met pas seulement en lumière un contentieux financier mal géré ou les zones d’ombre d’un patrimoine clandestin mal contrôlé. Elle révèle quelque chose de beaucoup plus préoccupant : une DGSE structurellement incapable de défendre ses propres intérêts, même lorsqu’elle estime avoir été spoliée, et même lorsqu’elle dispose, en théorie, de l’un des arsenaux, opérationnels et clandestins les plus puissants de l’État français. La scène de 2016 à Roissy, les années de procédures hésitantes, les pressions maladroites, les opérations de recouvrement improvisées, tout cela montre une réalité déconcertante : un service secret qui, face à un homme d’affaires déterminé, n’a ni obtenu le remboursement qu’il réclamait, ni imposé l’autorité qu’il prétend incarner. C’est un contraste saisissant avec ce que l’on observe dans d’autres grandes agences de renseignement. Le Mossad, connu pour ses opérations extraterritoriales fulgurantes, n’aurait probablement jamais laissé traîner pendant deux décennies un contentieux financier impliquant des actifs stratégiques. La CIA, qui combine force de dissuasion, puissance légale et réseaux globaux, aurait protégé son patrimoine clandestin avec une tout autre efficacité. Le FSB, habitué à des méthodes beaucoup plus directes, n’aurait probablement pas été confronté à l’échec d’une simple opération de recouvrement. Quant au MI6, il aurait sans doute traité en amont la question de la gouvernance des fonds, pour éviter qu’un service secret se retrouve dans une situation où il doit courir après un investissement perdu. Sans cautionner les méthodes de ces services, la comparaison est implacable : nulle part ailleurs un service de renseignement n’aurait été aussi impuissant, aussi hésitant, aussi exposé.
L’incapacité de la DGSE à récupérer ses fonds, à imposer sa version, à obtenir un règlement rapide, interroge en profondeur sa culture opérationnelle. Si un service est incapable de régler un différend financier avec un citoyen franco-suisse, avec ses outils propres, comment imaginer qu’il puisse mener des opérations d’entrave efficaces contre des réseaux terroristes aguerris, des acteurs étatiques hostiles ou des organisations criminelles transnationales ?
L’incapacité de la DGSE à récupérer ses fonds, à imposer sa version, à obtenir un règlement rapide, interroge en profondeur sa culture opérationnelle. Si un service est incapable de régler un différend financier avec un citoyen franco-suisse, avec ses outils propres, comment imaginer qu’il puisse mener des opérations d’entrave efficaces contre des réseaux terroristes aguerris, des acteurs étatiques hostiles ou des organisations criminelles transnationales ?

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