La prochaine blitzkrieg : Comment Adapter les formations blindées à la guerre de demain ?

Début décembre 2024, alors que les Américains se préparaient à célébrer Noël, la 13e brigade Khartiia de la Garde nationale ukrainienne a accompli quelque chose d’extraordinaire. Opérant au nord de Kharkiv, elle a mené la première attaque entièrement robotisée de l’histoire contre des positions défensives russes, en combinant plusieurs dizaines de systèmes aériens et terrestres. Les robots ont rapidement pris les premières positions, auparavant tenues par des troupes russes surprises, mais ont dû être presque immédiatement relayés par des soldats ukrainiens pour conserver le terrain et poursuivre l’avance.
Comme l’introduction des chars durant la Première Guerre mondiale, les systèmes robotiques ont démontré qu’ils sont désormais des acteurs permanents du champ de bataille.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la pertinence future des formations blindées, à mesure que les images de chars détruits par des drones se multiplient quotidiennement depuis la guerre en Ukraine. Pour ceux d’entre nous qui commandons les forces blindées de l’armée américaine, ce conflit constitue un signal d’alarme nous obligeant à réexaminer le rôle du blindé sur le champ de bataille moderne.
C’est un moment de vérité : s’adapter ou disparaître.

Toute réflexion sur l’avenir des formations blindées doit commencer par une question simple : pourquoi existent-elles ?Pourquoi, il y a plus d’un siècle, quelqu’un a-t-il décidé de monter un canon sur un tracteur et de l’envoyer à travers le no man’s land ?
Si le rôle des blindés a évolué, les grandes tendances du siècle écoulé montrent qu’ils offrent aujourd’hui trois capacités indispensables, qu’aucun autre système ne peut fournir.

Percer des défenses préparées
Depuis son apparition, l’arme blindée vise à frapper avec vitesse, choc et puissance de feu afin de fixer, contourner ou percer les défenses ennemies. Tout bon tacticien cherchera, conformément aux enseignements de B. H. Liddell Hart, l’« approche indirecte » ; mais cela n’est pas toujours possible.
La surprise tactique est rare dans l’histoire militaire. Une fois les phases de préparation achevées, il faut bien que des unités s’approchent à portée létale et que des soldats affrontent l’ennemi pour porter le coup décisif. Les forces blindées sont uniquement configurées pour percer des défenses préparées tout en offrant une létalité maximale et une protection accrue à notre bien le plus précieux : le soldat.
Cet impératif est aussi stratégique. L’armée américaine existe pour préserver la paix en rendant la guerre inacceptable pour l’adversaire. Si un ennemi conclut, à la lumière de l’Ukraine, qu’un terrain bien fortifié est impossible à reprendre, l’équilibre dissuasif s’effondre. Une telle conviction créerait un avantage majeur au premier entrant, profondément déstabilisateur.

Saisir et tenir le terrain
Pour tenir un territoire, il faut le faire « comme les légions romaines : en mettant ses jeunes hommes dans la boue ».
C’est dans ce rôle fondamental que l’arme blindée agit aux côtés de l’infanterie. Prendre le terrain est une affaire intime. Même la guerre la plus technologique reste décidée par des soldats qui avancent, baïonnette au canon. L’histoire montre que l’infanterie l’emporte lorsqu’elle peut concentrer une puissance de feu écrasante au point décisif.
Un char Abrams embarque autant de puissance de feu qu’une compagnie d’infanterie légère, délivrée depuis une plateforme mobile protégée contre les armes légères et la plupart des tirs directs. 

Désarticuler les forces adverses
Dominer le combat rapproché impose concentration et masse, ce qui crée mécaniquement des vulnérabilités ailleurs. Les forces blindées, grâce à leur mobilité et leur capacité à combattre en mouvement, sont idéales pour exploiter ces brèches, frapper les lignes logistiques et atteindre des objectifs stratégiques.

Les fonctions fondamentales de l’arme blindée demeurent, mais le caractère de la guerre évolue rapidement.

La frappe de précision remplace le tir direct
Selon Roman Kostenko, président de la commission Défense du Parlement ukrainien, 70 % des pertes seraient causées par des frappes de drones. Les blessures par balles sont désormais marginales : Drones et artillerie dominent.
Les formations blindées devront intégrer des drones d’attaque, des munitions rôdeuses et des systèmes anti-drones multicouches, tout en conservant leur armement principal, dont le rôle évoluera progressivement.

Tuer coûte moins cher que protéger
Jamais la destruction n’a été aussi économique. Des systèmes coûtant quelques centaines de dollars peuvent neutraliser des équipements valant plusieurs millions. Les cycles d’innovation se comptent désormais en semaines. Les formations blindées survivront en s’entourant de systèmes consommables et remplaçables, mis à jour en continu.

La surveillance est omniprésente
D’ici 2030, plus de 500 milliards d’objets seront connectés. Les satellites commerciaux permettront de suivre quasiment tout mouvement terrestre. Se cacher deviendra impossible. Les forces devront apprendre à masquer signatures thermiques, optiques et électromagnétiques, et à paraître insignifiantes.

Les soldats restent indispensables
La guerre est chaotique, humaine, imprévisible. La technologie détecte et frappe, mais elle est vulnérable aux leurres et inefficace dans les environnements denses où civils, alliés et ennemis se mêlent. On ne télétravaille pas sur un champ de bataille.

Les robots ne développent pas une situation
Les robots prennent, mais ne tiennent pas. Ils tombent en panne, perdent le signal, se bloquent. 

Les humains sont irremplaçables
Les tactiques russes en Ukraine montrent ce qu’il ne faut pas faire : sacrifier des vagues d’hommes à moto face aux mitrailleuses. Les soldats compétents, formés et expérimentés sont irremplaçables. Lorsqu’ils doivent entrer dans la zone létale, ils méritent la protection maximale possible : le blindé.

La 1re division blindée américaine expérimente quatre axes majeurs :

Détecter et frapper à tous les niveaux
Arrivée du drone FPV au niveau compagnie, munitions rôdeuses au niveau peloton, intégration automatisée avec l’artillerie aux niveaux bataillon et brigade. La maîtrise du drone explosif est une compétence exigeant des centaines d’heures d’entraînement.

Défense anti-drones multicouche
Camouflage, dispersion, entraînement systématique face à la menace drone, et intégration de nouveaux capteurs et effecteurs.

Guerre électronique embarquée
Maîtriser le spectre électromagnétique, brouiller ponctuellement l’ennemi, adapter en permanence les communications. La culture électromagnétique devient indispensable.

Bréchage robotisé
Des systèmes simples, peu coûteux, sacrifiables, déployés en essaims pour percer des lignes fortifiées comme la ligne Surovikin.

Comme la Wehrmacht des années 1930 a su restaurer la manœuvre face à la mitrailleuse, une nouvelle blitzkrieg émergera, fondée sur des drones mobiles, protégés par la guerre électronique, capables de percer, exploiter et tenir.
Les robots ouvriront la voie. Les systèmes habités tiendront le terrain. Les forces blindées disloqueront l’adversaire.

C’est l’avenir de l’arme blindée.
L’armée américaine et ses alliés doivent montrer la voie.

 
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle du Department of the Army ou du Department of Defense