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Dernières révélations sur le Fantôme de Belfast : comment le MI5 a protégé son top-agent meurtrier au cœur de l'IRA




Publié par La Rédaction le 10 Décembre 2025

Pendant plus de deux décennies, un homme a vécu une double vie au cœur de la guerre clandestine d'Irlande du Nord. Héros secret pour Londres, bourreau implacable pour Belfast, il a incarné la zone grise de l'espionnage, celle où la raison d'État avale les lignes rouges. Le rapport Kenova, publié en décembre 2025, dévoile les coulisses d'une connivence qui défie l'imagination : le MI5 aurait couvert les crimes d'un agent double impliqué dans des enlèvements et des assassinats. À la manière d'un thriller trouble, cette histoire mêle loyautés impossibles, mensonges d'État et vies brisées.



Dans l'ombre de la "Nutting Squad"

Image ENDERI
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Il faut imaginer Belfast dans les années 1970 : des ruelles aux façades lépreuses, une pluie constante martelant le bitume, les fresques murales qui camouflent mal la terreur sourde. C'est là que naît la légende sombre d'un homme que les services britanniques baptiseront Stakeknife. Pour les habitants des ghettos catholiques, il n'est qu'un cadre discipliné de l'IRA, membre de l'unité la plus crainte de l'organisation : la "Nutting Squad", celle qui traque, juge et exécute les traîtres supposés. Pour le MI5, il est au contraire l'informateur le plus précieux de toute la guerre secrète, un atout inestimable pour infiltrer le cœur opérationnel de la guérilla républicaine. Ce double rôle va façonner l'une des histoires les plus dérangeantes de la lutte anti-terroriste. Car pour nourrir Londres en informations, l'homme continue d'arrêter, d'interroger et parfois d'exécuter des suspects, souvent innocents, au nom d'une organisation qu'il trahit. Le MI5 sait, observe, compile. Mais ne dit rien. Cette omerta n'est pas seulement un choix stratégique : c'est une discipline institutionnelle, une mécanique froide qui tolère l'horreur tant qu'elle sert les objectifs de sécurité nationale.


L'agent parfait, le monstre nécessaire

Lorsque son nom sort dans la presse dans les années 2000, les services britanniques nient, étouffent, démentent. Mais l'homme disparaît, exfiltré, selon les témoignages, vers une nouvelle identité offerte par l'État qu'il a servi dans l'ombre. Pendant vingt ans, la réalité reste enterrée sous plusieurs couches de secret, de procédures dites "Neither Confirm Nor Deny" et d'archives verrouillées. Puis vient l'opération Kenova, ouverte en 2016, avec pour ambition affichée de démêler la part de vérité et de mensonge dans l'histoire de Stakeknife. Le rapport final, publié en décembre 2025, brise enfin les digues. À mesure que l'on tourne ses pages, l'image de l'agent parfait se fissure pour laisser apparaître une vérité presque insoutenable : Le MI5 a protégé son informateur même lorsque ses crimes devenaient intolérables. Stakeknife aurait participé directement ou indirectement à au moins 18 assassinats, certains exécutés d'une balle dans la tête après des séances d'interrogatoire et de tortures. Pire encore, selon les enquêteurs, le renseignement fourni par l'agent n'aurait permis de sauver qu'un nombre très limité de vies, très inférieur aux victimes produites par sa propre unité. Ce n'est pas seulement un échec opérationnel : c'est une chute morale, une compromission abyssale où l'efficacité supposée de l'espionnage devient une justification implicite du meurtre. Dans l'intimité glaciale des bureaux de Thames House, quelqu'un a fait le calcul. Et quelqu'un l'a jugé acceptable.


Le jour où la vérité a frappé à la porte de Londres

Lorsque les conclusions du rapport sont rendues publiques, les familles de victimes se rassemblent devant les caméras. Les visages sont marqués, les voix tremblantes mais déterminées : ce n'est plus seulement une affaire de guerre secrète, c'est celle d'un État qui a choisi qui avait le droit de mourir pour protéger un homme devenu trop précieux. Les révélations ont la force d'un séisme politique. Elles montrent une structure administrative qui a déplacé son agent en vacances quand il risquait d'être démasqué, qui a entravé les enquêteurs, et qui a choisi de préserver le mensonge plutôt que la justice. Le scandale dépasse largement les frontières de l'Irlande du Nord. Il s'inscrit dans une longue tradition britannique de "dirty wars", où l'État lutte dans les recoins les plus sales de l'histoire, persuadé que l'obscurité protège mieux que la loi. Stakeknife, lui, meurt en 2023, sans procès, sans vérité publique, sans jamais dire ce qu'il avait réellement fait et pour qui. C'est la dernière ironie : l'homme qui a tué au nom d'une cause qu'il ne servait plus emporte ses secrets dans la tombe, laissant derrière lui des familles brisées et un État obligé de regarder dans un miroir qu'il n'aime pas. Le rapport Kenova ne clôt pas l'affaire. Il ouvre une blessure nouvelle. Il montre qu'au cœur des démocraties les plus anciennes, il existe encore des zones où l'éthique se dissout, où la raison d'État devient un alibi, où l'on protège les monstres parce qu'ils servent un intérêt supérieur. Vanity Fair aurait pu inventer un tel personnage. La réalité, une fois de plus, l'a dépassée.


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