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Syrie : quelles armes pour quels rebelles ?




Publié par Pierre-Marie Meunier le 15 Mars 2013

Face aux blocages institutionnels de l’Union Européenne et des Nations-Unies, la France pourrait décider, en coordination avec la Grande-Bretagne, de fournir des armes à la rébellion syrienne. Un changement de position progressif depuis quelques mois, en réaction à l’inertie de l’UE mais aussi aux blocages russe et chinois du Conseil de sécurité à l’ONU.



C'est pour l'instant l'armement lourd et en particulier anti-char qui fait défaut aux insurgés, malgré quelques succès, comme ici à Alep..
C'est pour l'instant l'armement lourd et en particulier anti-char qui fait défaut aux insurgés, malgré quelques succès, comme ici à Alep..
Une comptabilité macabre nous amène aujourd’hui à un chiffre de 70 000 morts en deux ans, chiffre sur lequel s’accorde à peu près tous les observateurs, mais sans qu’il soit possible de savoir la répartition entre civils innocents, soldats du régime et rebelles. Bien qu’occulté par l’intervention Française au Mali, le conflit syrien et son cortège d’atrocités n’a pas diminué en intensité, bien au contraire. Aucun des deux camps ne semble pouvoir l’emporter à court terme, dans un conflit contre-insurrectionnel où chaque partie au conflit est accusée de crimes de guerre.
 
La paralysie de la communauté internationale, bloquée par le principe d’unanimité ou celui du droit de veto, dans les votes des institutions représentantes, démontre une fois encore les limites des instances de régulation internationale. Mais il ne fait guère de doute que cette absence de réaction arrange un certain nombre de pays, conscients comme tout le monde des difficultés immenses que représenterait une intervention directe en Syrie. Déclarer la guerre à la Syrie pour faire tomber le régime nous obligerait à un conflit conventionnel avec une armée encore puissante, et surtout bien dotée, grâce à la Russie, en systèmes de défense anti-aérien auxquels personne n’a envie de se frotter. Sauf à imaginer une puissante intervention terrestre et une coalition de forces telle que celle qui est intervenue lors de la première guerre du Golfe, de telles opérations s’éterniseraient, selon toute vraisemblance. Seule l’OTAN ou les Etats-Unis auraient la capacité de diriger une telle intervention, un véritable casus belli pour la Russie et la Chine, qui de toute façon bloqueraient toute légitimation onusienne. L’exemple de la Libye est encore trop récent dans les mémoires, et les conséquences de l’aventure libyenne laissent dubitatifs les observateurs sur l’opportunité de retenter l’expérience en Syrie.
 
La question de l’avenir en Syrie est particulièrement prégnante. Si les Etats européens s’accordent sur la nécessité d’une aide humanitaire pour la Syrie, et que certains se disent prêts à aller plus loin en armant les rebelles pour rétablir un tant soit peu l’équilibre, personne ne se prononce concrètement sur ce que doit être la Syrie post-conflit. Une fois encore, l’expérience libyenne sert de repoussoir sur l’opportunité de décapiter brutalement un Etat dans une région particulièrement sensible. Une solution négociée aurait la faveur de tous les observateurs extérieurs au conflit, mais l’irrédentisme des parties prenantes éloigne la perspective d’une telle solution, ce qui peut se comprendre en l’état actuel des pertes des deux camps. La difficulté supplémentaire est de trouver des acteurs légitimes pour discuter de l’après, dans un pays devenu zone refuge pour nombre de combattants islamistes. Selon le Libanais Joseph Bahout, enseignant à Science Po Paris et chercheur à l'Académie diplomatique, la Syrie présente le risque d’une bascule vers un conflit confessionnel entre sunnites et chiites, avec la formation de milices alaouites dans une Syrie devenant un état failli. A cette problématique se greffent les questions de l’influence iranienne, celle des combattant libanais du Hezbollah, le rôle de la Turquie et du Qatar, la place des Kurdes ou encore la réaction d’Israël. Rares sont les conflits qui atteignent un tel niveau de complexité.
 
Dans ce contexte, il n’est pas impossible que la décision franco-britannique fasse bouger les lignes. Mais se pose encore la question du type d’armes que nous nous apprêtons à livrer et à qui. L’Armée Syrienne Libre est-elle l’acteur militaire et diplomatique le plus légitime ? La montée en puissance de groupes se revendiquant comme djihadistes n’est pas pour nous rassurer sur ce sujet : « [le Front islamiste radical al-Nosra] possèdent désormais ses propres tribunaux et sa propre police dans l'est de la Syrie", affirme au Point.fr Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire Syrien des Droits de l’Homme. Paris a envisagé il y a quelques mois la fourniture d’armes « défensives ». Si le gouvernement entend par là des missiles anti-aériens et anti-char, on souhaiterait savoir de quelle manière il est possible de limiter leur usage à la « défensive ». Or il n’y a que ce type d’armes qui puisse rapidement faire pencher la balance en faveur de la rébellion.
 
Bien que le spectre d’une dissémination massive des arsenaux libyens ne soit pas pour l’instant devenu réalité, on est en droit de s’interroger sur la pertinence de l’injection massive d’armes modernes dans ce qui est devenu de fait une zone grise du Moyen-Orient. Les milices ainsi armées vont-elles rendre les armes volontairement une fois le conflit terminé, alors qu’elles seront le principal moyen de conquête d’un pouvoir laisser vacant ? Le risque d’une guerre civile entre ethnies est bien réel, et nul doute que nos armes « défensives » serviront aussi à cette occasion. La France comme l’UE souhaitent conditionner la fourniture de certains équipements (véhicules et protections notamment) à un usage humanitaire à destination des populations. Mais on se demande quelles sont nos capacités de contrôle sur le respect de ces engagements.



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