Depuis plusieurs semaines, les tensions montent autour de la Russie et des actifs qu’elle détient encore dans l’espace européen. Au cœur de l’enjeu : la gestion de près de 210 milliards d'euros d’avoirs souverains immobilisés, auxquels s’ajoutent environ 28 milliards d'euros d’actifs privés. Cette situation explosive, née dans le sillage de la guerre en Ukraine, s’est aggravée le 2 décembre lorsque la Commission européenne a confirmé travailler sur plusieurs scénarios destinés à mobiliser ces ressources. Une initiative qui, selon les banques, pourrait exposer l’Europe à des représailles directes de la Russie, mais aussi à un choc institutionnel mettant en cause la sécurité juridique des marchés.
Un dispositif européen sous pression croissante
Les tensions autour des avoirs gelés en Russie prennent une dimension critique
L’ampleur des avoirs liés à la Russie attise les inquiétudes. En effet, Euroclear — institution financière centrale dans la détention des titres russes — gère à elle seule près de 193 milliards d'euros d’actifs gelés. Cette concentration exceptionnelle nourrit la crainte, chez les banques, d’un engrenage dangereux. D’une part, la Russie a déjà prévenu qu’elle répondrait à toute tentative de confiscation. D’autre part, les établissements financiers européens s’interrogent sur la protection réelle des dépôts qu’ils administrent pour des États étrangers, ce qui fragilise leur rôle stratégique.
Dans ce contexte, les mots de Valérie Urbain, directrice générale d’Euroclear, résonnent comme un avertissement majeur. Elle a estimé qu’il fallait être « extrêmement vigilants » car toucher à ces avoirs irait contre « le droit international des avoirs souverains appartenant à un État », selon une déclaration rapportée par Le Monde. Cette mise en garde s’inscrit dans un climat de crispation croissant où les banques exigent des garanties tangibles quant au respect du droit international et aux risques de représailles de la Russie.
Les banques craignent un choc systémique et des représailles de Moscou
Les établissements financiers considèrent en effet que l’initiative européenne pourrait déstabiliser l’ensemble du système de confiance sur lequel repose la finance mondiale. En jouant, même indirectement, avec les actifs souverains russes, Bruxelles ouvrirait la voie à des contre-mesures immédiates. La Russie pourrait notamment procéder à des confiscations ciblées d’actifs européens présents sur son territoire, au risque d’entraîner une escalade économique majeure.
En outre, les banques préviennent que toute perception de confiscation politique pourrait provoquer une fuite des investisseurs internationaux hors de la zone euro. Une telle situation nuirait à la crédibilité d’Euroclear, comme le souligne Anadolu Agency, pourtant l’un des acteurs les plus solides de l’infrastructure financière mondiale. Les marchés, déjà fragilisés par la persistance de la guerre en Ukraine, pourraient alors papillonner vers des juridictions jugées moins exposées.
Un risque juridique majeur pour l’Europe
Les mises en garde de plusieurs États européens renforcent la pression sur Bruxelles
La question dépasse largement le simple périmètre technique des banques : elle engage le cœur de la souveraineté juridique européenne. Le Premier ministre belge, Bart De Wever, a d’ailleurs adressé à la Commission une lettre dans laquelle il qualifie le projet de mobilisation des profits issus des actifs gelés de proposition « fondamentalement viciée ». Selon cette même source, il estime que l’UE s’exposerait à une violation manifeste d’un principe cardinal du droit international en touchant aux avoirs souverains de la Russie.
Ces déclarations officielles, lourdement formulées, relèvent d’une stratégie de protection mais aussi d’un signal politique sans ambiguïté à destination de Bruxelles. La Belgique accueille Euroclear, ce qui lui confère une responsabilité directe dans la préservation de la sécurité juridique des infrastructures financières opérant sur son territoire. Le message adressé à la Commission est donc double : ne pas déstabiliser le droit international et ne pas mettre en péril les institutions européennes qui garantissent la stabilité des marchés.
La Commission européenne persiste : un prêt, pas une confiscation
Malgré ces alertes successives, la Commission européenne défend fermement son projet. Elle assure que l’Europe ne procéderait en aucun cas à une confiscation des actifs liés à la Russie. L’idée avancée consiste à utiliser les revenus générés par ces avoirs — et non les avoirs eux-mêmes — pour garantir un mécanisme de prêt en faveur de l’Ukraine. Toujours selon les sources officielles, Bruxelles prépare également un dispositif alternatif : un emprunt mutualisé fondé sur la crédibilité budgétaire de l’Union si les États refusaient d’utiliser les revenus des actifs gelés.
Cette position, qui vise à contourner les obstacles juridiques, ne suffit toutefois pas à calmer les banques internationales. Celles-ci rappellent que la Russie pourrait, de manière unilatérale, interpréter cette démarche comme une confiscation de facto. Or, dans un contexte de guerre hybride où l’influence financière est devenue une arme stratégique, cette interprétation pourrait déclencher des mesures asymétriques de grande ampleur.
Un affrontement qui redessine les rapports de force internationaux
La Russie observe, menace et prépare sa riposte
Pour Moscou, la question des actifs gelés dépasse largement la dimension financière. Il s’agit d’un symbole de puissance et d’un levier diplomatique majeur. En laissant planer la possibilité de représailles, la Russie rappelle que les entreprises européennes possèdent encore des intérêts sensibles sur son territoire. Toute décision européenne assimilée à une saisie pourrait entraîner des expropriations ciblées, des sanctions financières ou des restrictions à l’opération des entreprises européennes encore présentes en Russie.
Cette posture offensive, largement décrite par les banques, renforce la perception d’un risque global. Chaque action européenne est désormais scrutée, recadrée, contestée par une puissance qui n’hésite plus à utiliser la pression économique comme prolongement de sa stratégie militaire.
Les banques internationales en première ligne de la confrontation
Les banques ne sont pas seulement des acteurs techniques : elles deviennent des acteurs géopolitiques malgré elles. Leur exposition directe aux décisions concernant la Russie les contraint à anticiper les répercussions économiques, juridiques et diplomatiques de la politique européenne. Certaines d’entre elles, dont Euroclear, vont jusqu’à menacer de saisir la justice européenne si Bruxelles persistait, rappelant qu’elles ne renonceront pas à protéger leurs clients, leurs dépôts et leur réputation.
Cette dynamique place les banques dans un rôle inédit : celui de contre-pouvoir. Leur objectif n’est pas politique, affirment-elles, mais la défense d’un ordre financier fondé sur la stabilité, la prévisibilité et le respect strict du droit international. Une position qui, paradoxalement, rejoint celle de plusieurs États membres inquiets des conséquences pour l’Europe.

Diplomatie













