La fragilité d’un ordre fondé sur le consentement
Missile balistique à portée intermédiaire avec une tête nucléaire RSD-10 Pioneer - Wikimédia commons
L’architecture internationale du contrôle des armements repose sur un principe fondamental : un traité n’a de force que par son universalité. Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE/CTBT), ouvert à la signature en 1996, en est une illustration saisissante. Malgré 184 signatures, il n’est jamais entré en vigueur faute de ratification par les États clés de l’Annexe II, parmi lesquels les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Le régime repose ainsi sur un équilibre délicat où les puissances les plus influentes, souvent les plus promptes à défendre un ordre international fondé sur des règles, choisissent en réalité de ne pas se lier les mains juridiquement. Cette absence de consensus affaiblit déjà profondément la force normative du texte, avant même toute crise géopolitique.
2023 : la révocation russe qui fait basculer un symbole
Le 2 novembre 2023, la Fédération de Russie a officiellement révoqué sa ratification du CTBT, initialement approuvée en 2000. Ce geste, largement documenté et confirmé notamment par l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et par des organisations de désarmement comme ICAN, marque un tournant majeur. Moscou a justifié sa décision en invoquant un déséquilibre structurel : les États-Unis, signataires mais non ratifiants, ne seraient soumis à aucune obligation équivalente. Cette révocation intervient dans le contexte de la guerre en Ukraine et s’inscrit dans une dynamique de confrontation stratégique accrue. Le Secrétaire général de l’ONU a exprimé son “profond regret”, soulignant qu’il s’agissait d’un coup porté à un pilier du désarmement mondial. Ce retrait démontre la fragilité d’un système où la moindre rupture unilatérale d’un acteur majeur suffit à faire vaciller des décennies d’efforts diplomatiques.
Les limites structurelles des normes perçues comme anti-souveraines
Ce cas rappelle une vérité récurrente du droit international : les traités contraignants, lorsqu’ils touchent directement aux attributs régaliens les plus sensibles comme la dissuasion nucléaire, ne tiennent que si les États les considèrent compatibles avec leur souveraineté stratégique. Dès lors que les grandes puissances perçoivent une norme comme asymétrique ou susceptible d’affaiblir leur posture, elles refusent de la ratifier ou s’en retirent. Les États-Unis n’ont jamais ratifié le CTBT, tout comme la Chine et plusieurs puissances nucléaires émergentes. Dans ce contexte, l’universalité devient une illusion et la solidité des régimes juridiques s’érode. Le retrait russe et les non-ratifications persistantes démontrent que les principes proclamés ne résistent pas aux réalités géopolitiques. Les traités internationaux ne valent réellement que lorsqu’ils sont partagés et acceptés par ceux qui détiennent les moyens de les rendre effectifs. Sans cette adhésion, leur portée demeure limitée et leur pérennité incertaine.

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