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Haut-Karabakh : vers une résolution du conflit? (1/2)




Publié par La Rédaction le 24 Janvier 2020

Début décembre 2019 se tenait à Brastislava une nouvelle réunion de négociations relative au conflit du Haut-Karabakh. Depuis bientôt trente ans, celui-ci oppose, d’une part, la république d’Azerbaïdjan, et d’autre part, la république d’Arménie et les séparatistes du territoire susnommé, qu’eux-mêmes désignent sous l’appellation arménienne d’Artsakh. Cette réunion était placée, comme à l’accoutumée, sous les auspices de l’OSCE , et plus spécifiquement de la troïka dite « groupe de Minsk », réunissant les États-Unis, la France et la Russie, chaque pays étant représenté par un ambassadeur. Les deux belligérants étaient quant à eux représentés par leur ministre des Affaires étrangères respectif, Zohrab Mnatsakanian pour l’Arménie, et Elmar Mammadyarov pour l’Azerbaïdjan.



Signe d’un rythme soutenu pouvant témoigner de l’implication de tous ces acteurs, cette réunion était la cinquième cette année, principalement marquée par la préparation et la réalisation en mars de la première rencontre des chefs d’État des deux pays [1]. Bien que les avancées vers une solution définitive se révèlent assez minces, la rencontre de décembre a du moins permis de prendre acte de l’inscription dans la durée des progrès précédemment initiés, comme le maintien d’une liaison à haut niveau pour éviter toute nouvelle escalade, l’engagement des deux parties à préparer sur le long terme leurs populations à la paix, ou encore les échanges de prisonniers [2].
 
Haut-Karabakh, un conflit gelé, ou tiède ?
 
Ces derniers développements sont l’occasion de remettre en perspective les origines et les enjeux de ce conflit qui ne se rappellent aux opinions occidentales qu’à l’occasion des éruptions de violence les plus fortes, et trop souvent dans une vision biaisée par le caractère partisan des présentateurs, plus ou moins favorables à l’un ou l’autre camp.
 
Précisément, la dernière flambée de violence, qui fit presque 400 morts dans les deux camps, remonte à avril 2016, quand les heurts sporadiques sur la ligne de contact entre les belligérants, ont dégénéré en affrontement plus global, aboutissant en quelques jours à un succès, limité mais inédit, des forces azerbaïdjanaises. Celles-ci sont en effet parvenues à récupérer un peu du territoire perdu au début des années 1990. C’est précisément cette guerre de trois jours, comme certains l’ont désignée [3] , qui, suscitant l’émoi de la communauté internationale, a redynamisé le processus et l’implication du groupe de Minsk, pour éviter toute récidive, toujours possible comme en témoignent par exemple les pilonnages de juillet 2017 [4] .
 
Entretemps, c’est une guerre plus ou moins tiède qui a caractérisé les relations entre les deux camps. Au plan militaire, au niveau tactique, les forces respectives se font face dans des positions retranchées qui ne sont pas sans rappeler celles de la Première Guerre mondiale en Europe. De ses positions partent régulièrement des tirs sporadiques, qui, par sniper ou pièces d’artillerie, harcèlent les premières lignes opposées, avec leur cortège de tués et de blessés. Plus en profondeur, ce sont des forces de réserve prêtes à monter en première ligne, impliquant, notamment du côté des séparatistes, une posture de guerre de toute la population qui s’attend aux tentatives de reprise du territoire qui, au regard du droit international, fait toujours partie de la république azerbaïdjanaise. Cela se traduit aussi par de réguliers exercices de monter en puissance et de renforcement de l’avant, qui peuvent être interprétés, par maladresse ou par propagande, comme autant de signes d’agressivité et de velléités de rouvrir l’affrontement général de la part du parti adverse, et susciter une réaction en proportion, voire disproportionnée.
 
Aux origines du conflit
 
Cette situation de guerre plus ou moins « chaude » dure depuis une trentaine d’années, et la phase d’effondrement de l’Union soviétique. Le régime soviétique avait mis en place dès 1921 une forme d’autonomie qui permettait, aux minorités de l’une ou l’autre nation de vivre pacifiquement, au moins de jure, sous la férule soviétique, dans un pays à majorité différente.
 
À la fin des années 1980, le délitement de l’Union soviétique et les mesures de libéralisation de l’ère Gorbatchev réveillent les irrédentismes. Les deux pays proclament pour la seconde fois [5] leur indépendance, et les troubles se multiplient, occasionnant un nombre croissant de victimes, des deux côtés. Ceci se traduit notamment par l’auto-proclamation d’une virtuelle "république du Haut Karabagh". Les heurts de plus en plus violents dans les zones d’interaction entre ces populations, tournent à l’affrontement armé majeur, avec l’intervention de l’armée arménienne, à l’époque supérieure en qualité et en nombre, sur le territoire de l’Azerbaïdjan. Cette guerre se traduit par des dizaines de milliers de morts, les chiffres variant de 15 à 30000, par de très nombreuses disparitions et destructions, et finalement par l’occupation selon les uns, la libération selon les autres, du territoire du Haut-Karabakh par les forces armées de la République d’Arménie. Cette intervention militaire dans la région du Haut-Karabakh s’accompagne de l’occupation des sept districts voisins de celui-ci, et par d’énormes déplacements de population. L’Azerbaïdjan évoque en effet près de 1.000.000 de personnes réfugiés ou déplacées, en provenance d’Arménie comme des territoires occupés par elle en Azerbaïdjan, à rapporter à une population totale de 10 millions d’individus.
 
Si l’on remonte plus en amont pour mettre en relief les causes lointaines de la situation actuelle, l’histoire de la région se caractérise par la juxtaposition de populations aux caractéristiques ethniques et aux appartenances religieuses rendues incompatibles par leur prétention respective à l’antériorité de leur présence dans la région. L’augmentation de la présence arménienne dans le Caucase au XIXème Siècle est notamment liée à une politique russe délibérée visant à constituer un glacis non musulman face au Sud ottoman ou perse, 1.000.000 d’arméniens environ ayant été déplacés des différentes provinces russes vers cette région [7]. Cette logique de « limes » sera d’ailleurs reprise par le pouvoir soviétique pour se prémunir de la menace potentielle que constitue la Turquie otanienne. Autre facteur de cette présence arménienne croissante, ce sont les massacres et persécutions dont ont été victimes, tout au long du XIXème Siècle, les populations arméniennes dans l’Empire ottoman, qui les ont incitées à trouver refuge dans l’empire des tzars orthodoxes. Ces mouvements contraints ont fait évoluer les rapports de force démographiques, progressivement et de manière inexorable à partir de 1828, année où est créée dans l’empire une province arménienne [7 & 8] .  Ailleurs, le souvenir de ces atrocités a développé le ressentiment des descendants arméniens à l’égard des populations et des autorités, qu’ils considèrent comme plus ou moins liés à l’ancien pouvoir ottoman.
 
[1] Déclaration du groupe de Minsk, le 29 mars 2019 : https://www.osce.org/minsk-group/415643
[2] Déclaration finale du groupe de Minsk, 5 décembre 2019 : https://www.osce.org/minsk-group/441242
[5] C’est en mai 1918, un an après la chute du tzar, que l’Arménie et l’Azerbaïdjan proclament une première fois leur indépendance.
[7] « Nouvelle menace pour la politique russe dans le Caucase du Sud », page 61, publié en 1911 à Saint-Pétersbourg et dont l’auteur, le géographe russe N. Chavrov, a été personnellement impliqué dans les activités de l’administration russe dans la colonisation de la Transcaucasie.
 



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