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Guerre électronique en ukraine




Publié par Paul-Gabriel LANTZ le 3 Décembre 2025

Le 30 novembre 2025, le commandant du 69ᵉ Centre spécial de soutien électronique de l’armée de terre ukrainienne décrit une situation paradoxale sur le terrain : jamais l’Ukraine n’a disposé d’autant de moyens de guerre électronique, mais rarement leur emploi n’a été aussi complexe.
Dans un conflit où drones FPV, bombes guidées et missiles reposent sur la maîtrise du spectre électromagnétique, l’entretien révèle les fragilités structurelles d’un dispositif saturé d’initiatives locales, de matériels artisanaux et d’écosystèmes industriels encore incomplets.



Un front saturé, où les différents moyens de guerre électronique se superpose et parfois se brouille

Ukrainian FPV loitering munition with RPG-7 ammo
Ukrainian FPV loitering munition with RPG-7 ammo
Le logiciel ukrainien de gestion des moyens de GE « Graphite » croise les données de centaines de stations d’écoute et de brouillage sur toute la ligne de front. Mais cette architecture est entravée par l’usage massif de systèmes improvisés, souvent déployés sans coordination, qui « étouffent » les antennes chargées d’alerter sur les drones ennemis. Une antenne placée en avant-poste ne capte plus rien lorsqu’elle est entourée de quatre ou cinq brouilleurs artisanaux saturant son spectre, explique le commandant. Le phénomène n’est plus marginal : l’entretien confirme que la prolifération de dispositifs non testés perturbe autant les drones alliés que les opérateurs eux-mêmes. Certaines unités parviennent à bâtir des « bulles propres » cohérentes ; d’autres, parfois voisines, se retrouvent pratiquement aveugles. Le résultat est une défense hétérogène, dépendante du niveau de compétence, de coordination et de discipline locale.

 

Un écosystème industriel dynamique en cours de structuration

L’Ukraine compte aujourd’hui plusieurs centaines de fabricants de systèmes de GE, dont beaucoup produisent des équipements fiables. Mais le commandant souligne deux écueils récurrents : d’une part, les entreprises qui commercialisent un matériel minimal mais sans investir dans le développement logiciel permettant le contrôle à distance et les protocoles d’intégration. D’autre part, les fabricants qui tentent d’imposer des écosystèmes “clé en main” fermés, alors que la Défense ukrainienne repose déjà sur un assemblage de stations ukrainiennes, allemandes et américaines. Aucune entreprise nationale n’est aujourd’hui en mesure de fournir un système totalement intégré.

  Le problème se déplace ensuite sur le terrain, où la logique économique prime parfois : certaines unités préfèrent acheter un brouilleur “fait maison” pour la moitié du prix, reproduisant la logique du « je fais réparer ma voiture par un ami », mais appliquée au spectre électromagnétique. Ces systèmes insuffisants alimentent la saturation du front et généralisent les « trous » dans la couverture. La question ne se limite plus à la qualité des matériels : elle concerne l’absence de doctrine d’interopérabilité, l’insuffisance de coordination et la difficulté à imposer des standards homogènes dans un écosystème dispersé.

 

Drones FPV, bombes planantes et missiles : un équilibre délicat entre défense et fratricide

L’entretien aborde également les effets du brouillage sur les menaces émergentes. Les bombes planantes russes KAB-500 et KAB-1500, équipées d’antennes résistantes au brouillage, voient leur précision dégradée, mais non neutralisée. Quant aux missiles de croisière, leur sensibilité aux perturbations reste limitée. Sur le front, l’Ukraine parvient déjà à créer des zones où aucun drone russe commandé par ondes ne peut plus voler  grâce à des stations de 10 kW situées en profondeur. Mais ce succès entraîne un risque immédiat : une bulle parfaitement fermée empêche aussi les drones ukrainiens d’opérer, créant des épisodes de « tirs amis électromagnétiques ». Le commandant estime que la véritable supériorité ne réside pas dans la puissance brute mais dans leur intégration : systèmes d’alerte, brouilleurs longue portée, brouilleurs portatifs, corridors réservés aux drones alliés et coordination inter-unités. La menace des drones à fibre optique, souvent présentée comme contournant la guerre électronique, reste marginale : selon lui, elle ne dépassera jamais 15 % du parc russe, trop coûteux et trop lent pour être massifiée.

L’entretien délivre un message clair : la guerre électronique n’est plus un simple outil technique, mais une architecture opérationnelle qui dépend avant tout de la qualité de la coordination. L’Ukraine dispose d’un écosystème dynamique, innovant et réactif, mais fragmenté. Face à un adversaire qui investit massivement dans la GE offensive, Kyiv doit désormais transformer une multitude de systèmes efficaces isolément en une supériorité électromagnétique cohérente, capable de sécuriser ses drones, d’entraver ceux de l’ennemi.

 




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