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Le Sandinisme au Nicaragua : entre révolutions et intervention étrangère




Publié par Thomas Péan le 20 Août 2019

Le Nicaragua est situé dans l’espace méso-américain appelé plus rarement isthme américain à proximité des Caraïbes, du Mexique, de l’Océan Pacifique et de l’Amérique du Sud. La présence significative de l’influence des États-Unis dès l’indépendance du Nicaragua au XIXe siècle est un élément déterminant du Nicaragua. En effet, situé à proximité des États-Unis, le pays subit de nombreuses interventions de la part de son voisin nord-américain. La région se révèle stratégique pour le géant américain que ce soit pour sa proximité avec le territoire des États-Unis ou à travers le canal de Panama (1914). Du point de vue de Washington, la région autour du Nicaragua est vitale pour les États-Unis qui veillent à assurer la communication entre la Californie et la Côte Est via le canal de Panama.



Le Président Ronald Reagan avec ses conseillers dans les années 1980
Le Président Ronald Reagan avec ses conseillers dans les années 1980

Le Sandinisme  d’Augusto Sandino à la victoire de Violeta Chamorro
 
 Le Sandinisme tire son origine du héros national Augusto Sandino qui a mené la lutte contre la dictature des Somozas des années 1920. Persécuté par les forces nord-américaines et les troupes du régime somoziste, il est finalement tué en 1927. Son combat associe une vision révolutionnaire en faveur des plus pauvres avec un certain nationalisme contre l’impérialisme nord-américain au Nicaragua. En effet, la présence américaine dans le pays, à l’instar des autres États de la région, se manifeste par un aspect économique (United Fruit Company) et politique (interventions dans la vie politique nationale). En dépit des efforts d’Augusto Sandino, la dictature des Somozas continue après sa mort.
Le Sandinisme au Nicaragua : entre révolutions et intervention étrangère

En 1961, un groupe d’opposants au régime fonde le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) au nom du héros national devenu martyr ; parmi eux, on compte l’écrivain Tomas Borges et le militant Carlos Fonseca. Créé dans le contexte de la Révolution cubaine de 1959, il se place dans cet héritage à la fois révolutionnaire (vision sociale, voire communiste) et nationaliste (lutte contre l’impérialisme yanqui). Il s’inspire également des thèses du foquisme développées par Régis Debray et le Che. Il s’agit de développer plusieurs foyers de guérilla révolutionnaire afin de saper l’autorité du régime en place et parvenir à le renverser. L’accent est mis sur la lutte dans les campagnes davantage qu’en zone urbaine.
  
En 1979, après une série d’attaques de la part de la guérilla sandiniste, le régime somoziste est renversé et le FSLN s’installe à la tête du pays. Le nouveau gouvernement s’organise comme une junte révolutionnaire collective qui applique son programme social et économique. Au cours de cette première période (1979-1984), le nouveau régime devient rapidement critique à l’égard de toute opposition y compris de la part de la droite démocratique. Conformément à un rigorisme révolutionnaire, il s’attaque également aux Indiens présents dans le pays et se révèle incapable de lutter contre l’inflation galopante. En 1984, les élections présidentielles se soldent par la victoire de Daniel Ortega, déjà membre de la junte révolutionnaire. Il poursuit la dérive autoritaire du précédent gouvernement. L’inflation se poursuit et le phénomène des Contras se développe. Anciens membres du gouvernement somoziste ou soutiens à ce dernier, les Contras se structurent comme une véritable guérilla d’extrême droite agissant depuis des bases installées au Honduras. Bénéficiant de soutiens étrangers (Argentine et États-Unis), ils parasitent l’autorité du gouvernement sandiniste par des actions de sabotage et des attaques contre les installations du régime révolutionnaire. La drogue notamment la cocaïne est également l’objet d’activités illicites de la part du gouvernement sandiniste comme des Contras.
Contras sur le Front Sud, 1987
Contras sur le Front Sud, 1987

La dérive finale du gouvernement sandiniste au cours des années 1980 correspond à plusieurs phénomènes : la persécution des communautés indiennes, le trafic de drogue, l’inflation galopante, le problème des Contras ainsi que l’augmentation de l’opposition au régime révolutionnaire. En 1990, la candidate de la droite, opposante au régime, Violeta Chamorro remporte les élections et devient présidente du Nicaragua mettant fin à 11 ans de période révolutionnaire, qui se soldent par un échec final.  

L’implication des puissances étrangères dans le conflit 

Le gouvernement sandiniste souffrant de difficultés internes, est également l’objet des activités des puissances étrangères comme les États unis, Cuba, l’Argentine, la France et du narcotrafic régional. Comme on l’a vu précédemment, les États unis est une puissance qui intervient régulièrement dans la vie politique et économique du Nicaragua. Ils ont été au coeur du régime somoziste qui servait alors leurs intérêts économiques via la United Fruit Company. Mais, durant la Présidence de Ronald Reagan, l’interventionnisme du voisin nord-américain prend une nouvelle ampleur. Face à l’existence d’un régime communiste aux frontières des États unis, Washington s’implique dans le conflit nicaraguayen et appuie les Contras
  
Le 5  novembre 1986, Mehdi Hashemi, un officier des Gardiens de la Révolution révèle au magazine libanais Ash-Shiraa le scandale de l’Irangate. À partir de 1981, suite à la Révolution islamique en Iran, l’administration Reagan et la CIA s’engagent dans la vente d’arme secrète avec la République islamique dans le dos du Parlement américain. Les tractations secrètes impliquent également Israël qui participe au trafic d’armes. Les affaires au Moyen-Orient entrent en relation avec les événements contemporains du Nicaragua. À travers des faux comptes et des sociétés-écrans, la CIA et des membres de l’Administration Reagan appuient militairement les Contras depuis le Honduras. Ces révélations par l’agent iranien et les médias américains jettent le discrédit sur l’Administration Reagan et illustrent l’implication des États unis au Nicaragua.
   
Cuba présente des similitudes avec le Nicaragua. Après une lutte menée contre la dictature en place et elle-même appuyée par les États-Unis, la guérilla révolutionnaire prend le pouvoir et applique son programme social et économique. Elle associe alors vision communiste et dénonciation de l’impérialisme yanqui. Enfin, les deux guérillas gouvernements se sont révélées incapables de juguler les problèmes rencontrés malgré une mobilisation populaire et une rhétorique révolutionnaire omniprésente.

De façon plus surprenante, l’Argentine est intervenue dans le conflit entre Sandinistes et Contras. La dictature en place dans le pays, le Proceso de Reorganización Nacional (1976-1983) s’engage rapidement dans l’Opération Condor soit la lutte contre toute activité révolutionnaire et subversive sur le continent américain. À côté des dictatures voisines du Chili, d’Uruguay et du Brésil, le Proceso argentin mène une lutte intense contre ce qui est vu comme la “subversion révolutionnaire”. Au Nicaragua, l’Opération Charly est menée par le Bataillon d’Intelligence 601 en 1979-1980. Les forces argentines sur place collaborent alors avec le programme d’intervention de la CIA autorité par le Président Jimmy Carter.

La France, de son côté, a signé un contrat d’armement en 1982 avec les Sandinistes au pouvoir. On peut souligner ici la vision à la fois socialiste et latino-américaine du Président François Mitterrand qui a été précédemment en relation avec le Chilien Salvador Allende et le Cubain Fidel Castro. Surtout, ce rapprochement momentané entre le Nicaragua et la France est l’oeuvre de Régis Debray qui s’était déjà illustré dans la lutte révolutionnaire à Cuba, au Chili et en Bolivie. En réalité, ce contrat militaire avec les Sandinistes correspond davantage à une perspective pragmatique. Considérant que la scène internationale est alors dominée par l’Union soviétique et les États unis dans un contexte de Guerre froide, le gouvernement français a voulu éviter que le Nicaragua réalise un contrat avec les Russes. Il s’agit également de défendre la place de la France dans une région où elle est un acteur mineur. 

On a déjà évoqué plus haut le cas du narcotrafic dans le conflit nicaraguayen. Ainsi, au cours des années 1980, les autorités sandinistes comme les Contras s’impliquent dans le trafic de cocaïne. Cela impliquait de nombreux pays de la région allant de la Colombie au Mexique. La Colombie alors dominée par le Cartel de Medellin, celui de Pablo Escobar, était le lieu de production de cette drogue qui était ensuite acheminée jusqu’aux États unis. Le produit transite au Panama, où Manuel Ortega était impliqué dans le narcotrafic, à Cuba, où les fonctionnaires castristes recevaient des pots-de-vin contre leur complicité, au Nicaragua où les parties prenantes du conflit étaient impliquées dans le trafic de stupéfiants. Au Mexique, la progressive structuration du Cartel de Guadalajara à travers Miguel Angel Félix Gallardo s’accompagne d’une complicité avec la Colombie pour l’acheminement du produit illicite jusqu’à la frontière nord-américaine. Ainsi, le Nicaragua se retrouve au cœur d’un réseau régional de narcotrafic associant des pays comme le Mexique, Cuba, le Panama, la Colombie. 

Les fantômes du Sandinisme aujourd’hui : Daniel Ortega

La Présidence de Violeta Chamorro marque en 1990 la fin du -premier- Sandinisme au Nicaragua. Son échec est alors patent. Il se présente aux élections présidentielles successives sans parvenir à gagner au cours des années 1990 et 2000. Plusieurs éléments montrent alors que Daniel Ortega et le Front Sandiniste de Libération Nationale sont l’auteur de corruption et de fraude. Le 5 novembre 2006, Daniel Ortega est finalement réélu comme Président de la République. Il est réélu ensuite en 2011 et 2016. À la tête du pays, le Sandinisme du XXIe siècle devient plus modéré en délaissant la rhétorique révolutionnaire radicale pour une vision plus pragmatique, n’hésitant pas à se rapprocher des libéraux. 
 
Néanmoins, les soupçons de corruption se concrétisent et Daniel Ortega installe ses fidèles au gouvernement et à la tête du pays. Le phénomène est tel que certains analystes font le parallèle avec les Somozas que le sandinisme d’Ortega prétendait combattre. À l’heure actuelle, le régime de Daniel Ortega se trouve dans une situation analogue au régime de Nicolas Maduro au Venezuela. Une rhétorique révolutionnaire dépassée permet de légitimer un régime en crise qui peine à juguler les défis auxquels il fait face. Le Nicaragua subit en effet en ce moment une crise économique importante qui pousse de nombreux citoyens à quitter le pays pour aller vivre aux États unis. L’épisode de la Caravana en Amérique Centrale en a été à cet égard la triste illustration. Les Ortega et leurs fidèles neutralisent toute opposition politique à leur égard en utilisant l’héritage révolutionnaire sandiniste.
L’ex président Daniel Ortega et la présidente élue Violeta Chamorro en 1990
L’ex président Daniel Ortega et la présidente élue Violeta Chamorro en 1990

Sources : 

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  • BATAILLON Gilles, De Sandino aux Contras Formes et pratiques de la guerre au Nicaragua, Université de Caen. 
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  • CLERC Jean-Pierre, Les États-Unis, l’Amérique Centrale et les Caraïbes, Politique étrangère, 1983. 
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  • GOMEZ François-Xavier, Nicaragua : du sandinisme à l’absolutisme, Libération, 4 août 2016. 
  • GRANJON Marie-Christine, Les interventions des États-Unis en Amérique Centrale (1885-1980) : le poids du passé, Politique étrangère, 1982.
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  • REGOURD Serge, Raids anti terroristes et développements récents des atteintes au principe de non-intervention, Annuaire Français de Droit International, 1986. 
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