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Jeux vidéo, guerres et géopolitique : quelles relations ?




Publié par Henri Poisot le 19 Juin 2019

La sortie du dernier trailer du jeu « Call of Duty » a provoqué dans certains milieux proches des pouvoirs Russe et Syrien de véhémentes critiques envers l’éditeur, car il ferait le portrait du conflit en Syrie selon « la vision » occidentale. Cette remarque si elle peut être très largement débattue prouve que le monde est sensible à sa représentation dans de tels produits culturels à portée mondiale.
Ainsi lors de la sortie du jeu « Battlefield I » centré sur la Première Guerre mondiale les joueurs français étaient outrés de n’avoir pas la France comme pays jouable, même si le développeur avait annoncé que la France aurait sa propre extension… La guerre est au centre de nos sociétés et de notre l’histoire et la gloire militaire est un des sujets les plus débattus sur internet, souvent d’ailleurs par des gens peu éduqués, mais très sensibles à l’ego nationaliste.




Géopolitique pour les nuls

Alors que certains jeux spécialisés s’adressent à des publics plus matures et conscients des enjeux complexes de la guerre et de la politique internationale, ils ne sont qu’une minorité et n’intéressent qu’une minorité. Des jeux tels que « Specs Ops : the line » explorent la moralité de la guerre, les répercussions des décisions, les bavures, les syndromes de stress post-traumatiques et la moralité des actions que le joueur décide. D’autres telle la série Arma mettent en scène le réalisme de la guerre, la communication, la réalité des combats (beaucoup d’attente, la létalité des armes). Mais ces jeux sont difficiles à apprécier et s’adressent à des passionnés ou à des personnes voulant remettre en cause leurs certitudes. Ce n’est absolument pas la majorité. Le plus grand nombre de joueurs se concentre sur des jeux qui exploitent le circuit de la récompense et la binarité du cerveau, le gameplay est dynamique, les explosions et le nombre de tués s’enchaînent.

Si les plus mainstream jeux comme « Call of Duty 4 » ou « Battlefield 3 » ont essayé de traiter les questions de la prolifération ou de la perte de contrôle d’armes nucléaires, la moralité est simple. Les méchants Russes ou Arabes veulent faire souffrir l’occident. La plupart de ces jeux font de toute la région du Moyen-Orient un vaste terrain de guerres ininterrompues. Ils s’attardent peu sur la complexité politique, ethnique et religieuse de cette zone du monde pour le plus souvent opposer les occidentaux aux « terroristes » ou « insurgés ». Ce dernier terme utilisé par les Américains et l’OTAN en Irak et Afghanistan.

Les jeux vidéo sont en soi seulement une continuité de la culture martiale et glorifiant la guerre déjà présente par ailleurs dans la littérature et le cinéma.

Un média principalement occidental.

La culture des jeux vidéo comme toute forme d’art est empreinte de clichés. Les jeux de guerres s’inspirent souvent d’événements récents pour attirer les acheteurs. Ainsi on trouve les stéréotypes de méchants ultranationalistes russes ou arabes ou terroristes politiques ou religieux qui ont remplacé les communistes et les nazis. Il transparaît dans les jeux récents un fort mouvement du type orientaliste, en référence au 18e siècle ou l’orient rêvé l’était tant qu’il est devenu réalité dans l’imaginaire des occidentaux.

Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont propulsé les jeux de guerre dans une ambiance moderne ainsi teintée de ce nouvel orientalisme. Auparavant le genre de la Seconde Guerre mondiale était prédominant. L’arrivée sur le marché du quatrième titre de la série « Call of Duty » en 2009 sous-titrés « Modern Warfare » (guerre moderne) a ouvert à une large frange de la population à une guerre contemporaine sur fond de questionnements géopolitiques actuels.

La spécificité des jeux vidéo par rapport aux autres arts audiovisuels est leur degré d’implication pour la personne qui y joue. Ce lien fort se révèle critique, peu de personnes joueront à un jeu qui renverse leur système de pensée et de moralité. C’est pourquoi la plupart des titres sont le portrait des histoires et des personnages stéréotypiques qui satisfont les joueurs et leurs référentiels culturels et politiques.

La majorité des jeux vidéo de guerre sont aussi des FPS (First person shooter), ils permettent une identification forte ainsi qu’une implication personnelle et émotionnelle accrue. C’est aussi pour les créateurs la possibilité de placer le joueur dans un rôle de « Rambo » affrontant a lui tout seuls des hordes d’ennemis. Cette héroïsation de la guerre et surtout de la guerre de son pays contre les « méchants » renforce la sensation de toute-puissance et de légalité de l’action. Cela finit par créer un cercle de rétroaction entre le jouer et le développeur chacun s’influençant.

D’ailleurs, si les jeux vidéo se démocratisent tant pour l’âge que le sexe, la majorité des joueurs sont et restent des hommes adolescents et jeunes adultes qui sont aussi la plus forte population au sein des forces armées.

11 pays de « l’ouest » sont aussi en tête du classement du nombre d’entreprises de jeux vidéo. Et sur ce total l’Amérique en comporte pratiquement la moitié… Le marché reflète cette tendance occidentale. Si on exclut la Chine qui est un cas a part entière, en 2019 les États-Unis ont représenté 36,4% des revenus liés aux jeux vidéo, 1,9% pour la Russie…

Contre-culture

Il est intéressant de se plonger dans le monde du jeu vidéo en dehors de l’occident et particulièrement chez les pays souvent lieux des conflits représentés dans les œuvres vidéoludiques de l’ouest. Le Hezbollah a notamment en son sein un département de développement de jeu vidéo et son dernier titre en date « Défense sacré » emmène le jouer défaire les « takfiris » (musulmans radicaux : nom donné à tous les ennemis du jeu) en Syrie.

D’autres développeurs cherchent à dépeindre les causes et les conséquences des conflits. Le jeu « This War of Mine » met le joueur dans la peau d’un civil cherchant à survivre dans les ruines d’une ville en guerre. Si de tels projets n’ont pas les mêmes audiences que les jeux plus de combats plus viscéraux, leurs succès, pour un indépendant, rappellent aux éditeurs qu’une autre vision de la guerre et de relations internationales est possible. Une vision loin de l’héroïsme, mais plus proche de l’Homme dans sa complexité face à ces évènements qui le dépassent.


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