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Conférence sur la sécurité - Munich 2024




Publié par Irnerio Seminatore le 4 Mars 2024

« Le renforcement de l’ordre international fondé sur des règles ». Un revirement stratégique allemand ?



Le concept de sécurité et le pouvoir normateur

MSC
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La conférence sur la Sécurité de Munich (CSM) ou « conférence sur les savoirs de défense » à l’origine (Wehrkundetagung), qui se tient annuellement à Munich depuis 1963, réunie chefs d’État et de gouvernement, des ministres de la Défense, des chefs d’État-major et d’experts et analystes des pays de l’OTAN, de l’UE, d’Europe, de la Zone euro atlantique et d’ailleurs. Son panel a pu compter sur des interventions de A.Blinken, O.Scholz, A. Bearbocken, A Gutierrez, J.Stoltemberg, V. Zelensky, K.Harris, etc. Même Poutine s’y est exprimé en 2007 pour dénoncer l’unilatéralisme américain. On définit ce Forum de « Davos de la politique » pour son caractère globaliste. Cette année (du 16 au 18 février) le thème central du débat a été le « renforcement de l’ordre international basé sur des règles » et ce sujet résonne particulièrement dans les esprits car les règles et la sécurité ne font pas bon ménage, sauf contrainte. En effet peut-on définir la sécurité comme un endiguement juridique de la violence ? Les juristes les plus prestigieux, Kelsen et Schmitt, ne se sont pas accordés sur l’existence d’un pouvoir normateur central du système international, ni dans la définition des relations internationales, ni encore sur le lien entre géopolitique et géostratégie, autrement dit entre espace politique, acteurs étatiques ou exotiques et violence militaire. Par ailleurs, les politistes hésitent dans la définition de la relation entre droit et politique et dans la conception de « l’ordre » comme valeur de référence. Bien convaincu d’enrayer les multiples conflits qui sévissent dans la conjoncture actuelle, le comité organisateur a assumé la définition établie de l’ordre existant, de telle sorte que la sécurité géopolitique hégémonisée par un acteur prépondérant du système (les États-Unis) doit être rétablie contre les atteintes d’un ou de plusieurs acteurs perturbateurs et hostiles venant de l’ile centrale du monde ou Heartland (Russie et Chine). Ces derniers seraient des puissances révisionnistes remettant en cause l’organisation géopolitique du monde issu de l’effondrement de l’Union soviétique et du droit international public, antérieur à la première et à la Deuxième Guerre mondiale. En fait, la paix, menacée dans plusieurs zones de conflit, à partir de l’Ukraine, constitue l’expression d’une inadéquation des rapports de forces mondiaux et du système juridique qui en garantit la stabilité. C’est bien la sécurité qui exige une refonte globale des rapports d’influence et de pouvoir en Europe, en Eurasie et en Extrême-Orient. Or si le « concept de sécurité » peut être défini comme une « absence de menaces sur les valeurs centrales » (A.Wolfers), en réalité le renforcement de l’ordre international fondé sur des règles considérées comme acquises est marqué par un ensemble de « ruptures de la paix » qui ont porté atteinte à la légitimité hégémonique et ces atteintes se sont signalées par un continuum d’antinomies et de conflits contre les conceptions unilatéralistes dominantes depuis la fin de la « guerre froide ». Bien qu’occultées et relativisées par rapport à d’autres problématiques (économiques, idéologiques, environnementales), ces ruptures ont été présentées comme défis à l’ordre dominant du droit et des relations internationales et guère comme des antagonismes à la hiérarchie des pouvoirs et des rapports mondiaux de force.

Antinomies, ruptures et discontinuités

Nous énumérons ci-après une succession de discontinuités événementielles qui continuent de caractériser le processus historique contemporain, après la dislocation de L’Union soviétique (26 décembre 1991).
1999 fin du conflit du Kosovo opposant Serbes et Kosovars suite à l’intervention de l’OTAN sans mandat onusien ; 2001 attentat terroriste aux Tours Jumelles du World Trade Center de New York ; 2003 conflit d’Irak par l’invasion américaine contre Saddam Hussein qui a comporté la polarisation de la population en deux communautés selon des lignes ethniques et religieuses ; 2005 révolutions de couleur des années 2000 symbolisant une forme de combat politique dans l’espace est-européen et postsoviétique. Elles s’inscrivent dans une dynamique d’antagonismes appelée « révolutions rose » en Géorgie, « orange » en Ukraine, « des Tulipes » au Kirghizstan, et « du jasmin » en Tunisie, soutenues depuis l’étranger (le tiers non engagé de carl Schmitt) ; 2007 déclarations de Poutine à Munich dénonçant l’unilatéralisme américain ; 2008. La guerre russo-géorgienne (également connue sous le nom de seconde guerre d’Ossétie du Sud) ou conflit opposant la Géorgie à sa province séparatiste d’Ossétie du Sud et à la Russie. 2014 MaÏdan, ou révolution « orange », née de révoltes promues en novembre 2013 contre le refus de V. Janoukovitch de signer des accords d’association à l’Union européenne, ayant comporté sa destitution et la chute du gouvernement (ou un coup d’État fomenté par l’Occident) Début d’une crise violente et durable (2014-2024) entre la Russie et l’Ukraine, l’occupation de la Crimée et du Dombass et deux tentatives de compromis, non respectés de Minsk 1 et 2. 2022 Opération spéciale (préventive) d’occupation russe en Ukraine ; 2023 Elargissement de l’OTAN à Suède et Finlande, conflit Hamas-Israël ; 2024 Elections aux USA, en Russie et au P.E.
Ces épisodes de rupture de la vie internationale ont eu un trait commun, la remise en cause de l’ordre mondial issu de l’effondrement de l’Union soviétique, devant mettre au ban, par un changement non violent, les régimes politiques en place. L’échec de ces tentatives a fait prendre conscience des conditions de légitimation du pouvoir, qui sont le recours à la force, en défense des valeurs ou des intérêts, ou des deux à la fois. Or les catégories conceptuelles auxquelles les pays vainqueurs de la confrontation bipolaire firent référence ont été de type « hégémonique et unilatéraliste » et relèvent des analyses conflictualistes des relations internationales.
Pour mieux appréhender le sens des changements d’aujourd’hui, les comparants à ceux des années 90', voici les recommandations de Zbignew Brzezinski, dans son livre, « Le grand échiquier ». Il y expose les nouvelles « règles » du jeu géopolitique, les expliquant par des commentaires de « réalisme » inhabituel, qui nous permettent de comprendre aisément les axes d’évolution des conflits actuels. À propos de l’Ukraine, comme étape forcée de l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN, la partition du jeu qui se déploie en 2023/24 avait été déjà anticipée efficacement par Z.Brzezinski en 1997. Les « nouvelles règles » de sécurité liaient d’un fil étroit et cohérent l’Europe de l’Est, la Russie et l’Eurasie.

Zbignew Brzezinski, l’Eurasie et la décentralisation de la Russie

Voici, en peu de mots ce que Brzezinski recommandait à l’époque :
- « Pour l’Amérique l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie… Dans ce nouveau cadre, l’Ukraine occupe une position cruciale, du fait même qu’elle peut permettre ou empêcher au cœur de l’Eurasie et autour de la Russie, l’émergence d’une puissance contestant la suprématie des États-Unis. L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien, devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. L’Asie centrale, le Caucase, les “Balkan eurasiens” et leurs ressources énergétiques sont au cœur de la stratégie états-unienne, mais l’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN est en cours (1997). À terme – se poursuit-il –, l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces deux organisations ».
 
- « L’Eurasie demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l’Amérique pourrait éventuellement apparaître (Z. Brzezinsli songe à la Russie et à la Chine). L’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l’Iran constituent des pivots géopolitiques cruciaux. La longévité et la stabilité de la suprématie américaine sur le monde dépendront entièrement de la façon dont ils manipuleront ou sauront satisfaire les principaux acteurs géostratégiques présents sur l’échiquier eurasien. »
 
- En ce qui concerne la Russie, « une Russie plus décentralisée aurait moins de visées impérialistes. Une confédération russe plus ouverte, qui comprendrait une Russie européenne, une République de Sibérie et une République extrême-orientale, aurait plus de facilités (avec l’Europe, les États-Unis, les États émergents, l’Extrême-Orient) ». L’hypothèse d’une “décentralisation (démembrement N.D.R)” de la Russie pousse à l’époque le gouvernement des États-Unis à préférer des relations directes avec les différents États plutôt qu’avec Moscou.
 
La réaction de Poutine se manifesta fermement dans son allocution de 2007 à Munich et militairement en 2008 en Géorgie. A posteriori et très récemment, la conscience sur le déroulement de la stratégie suggérée par Z.Brzezinski en Ukraine transparaît très clairement de l’interview accordée par Poutine au journaliste néo-conservateur américain Carlson Tucker ancien de Fox News le 9 février 2024, accusé d’« idiot utile » par Hillary Clinton.

Les interventions du Chancellier allemand O.Scholz et de la ministre des Affaires étrangères Mme A.Baerbock

Concernant la période actuelle et intervenant indirectement à Munich et sournoisement dans la campagne électorale américaine de novembre prochain, Poutine fait appel à l’influence de plusieurs tendances, comme messages « soft » et « hard » adressés aux électeurs américains, le déclin hégémonique des États-Unis, la montée en puissance de la Chine, la « rupture » civilisationnelle de la Russie et la désoccidentalisation du monde. Le forum de Munich prolonge la lecture, nécessairement « intéressée » du commerce politique est-ouest. Nous nous limiterons aux interventions de Sholz et d’Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères. Annalena Baerbock, a estimé, à contre-courant de tout esprit d’apaisement, que l’Union européenne devrait s’élargir pour réduire sa vulnérabilité. Oubliant délibérément que tout élargissement politique est un élargissement du conflit, Mme Bearbock justifie ses déclarations par l’affirmation que la Russie « de Poutine continuera d’essayer de diviser non seulement l’Ukraine, mais aussi la Moldavie, la Géorgie et les Balkans occidentaux ». « Si ces pays peuvent être déstabilisés en permanence par la Russie, cela nous rend tous vulnérables. Nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir des zones d’ombre en Europe », ajoute-t-elle. Indépendante, insoumise et radicalement combative Mme Baerbock est en posture de concurrence vis-à-vis du Chancellier fédéral censé dicter la ligne de politique générale du gouvernement. Première femme à la tête du ministère des Affaires étrangères allemand elle semble « respecter la traditionnelle mainmise de la chancellerie, sans pour autant renoncer à ses propres idées», explique à l’AFP le politologue Gero Neugebauer, tandis que M. Scholz n’entendrait pas se « laisser dicter les principes fondamentaux de la diplomatie allemande». Plus prudente et temporisatrice la position du chancelier allemand, qui a fermement mis en garde contre tout relâchement de la volonté de défense commune au sein de l’OTAN. « Toute relativisation de la garantie d’assistance de l’OTAN ne profite qu’à ceux qui, comme Poutine, veulent nous affaiblir », a-t-il déclaré dans son discours de samedi. Scholz a également appelé les partenaires de l’UE à accroître leur aide financière à l’Ukraine et il a ajouté que l’Allemagne avait presque doublé son aide militaire, qui s’élève désormais à plus de sept milliards d’euros, et qu’elle s’était engagée à verser six milliards supplémentaires.

Une défense paneuropéenne commune face à la « menace » russe ?

À l’image des dirigeants de l’UE français et allemands, les leaders européens ont durci le ton face à Moscou, insistant non seulement sur la nécessité d’aider davantage l’Ukraine, mais aussi d’augmenter leurs propres capacités de défense. Tous les décideurs européens partagent le constat que l’Europe, dans son ensemble est impuissante, désunie et désarmée et qu’une série de défis cumulés imposent une politique de défense européenne et donc un autre modèle de la vieille culture de combat. Face à la convergence des intérêts russo-américains et à l’agenda convergent des priorités Trump-Poutine, l’Union européenne – affirment-ils – doit être prête à faire la guerre et doit également développer des politiques industrielles de défense paneuropéenne communes. Cet objectif est lisible dans les déclarations du Chancellier Scholz en ce qui concerne le réarmement industriel de l’Allemagne et, par conséquent, la remise en cause du modèle économique de la République fédérale et de ses relations de bon voisinage avec la Russie. La redécouverte de la réalité et celle du déni de guerre à l’est, imposent un virage stratégique majeur et impliquent une réflexion approfondie sur l’indépendance politique et l’autonomie capacitaire du continent face à l’Amérique et au sein de l’espace euroatlantique, avec un remodelage des responsabilités en cas de crise, un élargissement de la couverture assurée par la dissuasion nucléaire et un autre modèle d’armée, avec un retour de la relation armée-Nation et de la notion de citoyen-soldat. Ainsi, derrière l’exposé de Scholz, pourrait se cacher un virage stratégique majeur de la politique de défense allemande et européenne. Ce virage résulterait de la convergence de deux différentes perceptions de la menace, une géopolitique (Poutine) et l’autre géostratégique (Trump, par la remise en cause de l’art.5 de l’OTAN). L’Europe n’aurait d’autres solutions que celle antique et toujours actuelle de Végèce, écrivain militaire romain de la fin du IVe siècle p. Ch, contenu dans son traité « Sur l’art de la guerre » : « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix prépare la guerre !) Ainsi, dans une réalité européenne et internationale menaçante, on est entrés dans l’ère des instabilités permanentes, annoncées par le flottement des « blocs instables » et par des revendications géopolitiques multipolaires.

Lecture actualisée du « Forum de Munich 24 » et de la situation actuelle selon les concepts de « Guerre et Paix, hostilité, état intermédiaire et guerre totale » de Carl Schmitt. Qui est l’agresseur ?

Or, dans cette phase de préparation à la guerre (mondiale), ce qui est permanent, dans l’antagonisme séculaire entre Heartland et Rimland (1re et IIe G. M.), est la figure de l’ennemi (la puissance montante), par rapport à celle de guerre. En effet comme nous l’explique Carl Schmitt, l’existence d’une hostilité subsistante, au-delà de la cessation des hostilités immédiates (dislocation de l’URSS, chute du mur de Berlin) est le sentiment d’hostilité, qui est manifestement le présupposé de l’état de guerre future (en préparation). En effet « Bellum manet, pugna cessat » (le concept politique de guerre, l’antagonisme reste, le combat physique cesse). L’hostilité actuelle (vis-à-vis de la Russie et, en subordre de la Chine,) tend à glisser progressivement vers son aboutissement inéluctable, une guerre totale, puisqu’elle ne résulte pas d’un traité, d’une norme, ni du droit international, mais du jugement du vainqueur (la puissance dominante puis hégémonique), condamnant le vaincu (dans les années 1900-1945 l’Allemagne montante, puis de 1945 à 1991, l’Union soviétique). Ce glissement vers la guerre totale est par ailleurs repérable dans le bannissement, l’ostracisme, l’isolement, les proscriptions, les stigmatisations, les sanctions, les mises hors la loi, de celui qui a été désigné comme l’ennemi de la communauté internationale, bref l’agresseur. En effet l’agresseur, et le fauteur de guerre, selon le droit international est celui qui viole une frontière, ne respecte pas une procédure, un traité ou des accords légalement stipulés. Ainsi dans les catégories du droit pénal et criminel, l’auteur de ces actes délictueux est un criminel, indépendamment des provocations et des incitations pourtant très fortes à l’accomplissement des recommandations de géopoliticiens reconnus (Brzezinski). Et le jugement que l’histoire portera sur les décisions de paix ou de guerre dans les relations diplomatiques et militaires ne pourra pas être tranché par un quelconque tribunal international, pour des crimes déjà antérieurement assignés au profit des puissances qui dictent le droit. Or, l’extension de l’idée de guerre à la mise en œuvre préalable et indiscriminée de l’hostilité dans des domaines non militaires (sanctions économiques, financières, de libre circulation des personnes et des biens, information, informatisation, et intelligence, collaboration scientifique, contrôle des réseaux, du monde universitaire et des médias), crée un « état intermédiaire de non-paix – non-guerre », mais plus proche de la belligérance (envoi d’armes, de subsides, de faux volontaires, de bataillons sans drapeau, d’entrainement de forces d’élite, des appuis des « tiers – non engagés », comme dans les révolutions de couleur, de saboteurs et de « rangers »), qui permet de cacher la vérité de la guerre directe. Dans les conditions actuelles d’une guerre « hybride », les situations intermédiaires deviennent présomption de droit et fictions proliférantes. Dans les nouvelles conditions du monde où les religions se colorent de politique, l’état intermédiaire entre guerre et paix fausse tous les jugements, de telle sorte que la paix ou l’idée de paix deviennent des fictions juridiques, dissociées de la volonté de vaincre et de « l’animus belligerandi », comme il a été fait au « Forum de Munich », et ce qui reste de ce cumul de défis, intellectuels et politiques, est le concept d’hostilité, comme fondement et prélude à la guerre mondiale et totale.



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