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Réarmement : à l’État maintenant de soutenir les PME et ETI du secteur de la Défense 




le 21 Mai 2025

L’effort de guerre promis par le président Emmanuel Macron face à la une potentielle menace russe agite l’industrie de la Défense française. Si la volonté politique est là, l’État va devoir prendre des décisions pour soutenir financièrement certains pans de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Surtout en faveur des PME et ETI du secteur.



Tous les ministres sont sur la même longueur d’ondes. « La question n’est pas la pertinence des orientations stratégiques de notre loi de programmation militaire, mais son rythme d’exécution », soulignait Sébastien Lecornu , le ministre des Armées, emboîtant le pas d’Emmanuel Macron qui venait d’appeler ses partenaires européens à mettre les bouchées doubles pour « l’effort de guerre ». Quelques semaines plus tard, c’est au tour du ministre de l’Économie Éric Lombard de mettre une proposition sur la table, avec un placement d’épargne destiné à monsieur Tout-le-monde : « Un nouveau fonds va être créé par BPI France et les Français pourront par des tickets de 500 euros placer leur argent. D’autres fonds privés seront mis à disposition pour celles et ceux qui le veulent et ont de l’épargne à long terme. Ce seront des bons placements, car nous devrons dans la durée augmenter notre effort de Défense. » Objectif : mobiliser plusieurs milliards d’euros en faveur des entreprises privées du secteur, PME et ETI en tête.


L’effort de guerre demandera des investissements

La réflexion n’est pas nouvelle. Sur fonds de guerre en Ukraine, l’industrie française a déjà changé de braquet, mais doit encore aller plus loin. Selon Emmanuel Chiva , délégué général pour l’armement (DGA), « il faut simplifier nos procédures d’achat, les décentraliser, et surtout introduire un critère nouveau : la capacité à produire vite et en masse, ce qui va nous pousser à faire alliance avec des industries civiles pour concevoir des chaînes de production plus massives que ce que savent faire les professionnels de l’armement ». Dans la logique de la DGA, produire vite et en masse pour le court terme, et concevoir des armements innovants à long terme, sont les deux mamelles de la souveraineté de la Défense française à l’heure où la Défense européenne peine encore à voir le jour. En décembre dernier, la DGA a d’ailleurs mis la main à la poche, débloquant par exemple 600 millions d’euros pour de nouveaux systèmes de défense sol-air, nécessaires notamment dans la lutte antidrones. 

 

La guerre en Ukraine a changé beaucoup de choses dans les doctrines militaires des pays européens, prédominance des drones oblige. Ce théâtre d’opération a également remis à l’honneur la production massive d’obus de 120 et 155mm. Dans ce domaine, une ETI française est en train de se distinguer : Europlasma, qui a repris les Forges de Tarbes dans les Hautes-Pyrénées en 2021 alors qu’elles étaient en redressement judiciaire. Grâce au carnet de commande rempli par l’État français, les Forges ont redémarré. « Nous sommes passés d’une production quasi à l’arrêt en 2022 à pas loin de 60000 corps d’obus en 2024, détaille Jérôme Garnache-Creuillot , PDG d’Europlasma. En ce moment, notre rythme est de 2000 obus par semaine et on a l’ambition à la fin de l’année 2025 d’en produire 15000 par mois. » Sans la guerre en Ukraine, ce site industriel serait probablement mort. Si l’État n’a pas directement soutenu l’entreprise par des prêts ou des subventions, passer commande a donc permis aux Forges de Tarbes de s’en sortir, et de participer pleinement à « l’effort de guerre » appelé de leurs vœux par les pouvoirs publics. 

 

Mais ce cas n’est pas la règle générale. Pire, certaines entreprises tricolores de la base industrielle et technologique de défense (BITD) sont menacées de passer sous pavillon étranger. Là, l’État aurait un rôle évident à jouer pour éviter de perdre des éléments constitutifs de notre souveraineté stratégique. C’est le cas de l’entreprise Eolane qui fournit deux poids lourds de la BITD française, Thales et KNDS. Basée à Angers, dans le Maine-et-Loire, l’entreprise attend avec anxiété la décision du Tribunal de commerce de Paris qui devrait tomber le 18 avril. Seuls deux repreneurs sont encore en lice : le groupe suisse Cicor – qui semble tenir la corde – et le groupe lyonnais Synov. Le dénouement approche, et voir partir ce fleuron de la conception et de la fabrication d’équipement électroniques sous pavillon helvétique ferait tache. « On a manqué d’une vraie stratégie industrielle ces dix dernières années, ce qui fait qu’on n’est pas assez compétitifs, déplore un syndicaliste , membre du comité social et économique (CSE) d’Eolane. Aujourd’hui, nos usines d’Angers et de Combrée ne sont utilisées qu’à 50% de leur capacité, alors qu’elles ont les compétences et les habilitations pour la Défense. C’est un peu schizophrène de voir qu’au moment où tout le monde cherche de la capacité de production de Défense, on ne les mobilise pas plus et qu’on contraire on y licencie du personnel. » L’appel du pied est clair : il serait bienvenu que l’État français mette sa politique de soutien financier en adéquation avec son discours pro-réindustrialisation et pro-soutien au secteur de l’armement dans son ensemble et non pas limité à quelques acteurs majeurs. Un secteur qui doit rester souverain comme le soulignent depuis des années certaines élites industrielles et politiques de notre pays parmi lesquelles on compte Antoine Bouvier, Directeur de la stratégie, des fusions acquisitions et des affaires publiques chez Airbus ou encore Thomas Courbe, Directeur général des entreprises qui dès 2020 soulignaient lors d’une table-ronde l’importance de garantir l’indépendance de la BITD malgré les inévitables obstacles. 


Ces entreprises stratégiques de rupture en mal de soutien 

L’appui aux entreprises stratégiques d’autres secteurs est devenu également – depuis peu – un mantra national, avec pour certaines un rôle essentiel dans la souveraineté de l’industrie de l’armement. Cette dernière est par exemple une grosse consommatrice d’éléments électroniques, microprocesseurs et autres semi-conducteurs, sans la maîtrise desquels il est illusoire de prétendre à une quelconque souveraineté. Là aussi, la France dispose d’entreprises de pointe, mais qui peinent parfois à atteindre la taille critique qui leur permettrait de s’assurer de la maîtrise technique d’un savoir-faire de très haute technologie que seuls les Chinois, les Taiwanais, les Sud-Coréens et les Américains ont acquis aujourd’hui. Dans ce secteur, l’entreprise SiPearl à Maisons-Laffitte dans les Yvelines est à un moment clé de son histoire. Lancé dans la conception du premier microprocesseur de calcul intensif européen, le fabricant francilien avait réussi une importante levée de fonds en 2023 (90 millions d’euros). Suivant depuis lors son plan de marche, même si elle accuse le retard que connaissent toutes les entreprises de pointe, l’entreprise a impérieusement besoin de soutien financier alors qu’elle s’approche de son but. « SiPearl est une entreprise "deep tech", c’est-à-dire que le développement du premier produit requiert plusieurs années, souligne Philippe Notton , PDG de SiPearl. Sur le plan technique, nous réalisons quelque chose qui n’a jamais été fait en Europe. Il y a donc une courbe d’apprentissage où des expérimentations sont lancées, des erreurs sont parfois commises. À force de travail et de moyens – humains et financiers –, le retard naturel sera rattrapé et SiPearl n’aura aucun complexe à avoir vis-à-vis des géants actuels du secteur. » Les aléas de la recherche sont surmontés et l’entreprise dispose aujourd’hui d’une équipe de pointe unique en son genre en Europe. Une garantie à l’avenir car rappelons, par exemple, que la dissuasion nucléaire nécessite, entre autres, de disposer de supercalculateurs pour la simulation et la conception des armes nucléaires. C’est pour cela que l’État a repris des supercalculateurs d’Atos qui auraient pu tomber dans l’escarcelle d’une société étrangère.  

 

La locomotive est lancée, l’effort de guerre de l’État français n’a pas le droit de retomber. Comme pour la révolution de l’intelligence artificielle, le secteur de l’armement connaît des avancées technologiques telles, que, si les entreprises françaises ratent le coche, le retard accumulé sera rédhibitoire. Comme pour tous les secteurs d’activité, le nerf de la guerre reste évidemment l’investissement privé et le soutien public. Plusieurs pistes sont à l’étude : le fameux plan d’épargne précité, mais aussi un programme de 1,7 milliard d’euros mobilisés par la Caisse des dépôts et Bpifrance, comme l’ont annoncé Éric Lombard et le Premier ministre François Bayrou le 20 mars dernier. Même stratégie du côté de Bruxelles qui promeut l’idée d’un fonds européen dédié à la Défense. Des initiatives concrètes sont lancées à l’image de la Banque européenne d’investissement (BEI) qui a élargi il y a quelques semaines les critères d’admissibilité pour les investissements dans le domaine de la sécurité et de la défense . Des technologies duales peuvent désormais être (beaucoup plus) facilement financées et l’Europe montre une nouvelle fois que le temps de l’insouciance (stratégique) est révolu. L’heure est l’union et à l’action.  




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