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Un « Airbus naval » est-il encore possible en Europe ?




Publié par François Dutertre le 5 Avril 2019

En Europe, l’idée d’une grande alliance des constructeurs navals – à l’image d’Airbus pour le transport aérien civil ou de MBDA pour les missiles – est un véritable serpent de mer. Mais un tel projet est-il encore possible pour ce Vieux continent qui voit désormais débarquer de féroces concurrents des quatre coins du globe ?



Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : la réponse est oui. Les motivations à long terme sont économiques et très concrètes car il s’agit purement et simplement d’assurer un avenir à notre industrie navale de défense. Les partisans d’un Airbus naval européen font entendre leur voix depuis plusieurs années dans ce sens. Deux entreprises sont même passées à l’acte en 2018. En septembre dernier, le Français Naval Group (ex-DCNS) et l’Italien Fincantieri ont signé la première étape d’un partenariat européen, avec la constitution d’une entreprise commune, FlotLog (pour Flotte logistique). Paris est le premier à mettre la main à la poche, avec une commande initiale de quatre pétroliers ravitailleurs pour la marine nationale française. Valeur : 430 millions d’euros pièce, pour des livraisons prévues entre 2023 et 2029.
 
Comparaisons et perspectives
 
1951. Six pays fondent la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ancêtre de la CEE puis de l’Union européenne. Ils étaient seulement six sur la ligne de départ, avec des objectifs bien limités. Soixante ans plus tard, la petite épicerie européenne a bien grandi. 1967, rebelote. Cette fois, Allemands, Français et Britanniques mettent leurs œufs aéronautiques dans un panier tout neuf : Airbus. En 1996, germe l’idée de la création d’un leader européen des missiles : le futur MBDA. L’actuel numéro deux mondial des missiles (derrière l’américain Raytheon) est né de la fusion progressive de sociétés françaises, italiennes, anglaises et allemandes : Alenia Difesa, Matra Défense, Aérospatiale, BAe Dynamics, Alenia Marconi Systems et enfin LFK GmbH. La réussite de MBDA est emblématique des opportunités de rapprochement à l’échelle européenne, à tel point qu’il serait aujourd’hui difficile de définir la nationalité de cette entreprise autrement que comme… européenne. En dépit du côté éminemment stratégique de l’activité missiles, les Etats participants n’ont pas hésité à unir leur force et rassembler leurs compétences nationales au sein d’une entreprise commune, dont la pérennité ne fait aujourd’hui pas de doute.
 
Toutes proportions gardées, l’association franco-italienne entre Naval Group et Fincantieri ressemble beaucoup à ces deux derniers cas : avec l’esprit des pères fondateurs en guise de motivation, les partenaires ont soulevé des montagnes et ont largement dépassé les premières attentes. D’autres entreprises venant de pays européens pourront certainement rejoindre ce premier attelage. L’histoire va dans ce sens. Dans le domaine de l’industrie militaire, l’année 2018 aura vu naître un autre duo chez les constructeurs de tanks : le Français Nexter et l’Allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) ont créé KNDS. Dans un premier temps, cette nouvelle entreprise est en train de développer un char répondant au nom de EMBT – l’époque semble être aux acronymes – pour Euro Main Battle Tank. Celui-ci viendra remplacer le fameux char Leclerc de fabrication française, et le Leopard 2 de fabrication allemande. L’Europe compte un troisième constructeur de tanks, le Polonais Obrum qui produit par exemple le PT-91, un dérivé modernisé de T-72. A l’annonce du mariage franco-allemand, le vice-ministre polonais de la Défense, Tomasz Szatkowski, n’a pas caché son intérêt pour cette démarche. « Oui, nous souhaitons participer au projet européen d’un char de nouvelle génération et nous le communiquons ouvertement à nos alliés », s’est avancé le vice-ministre dans une interview au site Defense24.pl.pl . Ce cas confirme une chose : un partenariat initial entre deux acteurs majeurs peut donner des idées à d’autres entreprises, à la fois concurrentes et partenaires potentielles, dans ce secteur extrêmement sensible.
 
Pourquoi se rapprocher ?
 
Pour être plus fort à l’international, et préserver la souveraineté européenne tout simplement. Les enjeux dépassent les frontières du Vieux Continent. Car ce qui sera certainement valable pour les bateaux l’est déjà pour les tanks européens. Frank Haun, PDG de KMW (le partenaire allemand de Nexter pour le futur char européen) explique le pourquoi du rapprochement franco-allemand : « Le projet EMBT est avant tout destiné à l’exportation, dans un contexte marqué par la concurrence – rude – de la Chine, de la Russie, de l’Ukraine, de la Corée du Sud, voire bientôt de la Turquie. » Un seul mot d’ordre donc : prendre un temps d’avance sur ses concurrents, consolider ses parts de marché et être plus performants en termes d’exportation. Les navires de guerre ne font pas exception, mais partent de plus loin : cinq acteurs majeurs s’affrontent sur le marché européen et sur les marchés exports, avec de produits qui, sans être similaires, sont tout de même souvent proches. L’idée de départ est simple : et si certains pays européens parlaient d’une seule voix sur ces marchés, avec des produits compétitifs produits par et pour les grandes marines européennes. Certes, les flottes européennes ne concurrencent pas en tonnages les flottes américaines et bientôt chinoises (avec la Russie et Inde en l’embuscade). Mais la dispersion de l’offre est aujourd’hui un handicap supplémentaire, avec une multiplicité des produits, préjudiciables à la cohérence de l’offre et construits souvent en petites séries moins compétitives que leurs contreparties extra-européennes.
 
Mais ce handicap n’est pas une fatalité. « Nous avons une double ambition : à la fois offrir à nos deux pays les meilleures technologies, au meilleur prix, pour garantir la supériorité de nos marines, et être capables d’avoir une présence mondiale suffisante pour assurer notre compétitivité », expliquait Hervé Guillou, PDG de Naval Group, en octobre 2018 au lendemain du lancement du projet franco-italien. Assis à côté de lui, Giuseppe Bono, PDG de Fincantieri, est allé dans le même sens, pointant du doigt la nécessité d’être compétitifs lors d’appels d’offre internationaux : « Ce n’est pas facile de mettre sur pied un rapprochement entre deux sociétés de cette ampleur, aussi bien du point de vue de l’organisation que du point de vue politique, par rapport à nos gouvernements respectifs (ndlr : voir la crise diplomatique actuelle entre Paris et Rome), souligne l’entrepreneur italien. Nous avons décidé de mettre dans la corbeille commune non seulement la recherche et le développement, mais aussi l’approvisionnement, les projets binationaux… Nous avons surtout décidé de collaborer plus étroitement à l’export. » Ce qu’avaient parfaitement réussi Airbus et MBDA en leur temps, avec le succès que l’on sait aujourd’hui. D’autres secteurs s’y sont essayés avec à nouveau des succès notables, et surtout la préservation d’une part essentielle de la BITD européenne. Qu’attend-on désormais pour élargir ces succès à la construction navale ?



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