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"Notre système de sélection fabrique des gestionnaires de symboles, pas des producteurs de résultats." Sebastien Laye




Publié par La Rédaction le 13 Octobre 2025

Publié chez Valeurs Ajoutées Éditions et préfacé par Pierre-Édouard Sterin, Des moutons menés par des ânes de Sébastien Laye est une observation et une critique d'un pays miné par la dette, la désindustrialisation, l’impuissance réformatrice et dresse le constat d’un modèle économique à bout de souffle. Dans cette interview, nous sommes allés à la rencontre de l’économiste qui appelle à rompre avec trente ans d’illusions technocratiques et à refonder une économie productive, fondée sur l’investissement, la stabilité et la souveraineté.



Pourquoi la France produit-elle des dirigeants « hors-sol », selon vous ?

Parce que notre système de sélection fabrique des gestionnaires de symboles, pas des producteurs de résultats. La chaîne concours–grandes écoles–corps d’État valorise l’abstraction, l’optimisation de dossiers et la maîtrise des rituels administratifs, bien plus que la confrontation au réel économique. Les carrières se construisent dans des organisations où l’on gravit des échelons en minimisant les risques, en pilotant des indicateurs plutôt qu’en assumant des P&L. À cela s’ajoute la rotation rapide entre cabinets, autorités indépendantes et grands groupes parapublics, qui entretient des incitations perverses : on apprend à parler la langue des normes et des subventions, pas celle des coûts, des délais et des clients. Résultat : des dirigeants « hors-sol », couchés sur des tableurs, promptes à communiquer, lents à décider, et qui confondent stabilité institutionnelle et immobilisme. Ils gèrent la rareté au lieu d’organiser l’abondance.

 

Quelles différences voyez-vous avec les élites anglo-saxonnes ?

Dans le monde anglo-saxon, le filtre ultime reste le marché : la réputation se gagne et se perd sur des objectifs mesurables, et l’on retourne plus facilement « au privé » après l’échec. Les parcours mêlent cabinets de conseil, scale-ups, fonds, administration, universités : la porosité est réelle, et les idées se testent dans des environnements compétitifs. La gouvernance est plus exigeante : conseil d’administration responsabilisé, transparence actionnariale, sanctions rapides. La culture du « skin in the game » rend plus coûteuses les erreurs répétées. En France, la carrière publique protège, la hiérarchie amortit, la communication précède l’action. La dépendance à la dépense publique maintient des secteurs entiers à l’abri de la concurrence ; l’élite administrative peut ainsi « réussir » sans jamais affronter le verdict d’un client, d’un investisseur ou d’un électeur informé par des résultats tangibles.

 

Pourquoi les Français continuent-ils à voter pour ces mêmes élites malgré leur bilan ?

Parce qu’on leur propose un choix organisé autour de la peur : peur de l’instabilité, peur des « extrêmes », peur des marchés, et promesse, en échange, d’une gestion rassurante des risques. Le récit dominant transforme l’État en assureur universel : quoi qu’il arrive, la collectivité amortira. Dans un pays marqué par la désindustrialisation et l’insécurité matérielle, ce récit séduit — et la communication gouvernementale exploite cette aversion au risque. À cela s’ajoute une fragmentation politique entretenue, un système médiatique concentré et une mécanique électorale qui permet de gagner avec une minorité sociologique stable, tant que l’abstention reste élevée. Enfin, nombre d’électeurs n’achètent pas un programme mais « achètent du temps », espérant qu’un cycle meilleur ou l’Europe compensera les défaillances nationales. L’élite reconduit son mandat en vendant la stabilité à crédit.

 

Quelle place devraient avoir les entrepreneurs, les chercheurs, les acteurs de terrain dans le pouvoir ?

Une place centrale et institutionnalisée, pas anecdotique. D’abord, au niveau stratégique : intégrer des comités économiques indépendants, dotés de mandats publics et d’objectifs mesurables (productivité, investissement, délais d’exécution), où siègent entrepreneurs, ingénieurs, chercheurs et praticiens sectoriels. Ensuite, au niveau opérationnel : co-construire les politiques industrielles, énergétiques, d’innovation, via des « contrats de mission » liant financements publics, co-investissement privé et résultats audités. Enfin, au niveau de la haute fonction publique : ouvrir systématiquement les postes de direction à des profils passés par l’entreprise ou la recherche, imposer des allers-retours de carrière, évaluer à l’issue des mandats sur des indicateurs concrets (coûts, délais, impact). Le message doit être clair : le pouvoir ne récompense plus la simple maîtrise des procédures, il récompense la création de valeur mesurable pour la nation. Sans cette réorientation, nous resterons gouvernés par des commentateurs de l’économie plutôt que par ses constructeurs.

 

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