Une flotte conçue pour l’opacité et l’évitement
Selon des sources ouvertes recoupées par plusieurs centres d’analyse européens, la flotte fantôme russe regroupe plusieurs centaines de pétroliers vieillissants, acquis via des structures écrans, enregistrés sous pavillons de complaisance et opérant avec des propriétaires difficilement traçables. La désactivation volontaire des systèmes AIS, les changements fréquents de noms et de registres, ainsi que les transbordements en mer constituent le socle opérationnel de cette architecture d’évitement. Si ces pratiques sont connues depuis 2022, leur persistance et leur montée en puissance témoignent d’une industrialisation du contournement des sanctions, dans un contexte où Moscou considère désormais le domaine maritime comme un espace de confrontation indirecte.
Moran Security et l’héritage Wagner à bord des pétroliers
Les éléments les plus récents concernent la présence avérée de personnels armés de Moran Security à bord de plusieurs navires de cette flotte. Sanctionnée par les États-Unis en 2024 pour ses liens avec des entités étatiques russes, cette société de sécurité privée emploie d’anciens membres ou affiliés du groupe Wagner, dissous formellement mais dont les réseaux humains restent actifs. À bord des pétroliers, ces agents sont souvent les seuls ressortissants russes, intégrés au sein d’équipages multinationaux. Leur rôle ne se limite pas à la protection du navire : plusieurs sources font état de missions de surveillance des capitaines étrangers, de contrôle de conformité aux instructions russes et de collecte d’informations sensibles, notamment par la prise de photographies d’infrastructures militaires européennes depuis la mer.
Le cas du Boracay, révélateur d’un usage dual
Le pétrolier Boracay illustre de manière emblématique cette dérive stratégique. Ce navire, sanctionné par les autorités occidentales, a connu une succession rapide de changements d’identité et de pavillon. En septembre dernier, deux ressortissants russes aux profils sécuritaires affirmés ont embarqué à Primorsk, sur la Baltique. L’un d’eux est identifié par les services ukrainiens comme un ancien policier russe lié à Wagner. Leur présence a coïncidé avec des signalements de drones à proximité de l’espace aérien danois et des fermetures temporaires d’infrastructures civiles, sans que le lien opérationnel ne soit formellement établi à ce stade. L’arraisonnement ultérieur du Boracay par les autorités françaises au large de Saint-Nazaire s’inscrit dans une enquête plus large sur ses activités et son régime d’immatriculation.
De la logistique pétrolière à la guerre hybride
Les faits documentés indiquent que ces personnels de sécurité ne sont pas de simples gardes passifs. La captation d’images d’installations militaires depuis le pont de navires commerciaux correspond à des pratiques classiques de reconnaissance discrète, cohérentes avec la doctrine russe de guerre hybride. L’utilisation de plateformes civiles à des fins étatiques permet de brouiller l’attribution, de complexifier la réponse juridique et de maintenir une pression constante sous le seuil du conflit armé. Dans un espace maritime européen déjà saturé, cette stratégie exploite les angles morts de la surveillance et teste la résilience des cadres réglementaires existants.
L’intégration d’anciens opérateurs Wagner au sein de la flotte fantôme russe marque une nouvelle étape dans la militarisation discrète du commerce maritime. Des navires comme le Boracay ne sont plus seulement des vecteurs d’évasion des sanctions, mais des outils hybrides combinant logistique, influence et renseignement. Pour les États européens et l’OTAN, l’enjeu dépasse la seule question énergétique : il s’agit désormais de repenser la sécurité maritime face à des menaces ambiguës, persistantes et délibérément opaques, à la frontière du droit, du renseignement et de la confrontation stratégique
L’intégration d’anciens opérateurs Wagner au sein de la flotte fantôme russe marque une nouvelle étape dans la militarisation discrète du commerce maritime. Des navires comme le Boracay ne sont plus seulement des vecteurs d’évasion des sanctions, mais des outils hybrides combinant logistique, influence et renseignement. Pour les États européens et l’OTAN, l’enjeu dépasse la seule question énergétique : il s’agit désormais de repenser la sécurité maritime face à des menaces ambiguës, persistantes et délibérément opaques, à la frontière du droit, du renseignement et de la confrontation stratégique

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