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Mohamed Bida, ou le panache français dans le désert du sens : 13 jours 13 nuits pour incarner l’esprit d’une nation…




Publié par Éric DELBECQUE le 25 Juin 2025

Mohamed Bida, figure de l’ombre, incarne durant 13 jours à Kaboul l’honneur d’un pays qui refuse d’abandonner. Un récit de fidélité, de courage et de devoir, désormais porté à l’écran.



Il existe des hommes dont la tempérance, la maîtrise d’eux-mêmes, indique un serment tenu, une puissance de vivre et d’honorer ses promesses. Celui de servir les principes que l’on s’est choisis. Mohamed Bida appartient à cette espèce de serviteurs de l’ombre que la République produit dans ses replis les plus féconds : sans emphase, sans orgueil, mais avec une résistance d’acier et une fidélité intacte à l’idée de la France qu’il se forgea tout au long de sa carrière. En le voyant arriver pour notre déjeuner, je comprends immédiatement que l’homme et l’ami que je n’ai pas vu durant des années n’a varié en rien. Sans doute a-t-il évolué, simplement pour devenir encore plus lui-même. Toujours ce sourire lumineux que je lui ai connu, même bonhommie discrète, même légère timidité, moitié pudeur, moitié étonnement devant le succès de son récit et le regard d’autrui face à un engagement qu’il juge normal. Mon plaisir de le revoir s’égale à celui de le voir ainsi honoré dans ce film magnifique tiré de son récit : 13 jours 13 nuits. Dans l’enfer de Kaboul, publié en 2022 chez Denoël et aujourd’hui porté à l’écran par Martin Bourboulon, et produit par Pathé et Dimitri Rassam, avec précision et virtuosité dans leur art.
 
Tous droits réservés
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Il en parle formidablement, techniquement, mais aussi avec une extrême profondeur humaine : à Kaboul, en août 2021, dans la stupéfaction du monde occidental face à la déferlante talibane, il ne restait rien que le désarroi et la violence. Durant notre long repas, je me suis nourri de ses connaissances et de son diagnostic fantastiquement riche de la situation présente de la terre afghane, forgé sur le terrain. Personne ne pouvait donc se reposer sur quelque chose de stable dans ce chaudron de chaos et de terreur : rien ne tenait vraiment, sinon des volontés individuelles, dont celle de cet homme, commandant de police – à quelques encablures de la retraite –, à la tête d’une escouade de quelques policiers d’élite, dressés comme un dernier rempart contre l’indifférence et la sclérose bureaucratique. Durant ces fameux treize jours et treize nuits, il incarna un État français qui refuse de détourner les yeux, un pays qui ne discute pas de morale dans un colloque ou une conférence, dans un studio de télévision ou dans une tribune de presse écrite, mais qui doit la mettre en œuvre et la sauver – avec méthode, avec sang-froid, à la fois avec le cœur et l’intelligence des situations complexes, qui peuvent déraper en un instant.
Son récit ne relève déjà pas du document brut : il réussit le tour de force d’allier une sobriété poignante, une analyse froide, mais jamais cynique, et la gravité de celui qui sait que l’on meurt ici, en Afghanistan, par la main de barbares corrompus et dans la plus totale indifférence du monde. Très loin de vouloir prendre une pose, il narre non pas une opération de spécialistes ultra entraînés (ce qu’ils sont néanmoins), mais une loyauté : celle qu’on doit à ceux qui vous accompagnent et qui s’engagent pour vous – quelle que soit leur nationalité –, à ceux et celles qui croient que la parole de la France pèse, et que son message vit toujours.
Ce n’est pas le moindre mérite de Martin Bourboulon, dans cette adaptation cinématographique éponyme, que d’avoir su éviter l’écueil du film d’action stéréotypé, ce que l’on brocarde souvent sous l’appellation de film américain de « sécurité nationale ». Ce qu’il nous donne à voir, c’est une veille morale, une vigilance de ne pas abdiquer ce que l’on doit fondamentalement demeurer. Le réalisateur fait vivre de façon désarmante de rigueur et d’aisance un homme bâti en force autant qu’en mesure – Mohamed, dit « Mo » –, ensuite un regard – qui m’a toujours marqué par sa sincérité et sa solidité touchante –, mais aussi une voix, un peu rocailleuse, tonitruante ou tissée de bienveillance selon le résultat qu’il souhaite, néanmoins toujours dense, et enfin un choix, de vie et de consécration des valeurs d’une existence entière.
Quant à Roschdy Zem, qui donne son corps à Mohamed Bida durant ce moment de septième art, il ne joue précisément pas : il incarne totalement « Mo », avec une justesse époustouflante. Lors de la projection, je croyais voir Mohamed à l’écran, tant il a finement saisi l’essence du personnage. L’acteur, avec une gravité presque minérale, restitue le mélange rare de maîtrise tactique et de fièvre intérieure, de lucidité et de sensibilité mêlées, d’humanité contenue et de dignité inflexible, qui fait le charisme increvable et follement sympathique du commandant Bida. Dans ce blockbuster qui l’est sans en avoir le moindre défaut, Zem n’est pas un héros de cinéma. Il est la France, dans ce qu’elle a de plus sincèrement noble et exigeant, sans jamais verser dans l’angélisme ou la naïveté débilitante. Pas une France multipliant les initiatives désordonnées, bruyantes, s’agitant vainement en actions mal calibrées, mais une République combattante qui agit résolument et sans emphase, pour l’Histoire, une France libre qui assume l’universel à l’heure où l’univers chancelle autour de ses soldats, où les balles sifflent et les attentats anéantissent l’espérance.
Mohamed Bida nous rappelle que des Français ne voulurent pas laisser des interprètes, des alliés, des familles, des femmes et des enfants, il nous permet d’observer que le monde occidental a fui là où il s’était voulu garant – et pas nous, grâce à lui et ses camarades. De cela nous devons leur être toujours reconnaissants… Mohamed voulu témoigner en écrivant, puis des professionnels du cinéma en créant, qu’une poignée d’individus refusant de trahir le sens de leur drapeau tricolore tinrent une ligne, celle du devoir et de l’humanité. Par fidélité à une certaine idée de nous-mêmes, très gaullienne, et aux combats qui les animèrent, eux, dans leur engagement au sein de la police nationale.
 
Le commandant Bida n’a jamais « revendiqué » quelque chose… Il préféra agir, par tempérament et réflexion, qui vient de loin. Je peux témoigner qu’il ne chercha jamais particulièrement les honneurs et la lumière des projecteurs : elle se fixe aujourd’hui sur lui, et c’est justice. Comme si la France décidait de récompenser des décennies de dévouement. Car son geste et son aventure – chargés de significations, austères et saturées de sentiments déstabilisants et essentiels, enthousiasmants et émouvants – vaut manifeste, nous rappelle que la grandeur se définit d’abord comme responsabilité, persévérance et engagement courageux, celui qui surmonte une peur bel et bien présente qui pourrait emporter notre humanité. Dans le miroir tendu par ce film se reflète notre conscience nationale, toujours capable de cette incandescence rare, que font naître les hommes de droiture. Mohamed Bida fait partie de ce réconfortant compagnonnage de l’espoir. Et Roschdy Zem, en le jouant, lui donne non pas exclusivement une voix et un corps, mais une résonance pour le présent et un exemple pour les générations futures. Escortés des autres comédiens, ils nous donnent à voir des héros français, qu’ils s’appellent Mohamed, Roméo, Martial, Kamel, Jérôme, Christophe, Dominique, JC, Frédéric, Stéphane, Nicolas, Cédric ou Martin…