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Les réseaux d’informations israéliens : quand le gouvernement, les entreprises et l’armée s’allient au nom de l’intelligence économique.




Publié par Alexandre Perrault le 29 Mars 2019

Sur les hauteurs du Mont Carmel se dresse Haifa, ville côtière du nord d’Israël en apparence paisible, mais qui abrite le cœur de l’innovation technologique israélienne. Sur le campus de l’université publique du Technion qui surplombe la ville, des milliers de scientifiques et ingénieurs s’affairent à inventer les dispositifs d’intelligence économique qui œuvreront demain, à la pérennité de l’Israël. Parmi eux, une écrasante majorité sont des anciens combattants de l’armée israélienne. La plupart ont fait partie de l’unité 8200, spécialisée dans la collecte et la recherche d’information et rêvent de créer une des multiples start-up de cybersécurité qui font de cet État un modèle d’innovation en matière d’intelligence économique.



La culture de l’innovation israélienne en matière d’intelligence économique est pourtant paradoxale : comment une telle circulation d’informations stratégiques est possible dans un pays traversé par des fractures à la fois sociales, économiques, religieuses et politiques ?  Pourquoi et comment Israël a pu créer et maintenir une avance technologique dans un environnement géopolitique aussi instable ?
 
Les facteurs culturels et géopolitiques sont des éléments déterminants dans la performance des réseaux d’informations et de l’intelligence économique israéliens. Avec 80 langues pratiquées par des hommes et des femmes venus de 130 pays différents, Israël est une terre où le multiculturalisme est une réalité concrète. Cette diversité ethnique ne pousse pourtant pas au communautarisme mais au dialogue avec une forte tendance à la sérendipité grâce à une géographie et une répartition ethnique qui favorise l’échange d’informations et les rencontres.
 
Le développement des réseaux d’informations s’explique également par une forte solidarité supranationale dans une logique sioniste et fédératrice. Les Israéliens se tutoient naturellement, s’abordent très facilement et ne considèrent pas l’échange d’idées comme une menace mais comme un atout. Israël est par exemple le pays où l’on passe le plus de temps sur les réseaux sociaux selon un sondage de Comcore. Aider ses pairs est naturel, comme lors de la Guerre du Liban, lorsque des milliers d’Israéliens ouvrirent leur foyer pour accueillir les populations israéliennes forcées de fuir les offensives du Hezbollah.
 
Plus généralement, les conditions géopolitiques particulières depuis la création de l’État d’Israël en 1948 expliquent l’importance de la circulation de l’information dans la survie de l’État. Petit pays enclavé dans une zone géographique bordée de voisins hostiles où l’insécurité y est permanente, l’obtention d’informations stratégiques est la première phase de la mise en place de dispositifs de défense. Israël a donc fait de l’intelligence économique et de la veille stratégique des points nodaux de son système autant défensif qu’offensif pour assurer sa sécurité.
 
En Israël règne enfin un véritable culte du secret et de l’anticipation, des éléments clés de l’intelligence économique. Dans l’armée israélienne, chaque document est par exemple noté selon un nouveau de confidentialité.  Israël a également développé une excellente capacité de détection de signaux faibles qui font l’objet d’écoutes anticipatives et contribuent à l’élaboration de la stratégie de défense et de développement de ressources vitales.
  
Des synergies très fortes entre les entreprises, les universités, l’armée et le gouvernement pour assurer la sécurité et la défense d’Israël.
 

Au-delà de facteurs historiques et culturels, des synergies très fortes entre les entreprises, l’armée et le gouvernement concourent à la création d’un modèle d’intelligence économique unique.
 
Quand un jeune israélien atteint 18 ans, le service militaire est obligatoire : trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes. Plus qu’un acte civique, l’armée est considérée en Israël comme un moment essentiel d’intégration à la nation, de développement personnel et professionnel. Comme l’explique Alain Juillet, président du club de sécurité des entreprises (CDSE) et ancien responsable à l’intelligence économique en France, Tsahal prend part à l’éducation des jeunes et les incite à développer des start-ups dans la sécurité à la suite de l’armée. L’armée accorde des bourses aux plus méritants et brillants de ses soldats pour aller étudier dans les prestigieuses universités du pays comme le Technion à Haïfa, et soutient la politique d’innovation des universités en permettant aux jeunes start-ups de tester leur dispositif au sein de l’armée israélienne pour ensuite vendre leur expertise à l’étranger. Plus fondamentalement, les jeunes développent une compétence particulière en matière de rassemblement et de traitement d’informations sensibles qui sont facilement transférables dans le cadre de leurs activités professionnelles. Check Point, ICQ, NICE, Audiocode : toutes ces fleurons israéliens de la haute technologie ont le point commun d’avoir été fondés par des anciens de la discrète unité 8200 de Tsahal, chargée de la collecte du renseignement d’origine électronique, électromagnétique et la cryptographie. L’armée joue ainsi un rôle unique d’intégrateur social et d’incubateur de talents en matière d’Intelligence économique.
 
Au-delà des liens étroits qui existent entre le monde académique, militaire et économique, le gouvernement israélien joue un rôle déterminant dans la création des dispositifs d’intelligence économique performants. Dans les années 1990, le gouvernement israélien a créé le Office of Chief Scientist, un programme d’incubation de startups qui venait se substituer aux fonds d’investissements privés. Le but était de sponsoriser les projets technologiques en faisant fi du retour sur investissement pour empêcher la fuite des cerveaux capables de penser les technologies qui assurent et assureront la sécurité d’Israël. The Yozma Group est la 2ème initiative du gouvernement qui a permis d’attirer les capitaux étrangers en proposant à des fonds étrangers de partager l’investissement : les risques étaient supportés par l’Etat, les capitaux étrangers profitant uniquement des succès.
 
« Israël ne pourra remporter la dure lutte pour sa survie qu’en développant l’intelligence et la connaissance experte de la technologie de ses jeunes » déclarait déjà Albert Einstein en 1923. Cette connaissance experte est aujourd’hui possible grâce à la frontière poreuse entre des acteurs publics et privés, qui placent la raison d’État bien au-dessus de toute considération économique et financière et continuent ainsi d’assurer à Israël une longueur d’avance en matière de défense et d’intelligence économique.
 
                                                                                                                                           
 
 


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