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Le front de la piraterie maritime se déplace de l’Est vers l’Ouest de l’Afrique




Publié par Pierre-Marie Meunier le 19 Avril 2013

Les opérations multinationales de lutte contre la piraterie maritime portent leur fruit avec une chute spectaculaire début 2013 du nombre d’attaques réussies. Le principal foyer de piraterie, hors Asie du Sud-est, semble désormais se situer en Afrique de l’Ouest, par où transite une part non négligeable du commerce mondial de pétrole, de cacao et de métaux divers, et où se situent de nombreuses infrastructures pétrolières soumises à des attaques depuis des années.



Contrôle par l'US Navy d'un bateau suspecté d'être armé par des pirates somaliens (crédit : US Navy)
Contrôle par l'US Navy d'un bateau suspecté d'être armé par des pirates somaliens (crédit : US Navy)
Les eaux territoriales somaliennes : le succès d’une approche globale

Selon Andrew Shapiro, Secrétaire d’Etat adjoint aux affaires politico-militaires, c’est tout le business model de la piraterie somalienne qui est en train de s’effondrer. La piraterie est une affaire de moins en moins rentable et certaines sorties sont désormais effectuées à perte. Les raisons de ce succès : une approche globale des problèmes de la piraterie et des problèmes de la Somalie. Tout d’abord, la piraterie au large de la Somalie subit depuis plusieurs années les coups d’une opération internationale de lutte réunissant plus de 80 nations et organismes internationaux. Les résultats de ces opérations se conjuguent avec les mesures de sécurité adoptées par la plupart des navires marchands, souvent imposées par les compagnies d’assurance : vitesse de transit élevée, embarquement d’une équipe de sécurité, navigation en convois protégés... Au niveau international, les Etats se sont engagés dans une traque des circuits de financement de la piraterie, et ont à cette occasion identifié et démantelé plusieurs réseaux de blanchiment et de redistribution de l’argent issu des rançons. Enfin au niveau local, la communauté internationale, avec en pointe du dispositif les Etats d’Afrique de l’Est, ont contribué au retour d’un certain contrôle étatique sur les bastions somaliens de la piraterie : la reprise du port de Kismayo début octobre 2012 a en ce sens porté un coup très rude au financement des milices islamistes opérant pour les Shebabs. Bien que le retour à une situation normale ne soit pas pour tout de suite, la situation s’est grandement améliorée en Somalie ces dernières années.

La combinaison de tous ces facteurs a eu pour résultat une chute spectaculaire des attaques réussies.  Le 10 avril 2013, Andrew Shapiro rapportait devant le Congrès que « les pirates somaliens n’ont réussi à capturer que 10 navires en 2012, par rapport à 34 en 2011 et 68 en 2010. C’était il y a près d’un an, le 10 mai 2012, qu’eut lieu la dernière offensive pirate réussie contre un grand navire ». Cette rapide décroissance des attaques est également observée à l’échelle mondiale avec près d’un tiers d’attaques en moins. Selon le Bureau Maritime International, seules 66 attaques ont été comptabilisées au premier trimestre 2013 contre 102 sur la même période de 2012 : « 4 navires ont été détournés, 51 ont été arraisonnés, 7 ont essuyé des tirs d'armes à feu et 4 ont fait l'objet de tentatives d'attaques » indique un rapport du BMI publié le 15 avril 2013. Malgré une diminution de deux tiers des attaques, l’Afrique représente encore un quart du total des attaques de pirates dans le monde, mais pour la première fois cette année, elle vient de se faire dépasser par l’Asie du Sud-est.

L’Afrique de l’Ouest, nouveau point de fixation de la piraterie

Contrairement à la piraterie d’Asie du Sud-est, la piraterie en Afrique de l’Ouest est très concentrée, essentiellement dans et autour du Golfe de Guinée. Les bons résultats dans la Corne de l’Afrique ne doivent pas faire oublier qu’il ne s’agit pas du seul foyer de piraterie dans le monde. Pour la première fois cette année également, le Golfe de Guinée est passé devant les eaux somaliennes en nombre d’attaques : « le BMI a recensé 34 attaques attribués à des « pirates » dans le Golfe de Guinée entre janvier et septembre 2012, dont 21 au Nigeria et 11 aux larges du Togo ». Selon Rory Lamrock, analyste renseignement pour la société de sécurité AKE, le Golfe de Guinée présente l’une des pires configurations possibles pour la protection des navires : ce n’est pas une voie de transit comme la Somalie mais une destination où les cargos et pétroliers sont obligés de jeter l’ancre, à portée des pirates agissant à partir de bases solidement implantées dans la jungle côtière. De plus, le modèle économique de ces pirates est mieux rôdé et plus efficace : plutôt que de demander des rançons, il revende la marchandise ou le pétrole brut capturé en même temps que le navire. Sous condition d’arrangements préalables avec un acheteur, la transaction prend quelques jours à une semaine, et non des mois comme dans le cas des prises d’otages.

Contrairement à la Somalie, dont le problème principal provenait de l’absence de gouvernement, le Golfe de Guinée voit s’affronter sur la question des ressources plusieurs Etats aux intérêts et aux stratégies très divers face à la piraterie. M. Shapiro évoque ce point  de façon très diplomatique : « si en Somalie nous faisons face à l’absence de gouvernement, la situation est exactement inverse dans le Golfe de Guinée où il existe de nombreux gouvernements souverains, ayant des degrés de compétence variés, qui ont tous des lois et des intérêts qui leur sont propres ». Il serait quasi impossible de réitérer l’exemple de ce qui a été fait au large de la Somalie, raison pour laquelle les armateurs et affréteurs s’orientent de plus en plus vers un recours à des bateaux spécialement conçus pour affronter la problématique de la piraterie : armes non létales (canons soniques et lances incendies téléopérées), équipes de protection systématiques, présence à bord d’une safe room de contrôle à distance des navires…

Selon le rapport de l’ONG One Earth Future, issu de son programme Oceans Beyond Piracy, la piraterie représente un coût global de plus de 5 milliards d’euros en 2012. Ce coût englobe les coûts de déroutement, des vitesses plus élevées, des équipes embarquées, des rançons, des primes d’assurance, des opérations militaires et ceux des frais judiciaires. Bien qu’inférieur de 15% par rapport à celui de 2011, il justifie encore pleinement les actions entreprises par la communauté internationale pour juguler ce fléau.

Références :
« Piracy falls in 2012, but seas off East and West Africa remain dangerous, says IMB », icc-ccs.org, 16 avril 2013
« Pirates pose complex, increasing threat to West African shipping », Reuters.com, 15 avril 2013
« The Economic Cost of Piracy », Oceans Beyond Piracy.org, avril 2013
« Piraterie : le Nigeria devant la Somalie », JeuneAfrique.com, 17 avril 2013
« Sécurité maritime : les pirates imposent l’agenda », Ouestaf.com, 22 mars 2013
« Sea piracy attacks decline in first quarter », Neurope.eu, 15 avril 2013
« Piracy Pays: Inside the Lucrative Fight to Foil High-Sea Hijackings », Foxbusiness.com, 10 avril 2013
« La piraterie au large de la Somalie diminue mais s’étend aux côtes ouest-africaines », iipdigital.usembassy.gov, 18 avril 2013
« Somalie : la (re)découverte d’un conflit », Alliance Géostratégique.org, 26 mars 2013



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