La République du Rwanda est indépendante depuis 1962 et a pour capitale Kigali. Souvent associée au génocide dont elle fut victime en 1994, elle est depuis devenue un formidable pôle d’attractivité pour les nouvelles technologies. Cette appétence pour les innovations, associée au leadership de son président lui valent régulièrement le qualificatif de « Singapour de l’Afrique ».
Nous allons ici chercher à comprendre comment ce pays meurtri par la guerre civile a pu devenir l’un des fers de lance du continent, tout en observant l’envers du décor et les limites de cette modernisation à outrance.
Un État à la pointe de la technologie.
Le 17 avril 2000, une nouvelle page s’ouvrit dans l’Histoire du Rwanda avec l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame, alors vice-président du pays et ministre de la Défense. Ce fut à partir de ce moment que la République du Rwanda se tourna vers les NTIC, les « nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Nous aurons l’occasion d’aborder sa présidence dans un second temps.
Grâce à ce virage technologique, le pays a considérablement boosté son économie. En effet, de 2000 à 2017, le PIB rwandais a connu une augmentation de 426,5 % (1,735 milliard de dollars en 2000 contre 9 135 milliards en 2017). De plus, le pays dispose actuellement du réseau 4G et de la fibre optique sur tout son territoire. Cela lui permet ainsi de s’appuyer sur de meilleures structures de communication que dans de nombreux pays africains, pourtant plus riches. Le Rwanda s’est aussi tourné vers des téléphones en provenance de Chine, relativement peu onéreux, permettant à une partie de la population d’entrer dans le monde du numérique. La démocratisation des smartphones parmi la population a eu pour conséquence un phénomène de dématérialisation des paiements. En ce sens que les Rwandais, désormais, privilégient les achats grâce à leur téléphone, plutôt qu’avec du « liquide ».
Par ailleurs, depuis octobre 2016, le Rwanda a attiré l’attention internationale du fait de l’utilisation de drones pour effectuer des livraisons de médicaments et de poches de sang dans le pays. Une démarche que certains voisins seraient prêts à adopter.
Paul Kagame : le « Lee Kwan Yew rwandais » ?
Arrivé au pouvoir en mars 2000, Paul Kagame représente cette modernisation et ce « saut technologique » du Rwanda. D’abord choisi par le Parlement, il est reconduit dans ses fonctions par le peuple rwandais en 2003, 2010 et 2017. Afin d’asseoir sa légitimité, il fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Toutefois, certaines ONG comme Amnesty International dénoncent régulièrement le caractère autoritaire du régime quant aux droits humains. Cette longévité au pouvoir, l’autoritarisme et la volonté de modernisme poussèrent à certains observateurs à établir des comparaisons entre Paul Kagame et Lee Kwan Yew, ancien Premier ministre de Singapour.
Durant ses trente et une années au pouvoir, L. K. Yew a transformé sa jeune république. À son indépendance, Singapour n’est qu’un petit avant-poste colonial sous-développé. Trente ans plus tard, la cité-État, membre des Tigres asiatiques (1), est devenue l’une des places fortes de l’économie et de la technologie mondiales. D’un point de vue politique, Singapour n’est pas une « démocratie à l’occidentale », certains la qualifient de « démocratie guidée ». Depuis 1959, date de l’indépendance, un seul parti accéda au pouvoir : le parti d’action populaire.
Les libertés individuelles sont encadrées, les châtiments corporels sont pratiqués (notamment au moyen de coups de canne), tout comme la bastonnade afin de discipliner les forces armées du pays. Mais comme l’indique le juriste américano-kenyan Makau W. Mutua, la démocratie n’est pas forcément nécessaire pour croître économiquement. Il prend notamment l’exemple des États-Unis ségrégationnistes, de l’Afrique du Sud sous l’apartheid ou de la Chine actuelle.
Une modernisation à marche forcée.
Toutefois, cette modernisation à outrance a aussi ses limites. Tous les derniers samedis de chaque mois, le jour de l’umuganda, de 8 heures à 11 heures, les citoyens rwandais doivent participer à des tâches afin de servir la communauté. Pour cela, toutes sortes d’activités sont possibles : désherbage de terrains, aide aux plus démunis, nettoyage d’une piste, construction de maisons... L’umuganda est inscrite dans la Constitution du pays et une absence entraîne une amende, mais aussi un déshonneur vis-à-vis du reste de la communauté. Cette pratique, qui existait déjà avant la période coloniale, avait été supprimée suite au génocide, avant d’être réintroduite à partir de 2000 dans le but de consolider une société meurtrie.
La course à la modernisation se matérialise aussi au travers des contrats de performance, les imihigo. Là aussi, il s’agit d’une pratique précoloniale. Elle a été remise en place au Rwanda en 2006, d’abord par le biais des gouvernements locaux, puis du gouvernement central. L’objectif était, comme pour l’umuganda, de reconstruire le pays et de rebâtir une identité commune grâce au collectif. Les imihigo sont des indicateurs de performances permettant de planifier les actions à venir.
ls visent une multitude de secteurs, donc aussi bien l’agriculture (la quantité de surfaces exploitées), la santé (le nombre de femmes ayant accès à la contraception), voire le social (le nombre d’adhésions à des mutuelles d’assurance-maladie). Ces indicateurs de performances sont signés entre les maires, les ministères et le président. Dans une volonté de décentralisation, ils sont une sorte de courroie entre le local et le national. Cette planification est rigoureuse en ce sens que certains maires ont été démis de leurs fonctions pour ne pas avoir atteint les objectifs fixés. Là est la manifestation négative d’une trop grande dépendance à ces données.
Certains politiciens locaux, soucieux de conserver leur poste et d’être bien vus par le gouvernement central, n’hésitent à user de tous les moyens afin d’arriver à leurs fins (par exemple, certains éleveurs ont été dépossédés de leurs bétails dans le sens but qu’ils adhèrent à une assurance-maladie…).
Notes.
(1) À l’instar de Hong-kong, de la Corée du Sud et de Taiwan.
Sources.
- « Le Rwanda, un modèle pour l’Afrique numérique », Radio-Canada, 20/04/2018.
- BROUCK Thais, « Innovation City de Kigali : des rêves de Silicon Valley », Jeune Afrique, 19/07/2017.
- CARYL Christian, "Africa's Singapore Dream ", Foreign Policy, 02/04/2015.
- LEPIDI Pierre, « Au Rwanda, des poches de sang livrées par drones », Le Monde, 31/07/2017.
- LEPIDI Pierre, « Le jour de l’umuganda, tout le monde travaille au Rwanda », Le Monde, 01/08/2017.
- MUTUA Makau, « Love him or hate him, Kagame could be Africa's Lee Kuan Yew », Standard Digital, 24/02/2019.
- TAFIRENYIKA Masimba, « Rwanda : l’économie dopée par les nouvelles technologies », Afrique Renouveau, avril 2011.
- TCHOUNAND Ristel, « Technologie : quand le Rwanda inspire les États-Unis », La Tribune Afrique, 14/11/2016.
Nous allons ici chercher à comprendre comment ce pays meurtri par la guerre civile a pu devenir l’un des fers de lance du continent, tout en observant l’envers du décor et les limites de cette modernisation à outrance.
Un État à la pointe de la technologie.
Le 17 avril 2000, une nouvelle page s’ouvrit dans l’Histoire du Rwanda avec l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame, alors vice-président du pays et ministre de la Défense. Ce fut à partir de ce moment que la République du Rwanda se tourna vers les NTIC, les « nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Nous aurons l’occasion d’aborder sa présidence dans un second temps.
Grâce à ce virage technologique, le pays a considérablement boosté son économie. En effet, de 2000 à 2017, le PIB rwandais a connu une augmentation de 426,5 % (1,735 milliard de dollars en 2000 contre 9 135 milliards en 2017). De plus, le pays dispose actuellement du réseau 4G et de la fibre optique sur tout son territoire. Cela lui permet ainsi de s’appuyer sur de meilleures structures de communication que dans de nombreux pays africains, pourtant plus riches. Le Rwanda s’est aussi tourné vers des téléphones en provenance de Chine, relativement peu onéreux, permettant à une partie de la population d’entrer dans le monde du numérique. La démocratisation des smartphones parmi la population a eu pour conséquence un phénomène de dématérialisation des paiements. En ce sens que les Rwandais, désormais, privilégient les achats grâce à leur téléphone, plutôt qu’avec du « liquide ».
Par ailleurs, depuis octobre 2016, le Rwanda a attiré l’attention internationale du fait de l’utilisation de drones pour effectuer des livraisons de médicaments et de poches de sang dans le pays. Une démarche que certains voisins seraient prêts à adopter.
Paul Kagame : le « Lee Kwan Yew rwandais » ?
Arrivé au pouvoir en mars 2000, Paul Kagame représente cette modernisation et ce « saut technologique » du Rwanda. D’abord choisi par le Parlement, il est reconduit dans ses fonctions par le peuple rwandais en 2003, 2010 et 2017. Afin d’asseoir sa légitimité, il fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Toutefois, certaines ONG comme Amnesty International dénoncent régulièrement le caractère autoritaire du régime quant aux droits humains. Cette longévité au pouvoir, l’autoritarisme et la volonté de modernisme poussèrent à certains observateurs à établir des comparaisons entre Paul Kagame et Lee Kwan Yew, ancien Premier ministre de Singapour.
Durant ses trente et une années au pouvoir, L. K. Yew a transformé sa jeune république. À son indépendance, Singapour n’est qu’un petit avant-poste colonial sous-développé. Trente ans plus tard, la cité-État, membre des Tigres asiatiques (1), est devenue l’une des places fortes de l’économie et de la technologie mondiales. D’un point de vue politique, Singapour n’est pas une « démocratie à l’occidentale », certains la qualifient de « démocratie guidée ». Depuis 1959, date de l’indépendance, un seul parti accéda au pouvoir : le parti d’action populaire.
Les libertés individuelles sont encadrées, les châtiments corporels sont pratiqués (notamment au moyen de coups de canne), tout comme la bastonnade afin de discipliner les forces armées du pays. Mais comme l’indique le juriste américano-kenyan Makau W. Mutua, la démocratie n’est pas forcément nécessaire pour croître économiquement. Il prend notamment l’exemple des États-Unis ségrégationnistes, de l’Afrique du Sud sous l’apartheid ou de la Chine actuelle.
Une modernisation à marche forcée.
Toutefois, cette modernisation à outrance a aussi ses limites. Tous les derniers samedis de chaque mois, le jour de l’umuganda, de 8 heures à 11 heures, les citoyens rwandais doivent participer à des tâches afin de servir la communauté. Pour cela, toutes sortes d’activités sont possibles : désherbage de terrains, aide aux plus démunis, nettoyage d’une piste, construction de maisons... L’umuganda est inscrite dans la Constitution du pays et une absence entraîne une amende, mais aussi un déshonneur vis-à-vis du reste de la communauté. Cette pratique, qui existait déjà avant la période coloniale, avait été supprimée suite au génocide, avant d’être réintroduite à partir de 2000 dans le but de consolider une société meurtrie.
La course à la modernisation se matérialise aussi au travers des contrats de performance, les imihigo. Là aussi, il s’agit d’une pratique précoloniale. Elle a été remise en place au Rwanda en 2006, d’abord par le biais des gouvernements locaux, puis du gouvernement central. L’objectif était, comme pour l’umuganda, de reconstruire le pays et de rebâtir une identité commune grâce au collectif. Les imihigo sont des indicateurs de performances permettant de planifier les actions à venir.
ls visent une multitude de secteurs, donc aussi bien l’agriculture (la quantité de surfaces exploitées), la santé (le nombre de femmes ayant accès à la contraception), voire le social (le nombre d’adhésions à des mutuelles d’assurance-maladie). Ces indicateurs de performances sont signés entre les maires, les ministères et le président. Dans une volonté de décentralisation, ils sont une sorte de courroie entre le local et le national. Cette planification est rigoureuse en ce sens que certains maires ont été démis de leurs fonctions pour ne pas avoir atteint les objectifs fixés. Là est la manifestation négative d’une trop grande dépendance à ces données.
Certains politiciens locaux, soucieux de conserver leur poste et d’être bien vus par le gouvernement central, n’hésitent à user de tous les moyens afin d’arriver à leurs fins (par exemple, certains éleveurs ont été dépossédés de leurs bétails dans le sens but qu’ils adhèrent à une assurance-maladie…).
Notes.
(1) À l’instar de Hong-kong, de la Corée du Sud et de Taiwan.
Sources.
- « Le Rwanda, un modèle pour l’Afrique numérique », Radio-Canada, 20/04/2018.
- BROUCK Thais, « Innovation City de Kigali : des rêves de Silicon Valley », Jeune Afrique, 19/07/2017.
- CARYL Christian, "Africa's Singapore Dream ", Foreign Policy, 02/04/2015.
- LEPIDI Pierre, « Au Rwanda, des poches de sang livrées par drones », Le Monde, 31/07/2017.
- LEPIDI Pierre, « Le jour de l’umuganda, tout le monde travaille au Rwanda », Le Monde, 01/08/2017.
- MUTUA Makau, « Love him or hate him, Kagame could be Africa's Lee Kuan Yew », Standard Digital, 24/02/2019.
- TAFIRENYIKA Masimba, « Rwanda : l’économie dopée par les nouvelles technologies », Afrique Renouveau, avril 2011.
- TCHOUNAND Ristel, « Technologie : quand le Rwanda inspire les États-Unis », La Tribune Afrique, 14/11/2016.