Aux fondements de la relation sino-éthiopienne
Ces spécificités résident tout d’abord dans la viabilité économique du pays. En effet, l’Éthiopie enregistre depuis plus d’une décennie un taux de croissance exceptionnel, ayant atteint 10,7 % en 2017. Malgré une baisse à 7,7 % en 2018, les projections de la Banque mondiale estiment une reprise à hauteur de 9 % pour les années à venir. Dans un second temps, ce miracle économique se traduit par la stature stratégique qu’a peu à peu endossée sa capitale. Addis-Abeba est devenue la porte d’entrée de l’Afrique orientale. L’aéroport de Bole s’est érigé comme l’un des plus gros hubs d’Afrique, tant en termes de passagers que de fret. De surcroît, le niveau de vie relativement bas dans le pays a encouragé les investisseurs chinois à tirer profit d’une main-d’œuvre abondante et peu onéreuse.
Outre les considérations statistiques, l’histoire de ces deux pays constitue un élément majeur pour expliquer la pérennité de cette relation. Après la chute de Mengitsu et du Derg en 1991, Pékin entreprend de nouer une relation étroite avec le Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien. L’arrivée au pouvoir du Premier ministre Meles Zenawi en 1995 marque l’établissement d’un partenariat durable avec la Chine. Pékin voit dès lors en l’Éthiopie le reflet de son modèle. D’inspiration initiale marxiste-léniniste, le FRDPE insiste sur la nécessité d’industrialiser et de moderniser le pays. D’autre part, le parti entame une mue progressive vers la social-démocratie avec un impératif d’ouverture. Les similarités entre Éthiopie et Chine font dès lors florès, étant à la fois économiques, politiques, diplomatiques, mais également idéologiques.
L’Éthiopie, usine à ciel ouvert de la Chine
Parmi les projets chinois en ex-Abyssinie domine très nettement un secteur : celui de l’industrie textile. En très peu de temps, l’Éthiopie est devenue dans ce cadre le théâtre d’une véritable industrialisation à marche forcée. Outre Addis-Abeba, le pays se caractérisait traditionnellement par une ruralité très majoritaire. Les investissements chinois massifs ont marqué un tournant décisif en cela. Les parcs industriels à l’image de celui d’Hawassa, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale, ont fleuri à une vitesse effarante. Celui-ci, aspirant à employer près de 20 000 Éthiopiens fin 2019, a été construit en moins de 9 mois par une entreprise de travaux publics chinoise, pour un coût total de 250 millions de dollars. Cette initiative n’est cependant pas isolée. Huit nouveaux parcs industriels de cette ampleur devraient être inaugurés courant 2020, dont une très grande partie sera exploitée par des sociétés chinoises.
La cause de cet engouement pour le tigre éthiopien réside d’une part dans une fiscalité extrêmement avantageuse. Les usines textiles chinoises sur place ont notamment bénéficié d’une exonération de l’impôt sur le revenu pour leurs cinq premières années d’exploitation, mais également d’une absence de droits de douane sur le capital productif et les biens d’équipement, de fait majoritairement importés de Chine. De surcroît, l’autre intérêt chinois ayant impulsé ce déploiement économique substantiel est celui de la main-d’œuvre, abondante et très peu onéreuse. Dans les faits, le salaire moyen d’un employé textile éthiopien tourne autour d’une trentaine d’euros par mois, soit 5 à 10 fois inférieur à la rémunération chinoise. L’Éthiopie est en cela le pays de tous les paradoxes, affichant à la fois un taux de croissance hors pair pour une précarité humaine généralisée.
Le tigre éthiopien et le bâtisseur chinois
La stratégie chinoise en Éthiopie ne saurait se cantonner qu’au volet des transactions économiques et commerciales. Très fortement inspirées par l’exemple du « grand frère », les autorités éthiopiennes ont pris le parti dès les années 2000 d’appliquer le modèle chinois à l’urbanisation et aux infrastructures du pays. Pour ce faire, le marché des travaux publics a largement été ouvert aux sociétés chinoises, faisant en conséquence du dragon asiatique le principal promoteur et façonneur de la capitale, Addis-Abeba. Au rang des grands projets figurent notamment le périphérique routier de Gotera ou encore la première autoroute à 6 voies d’Éthiopie, pour un montant cumulé de 812,7 millions de dollars. En outre, la Chine s’est également directement impliquée dans l’édification d’infrastructures à forte dimension politique et symbolique, à l’instar du siège de l’Union africaine.
Néanmoins, Pékin a fait de ses investissements dans les transports une priorité stratégique. Les flux humains et matériels ont été progressivement optimisés par l’entremise chinoise, notamment avec l’aéroport de Bole. Celui-ci a en effet fait l’objet d’un projet d’extension massif en 2017 – 2018 entièrement financé par la banque chinoise Exim à hauteur de 345 millions de dollars. En outre, les réseaux ferroviaires urbains et interurbains ont connu une mutation radicale. La Chine a en ce sens bâti et inauguré à Addis-Abeba les deux premières lignes de métro d’Afrique subsaharienne. Cependant, le symbole de ces grands chantiers sino-éthiopiens s’est traduit par la sortie de terre de la ligne ferrée prioritaire Ethio-Djibouti. La Chine a offert à l’Éthiopie un accès direct à la mer dans le cadre d’un projet à 4 milliards de dollars.
Pékin a indubitablement doté Addis-Abeba de toutes les cartes pour une compétitivité pérenne en Afrique de l’Est, et plus généralement dans toute l’Afrique. Une interrogation récurrente concernant l’amélioration des conditions de vie des Éthiopiens subsiste toutefois. Pour l’instant, les autorités éthiopiennes semblent ne pas se préoccuper de cette réalité. Eu égard à cela, les prochaines années pourraient-elles de fait voir une implosion en plein vol de la fusée éthiopienne ?
Sources :
CABESTAN Jean-Pierre, « La Chine et l’Éthiopie : entre affinités autoritaires et coopération économique », Perspectives chinoises, 2012/4
COWEN Tyler, « Ethiopia Already Is the ‘China of Africa », Bloomberg, 29 mai 2018
MARSH Jenny, « Skyscrapers, trains and roads: How Addis Ababa came to look like a Chinese city, CNN, 3 septembre 2018
ROBEQUAIN Lucie, “L’Éthiopie, le tigre africain qui étonne le monde”, Les Échos, 17 janvier 2019
RTBF, “L’aéroport d’Addis-Abeba, nouvelle porte d’entrée de l’Afrique”, RTBF, 30 novembre 2018
WORLD INTEGRATED TRADE SOLUTION, “Ethiopia quarterly trade data”, Banque mondiale, 3 janvier 2017
XIA Li, “Ethiopia licenses 1,294 Chinese investment projects in 2017/18: official”, Xinhua, 31 août 2018
Ces spécificités résident tout d’abord dans la viabilité économique du pays. En effet, l’Éthiopie enregistre depuis plus d’une décennie un taux de croissance exceptionnel, ayant atteint 10,7 % en 2017. Malgré une baisse à 7,7 % en 2018, les projections de la Banque mondiale estiment une reprise à hauteur de 9 % pour les années à venir. Dans un second temps, ce miracle économique se traduit par la stature stratégique qu’a peu à peu endossée sa capitale. Addis-Abeba est devenue la porte d’entrée de l’Afrique orientale. L’aéroport de Bole s’est érigé comme l’un des plus gros hubs d’Afrique, tant en termes de passagers que de fret. De surcroît, le niveau de vie relativement bas dans le pays a encouragé les investisseurs chinois à tirer profit d’une main-d’œuvre abondante et peu onéreuse.
Outre les considérations statistiques, l’histoire de ces deux pays constitue un élément majeur pour expliquer la pérennité de cette relation. Après la chute de Mengitsu et du Derg en 1991, Pékin entreprend de nouer une relation étroite avec le Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien. L’arrivée au pouvoir du Premier ministre Meles Zenawi en 1995 marque l’établissement d’un partenariat durable avec la Chine. Pékin voit dès lors en l’Éthiopie le reflet de son modèle. D’inspiration initiale marxiste-léniniste, le FRDPE insiste sur la nécessité d’industrialiser et de moderniser le pays. D’autre part, le parti entame une mue progressive vers la social-démocratie avec un impératif d’ouverture. Les similarités entre Éthiopie et Chine font dès lors florès, étant à la fois économiques, politiques, diplomatiques, mais également idéologiques.
L’Éthiopie, usine à ciel ouvert de la Chine
Parmi les projets chinois en ex-Abyssinie domine très nettement un secteur : celui de l’industrie textile. En très peu de temps, l’Éthiopie est devenue dans ce cadre le théâtre d’une véritable industrialisation à marche forcée. Outre Addis-Abeba, le pays se caractérisait traditionnellement par une ruralité très majoritaire. Les investissements chinois massifs ont marqué un tournant décisif en cela. Les parcs industriels à l’image de celui d’Hawassa, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale, ont fleuri à une vitesse effarante. Celui-ci, aspirant à employer près de 20 000 Éthiopiens fin 2019, a été construit en moins de 9 mois par une entreprise de travaux publics chinoise, pour un coût total de 250 millions de dollars. Cette initiative n’est cependant pas isolée. Huit nouveaux parcs industriels de cette ampleur devraient être inaugurés courant 2020, dont une très grande partie sera exploitée par des sociétés chinoises.
La cause de cet engouement pour le tigre éthiopien réside d’une part dans une fiscalité extrêmement avantageuse. Les usines textiles chinoises sur place ont notamment bénéficié d’une exonération de l’impôt sur le revenu pour leurs cinq premières années d’exploitation, mais également d’une absence de droits de douane sur le capital productif et les biens d’équipement, de fait majoritairement importés de Chine. De surcroît, l’autre intérêt chinois ayant impulsé ce déploiement économique substantiel est celui de la main-d’œuvre, abondante et très peu onéreuse. Dans les faits, le salaire moyen d’un employé textile éthiopien tourne autour d’une trentaine d’euros par mois, soit 5 à 10 fois inférieur à la rémunération chinoise. L’Éthiopie est en cela le pays de tous les paradoxes, affichant à la fois un taux de croissance hors pair pour une précarité humaine généralisée.
Le tigre éthiopien et le bâtisseur chinois
La stratégie chinoise en Éthiopie ne saurait se cantonner qu’au volet des transactions économiques et commerciales. Très fortement inspirées par l’exemple du « grand frère », les autorités éthiopiennes ont pris le parti dès les années 2000 d’appliquer le modèle chinois à l’urbanisation et aux infrastructures du pays. Pour ce faire, le marché des travaux publics a largement été ouvert aux sociétés chinoises, faisant en conséquence du dragon asiatique le principal promoteur et façonneur de la capitale, Addis-Abeba. Au rang des grands projets figurent notamment le périphérique routier de Gotera ou encore la première autoroute à 6 voies d’Éthiopie, pour un montant cumulé de 812,7 millions de dollars. En outre, la Chine s’est également directement impliquée dans l’édification d’infrastructures à forte dimension politique et symbolique, à l’instar du siège de l’Union africaine.
Néanmoins, Pékin a fait de ses investissements dans les transports une priorité stratégique. Les flux humains et matériels ont été progressivement optimisés par l’entremise chinoise, notamment avec l’aéroport de Bole. Celui-ci a en effet fait l’objet d’un projet d’extension massif en 2017 – 2018 entièrement financé par la banque chinoise Exim à hauteur de 345 millions de dollars. En outre, les réseaux ferroviaires urbains et interurbains ont connu une mutation radicale. La Chine a en ce sens bâti et inauguré à Addis-Abeba les deux premières lignes de métro d’Afrique subsaharienne. Cependant, le symbole de ces grands chantiers sino-éthiopiens s’est traduit par la sortie de terre de la ligne ferrée prioritaire Ethio-Djibouti. La Chine a offert à l’Éthiopie un accès direct à la mer dans le cadre d’un projet à 4 milliards de dollars.
Pékin a indubitablement doté Addis-Abeba de toutes les cartes pour une compétitivité pérenne en Afrique de l’Est, et plus généralement dans toute l’Afrique. Une interrogation récurrente concernant l’amélioration des conditions de vie des Éthiopiens subsiste toutefois. Pour l’instant, les autorités éthiopiennes semblent ne pas se préoccuper de cette réalité. Eu égard à cela, les prochaines années pourraient-elles de fait voir une implosion en plein vol de la fusée éthiopienne ?
Sources :
CABESTAN Jean-Pierre, « La Chine et l’Éthiopie : entre affinités autoritaires et coopération économique », Perspectives chinoises, 2012/4
COWEN Tyler, « Ethiopia Already Is the ‘China of Africa », Bloomberg, 29 mai 2018
MARSH Jenny, « Skyscrapers, trains and roads: How Addis Ababa came to look like a Chinese city, CNN, 3 septembre 2018
ROBEQUAIN Lucie, “L’Éthiopie, le tigre africain qui étonne le monde”, Les Échos, 17 janvier 2019
RTBF, “L’aéroport d’Addis-Abeba, nouvelle porte d’entrée de l’Afrique”, RTBF, 30 novembre 2018
WORLD INTEGRATED TRADE SOLUTION, “Ethiopia quarterly trade data”, Banque mondiale, 3 janvier 2017
XIA Li, “Ethiopia licenses 1,294 Chinese investment projects in 2017/18: official”, Xinhua, 31 août 2018