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Hégémonie régionale et « réalisme offensif ». Remarques comparatives concernant Israël, la Turquie et l’Europe vis à vis de la « nation indispensable »




Publié par Irnerio Seminatore le 12 Décembre 2023

Hégémonie, réalisme offensif, et une scène internationale en pleine mutation : voici le cœur de l'analyse tranchante d'Irnerio Seminator auteur de "L'Europe, la multipolarité et le système international", publié par VA Éditions. Cet article explore les dynamiques complexes entre Israël, la Turquie, et l'Europe dans leur ballet géopolitique avec les États-Unis. L'auteur dévoile comment ces acteurs naviguent dans un ordre mondial en constante évolution, où la stratégie et le pouvoir redéfinissent les alliances et les rivalités.



Si l’hégémonie des États-Unis se mesure au niveau global par la supériorité des forces, le modèle culturel et le réalisme offensif, qui en font un leader incontesté dans une situation multipolaire trouble, Israël, la Turquie et l’Europe se situent respectivement, vis-à-vis des États-Unis, en modèle hégémonique régional, en pivot intercontinental rebelle et en vassal déconnecté du réel. Israël est un acteur régional qui dispose d’une autonomie politique et d’une capacité stratégique indépendante et à la limite divergente de celle de son protecteur et grand maître, la Turquie d’une position de pivot et de carrefour intercontinental, lui assurant une ambiguïté stratégique permanente et l’Europe une condition de subordination, de désunion et de marginalisation, qui la relègue à une appendice atone de l’Eurasie.

Le révélateur en est la crise internationale actuelle, son interconnexion des théâtres (Ukraine, Syrie, Israël, Haut-Karabakh-Iran) et son issue, qui doit correspondre à l’agenda des rivalités prioritaires d’hégémon (le face-à-face des États-Unis et de la Chine) et à un espace de manœuvre mondial, coordonné avec ses alliés, en termes d’échiquier et de dynamique historiques. Les acteurs mentionnés ne peuvent avoir la maîtrise de la stabilité du système et demeurent à la traîne des événements vis-à-vis des surprises stratégiques. Israël est confronté en urgence à Gaza à une réaction coercitive impromptue, la Turquie à de énièmes concessions par chantage à propos de l’entrée de la Suède dans l’OTAN et l’Europe à la prise en charge financière du coût du conflit ukrainien et à une candidature d’adhésion à l’UE, qui occulte l’appel aux fonds de préadhésion de Bruxelles. En revanche Hégémon se doit de mettre en œuvre une diplomatie d’alliances transpacifiques (Aukus, PTP), comme soutien de son jeu d’endiguement. En termes de doctrine, l’adoption du « réalisme offensif » par la Maison-Blanche et par le Pentagone offre-t-elle une clé de lecture plus efficace aux décideurs étasuniens ? La théorie du réalisme offensif de John Mearsheimer, analyste américain controversé, a-t-elle un fondement évident lorsqu’elle affirme, à propos des interventions des États-Unis et de la Russie, que la nation prévaut sur le libéralisme et le réalisme sur la démocratie et les droits de l’homme, tant affichés aux plans déclaratoires et médiatiques ?

Cinq guerres sont en cours simultanément aujourd’hui reliées entre elles, dont les caractéristiques peuvent être reconduites aux réactions sécuritaires d’États, menacés en leur sécurité ou percevant une menace à leur existence. Ces États ont adopté la politique du « réalisme offensif » sur la base de rationalités historiques distinctes et pour des conceptions fort éloignées, mais réductibles à trois : la peur, l’impératif de survie et la maximisation de leur puissance. Israël, surpris par l’intensité de l’attaque du Hamas et de ses répercussions, a enterré le confortable « statu quo » avec l’Autorité palestinienne et a opté pour une réaction radicale de rejet définitif de toute illusion de règlement politique à deux États et, de ce fait, par une maximisation de sa puissance territoriale (Eretz Yisraël, le grand Israël de la Bible, de la Méditerranée au Jourdan)). Moscou a décrété l’opération spéciale en Ukraine, par une stratégie préemptive suite aux surdités et tromperies successives de l’Occident, interdisant aux puissances rivales (Ukraine et États membres de l’OTAN) d’agir en premiers au Dombass. La Turquie maximise son statut diplomatique récalcitrant et son pouvoir de contrôle sur la mer Noire, par un partage de celle-ci avec Moscou. Ainsi, l’unité de la volonté et de l’occasion, selon la théorie, augmente les garanties de survie dans la lutte régionale et globale pour l’hégémonie. La conception globaliste du pouvoir international semble l’emporter, puisque les issues des conflits régionaux sont décidées par les grandes puissances, prêtes à limiter les ambitions des acteurs locaux, étatiques, subétatiques ou exotiques.

Le « réalisme offensif » réagirait ainsi préventivement ou encore préemptivement, selon une sorte de code génétique des États, commun aux forces combattantes terroristes, fanatiques ou extrémistes, d’allégeance islamiste ou autres, dans le but d’assurer leur survie et d’interdire l’interférence d’autres grandes puissances dans leurs affaires, jugées intérieures. Quant au même sujet, là où il n’est guère possible à l’acteur engagé d’assurer une couverture stratégique sur ses arrières et donc une supériorité et une protection incontestables contre des coalitions de forces disparates et hostiles, l’exceptionnalisme américain de la « Nation indispensable » assure la fonction d’équilibrateur extérieur et de garant de la stabilité régionale et locale. Le conflit israélo- palestinien et l’opération spéciale russe en Ukraine sont là pour prouver que le début d’une nouvelle guerre froide remet en discussion les situations acquises, les conflits gelés et les revendications de sécurité anciennes et nouvelles. Une grande vague de révisionnisme secoue le système international, ouvrant une période de remise en cause de l’hégémonie tutélaire de l’ordre international établi. Son affaiblissement supposé indique que les alliances défensives (OTAN), se transforment au gré de la conjoncture et créent les conditions d’une nouvelle hostilité, à caractère anti-hégémonique, visant explicitement la Russie.

En termes de « réalisme offensif » et considérant la similarité inversée de la crise de l’Ukraine et de Gaza, l’évidence prouve que les limites de l’intérêt national de l’empire ne peuvent être définies d’avance et de manière claire et qu’un flottement politique et stratégique s’installe entre système et sous-système, rendant contradictoire la liberté d’action des puissances mineures ou régionales vis-à-vis du pouvoir impérial, jouant à l’est de l’Europe en fauteur d’instabilité et de conflit, et au Moyen-Orient en rôle « apparent » d’équilibrateur et de modérateur entre les deux parties aux prises. Le fond du jugement sur le « réalisme offensif » adopté par Poutine n’a de signification pertinente que dans la revendication d’une sécurité égale, indivisible et non discriminatoire, dans un monde de plus en plus réfractaire à l’unipolarisme hégémonique. Dans le cas du Moyen-Orient la démesure de la riposte israélienne pourrait compromettre, selon certains, la sécurité à long terme d’Israël même, celle de l’Europe et, dans une région cruciale, l’hégémonie mondiale des États-Unis.

Dans le premier cas (Europe centrale) serait prouvée la faiblesse d’un État tampon, ce qui justifierait son dépeçage territorial et politique. Dans le deuxième l’impossibilité définitive d’une solution à deux États, destinée à alimenter la mythologie du « chaos constructif », évoquée par Condoleeza Rice, ancienne Secrétaire d’État de G. W. Bush. Cette impossibilité est due à des difficultés insurmontables, ethnoculturelles, historiques, territoriales et, pour terminer, stratégiques, autrement dit à des intérêts et des sentiments collectifs, dictés par une hétérogénéité radicale de perspectives politiques. Les pressions exercées par Hégémon sur Israël dans le but d’une recherche de solutions à deux États (éventuels) engendreraient une tutelle permanente de la part d’une puissance globale extérieure, en soutien d’un compromis intenable et artificiel.

La fracturation du monde qui en découle engendre un grand retournement de situations et de politiques et ouvre une page, qui avait été relativement codifiée dans la guerre froide, quant à la limite des risques de confrontation entre grands nucléaires, tant à l’échelle locale qu’à l’échelle globale.


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