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Géopolitique et enjeux internationaux autour de l’Arctique, interview de Victor Chauvet




Publié par Solaine Legault le 1 Octobre 2014



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Quelles sont les revendications des populations locales ? Le Groenland a-t-il l’ambition et la possibilité de devenir un acteur régional majeur ?

Absolument. Cette question est d’autant plus importante que les populations locales le revendiquent. Le Groenland, bien que n’étant pas juridiquement encore un pays, remplira certainement à l’avenir un rôle majeur dans la région, voire mondialement. En effet, le Groenland à des bons arguments.

Géographiquement, le Groenland à une position centrale pour les routes maritimes arctiques (Arctic Bridge). C’est sans contestation un véritable point d’ancrage pour le continent européen et Nord-américain. En matière énergétique, les chiffres, bien que prospectifs, sont conséquents : 31 milliards de barils de pétrole et de gaz se trouvent sur la côte Nord-Est, en plus de 17 milliards à l’Ouest et dans le bassin Est du Groenland, soit 48 milliards de barils environ, 80 milliards de m3 de gaz, 600,000 tonnes d'uranium (3ème réserve mondiale), 2ème réserve mondiale de terres rares, etc. De plus, ses ressources halieutiques importantes font de sa ZEE un espace convoité et utilisé notamment par Bruxelles.

Tous ces atouts sont des éléments utilisés par le jeune gouvernement à des fins de séduction géoéconomique pour son propre développement. Cette stratégie incarne une forme de couverture stratégique (« Hedging »).  Il s’agit d’une doctrine qui vise à attirer des partenaires plus « gros » (eux-mêmes concurrents entre eux) sur son territoire dans le but de créer une valeur géopolitique et géoéconomique artificielle.

Attention tout de même à ne pas tomber dans une analyse idéaliste, car les territoires arctiques doivent faire face à certains types de difficultés : géographiquement bien sûr, avec 0,03 habitant/km2, le Groenland a donc une maîtrise territoriale très difficile avec des conditions climatiques extrêmes. Un « déterminisme géographique » et l’implantation géographique d’un territoire brident-ils forcément son développement ?

Il y a également un manque important de main-d’œuvre qualifiée, nécessaire aux emplois techniques du secteur énergétique  et de nombreux  problèmes sociaux comme par exemple l’alcoolisme et le suicide. 

Quelles sont les positions de l’UE et de l’OTAN sur l’Arctique ?

L’Union Européenne n’a pas de réelle feuille de route pour le développement de l’Arctique. Néanmoins, parce que certains de ses états-membres sont directement concernés par les problématiques arctiques, l’UE dispose d’une certaine légitimité pour s’exprimer sur ces questions. Les enjeux stratégiques sont réels pour Bruxelles.
 
D’un point de vue géographique, la Suède & la Finlande sont des pays membres de  l’Union-Européenne. De plus, l’espace économique européen regroupe deux autres états « péri-arctique » : l’Islande (qui avait demandé son adhésion à l’Union avant de revenir sur sa demande le mois dernier) et la Norvège. Mais un des cas les plus intéressants selon moi est celui du Groenland, qui a le statut de PTOM Danois.
 
D’un point de vue politique maintenant, sur les huit pays membres du Conseil de l’Arctique (principal forum intergouvernemental sur l’Arctique), cinq sont membres de l'OTAN : le Canada, les Etats-Unis, le Danemark, ainsi que l’Islande et la Norvège. Restent la Russie, la Finlande et la Suède. La France a le statut d’observateur permanent depuis 2000,  à l’instar d’autres états de l’UE. 

Quelles sont les « politiques arctiques » de L’UE et ont-elles des possibilités d’actions ?

Concernant les programmes européens, la dimension septentrionale incarne le trait d'union entre l’UE et le Grand Nord. La dimension septentrionale est un des moteurs de la relation UE-Grand Nord. Il est question de mettre en place une politique visant à resserrer les liens entre les partenaires à travers le « Service européen pour l’Action extérieure » (SEAE).
 
Le second programme de développement régional est Interreg IV North, qui a pour objectif de reconnecter les territoires séparés, de promouvoir le développement économique des régions transfrontalières, et de faire de la région un espace de compétitivité, via le développement de compétences techniques (innovation, recherche scientifique, prévention des risques environnementaux en autre…). Le programme Kolarctic est l’outil financier de la zone nordique, un support qui s’étend au-delà des frontières de l’UE.
 
Même s’il est notable que Bruxelles ait eu un réveil tardif sur les questions arctiques, la commission a transmis en 2008 un communiqué dans lequel est défendue une stratégie européenne pour l’Arctique, reprit en 2011 et en 2014. Ce communiqué introduit différents sujets comme la recherche, l’environnement, les aides aux populations locales, l’exploitation des ressources naturelles évidemment, mais aussi les transports, la question de la paix, le tourisme et bien sur la pêche. Depuis 2005, il existe un programme de pêche intéressant, qui permet l’accès aux navires de pêches européens à  la ZEE groenlandaise, en échange d’un financement de programme éducatif. La démarche européenne en Arctique a trouvé son paroxysme très récemment (septembre 2014) lors du séminaire de présentation du « European-Union Innitiave Arctic Commission », piloté par la commission européenne et qui a donné lieu à la rédaction et à la présentation d’un rapport public.  

L’hypothèse d’un conflit arctique est-elle crédible ?

Pas vraiment, mais il y a plusieurs scénarii possibles. Plusieurs auteurs et chercheurs ont, pendant la décennie 2000-2010, annoncé un conflit ouvert classique. Leur analyse s’est avérée fausse. La coopération et les enjeux économiques sont trop importants pour que des tensions territoriales engendrent un conflit, à l’image de la mer de Chine Méridionale autour des îles Senkaku.

Néanmoins, il existe bel et bien des tensions territoriales et des divergences entre les Etats. Un des points faibles de la gouvernance arctique est l’absence de l’OTAN sur la zone ainsi que l’absence de politique militaro-sécuritaire au sein du conseil de l’Arctique. Ces questions sont de facto traitées de manière bilatérale. Bien entendu, avec ce constat et sans réel équilibre des forces des pays circumpolaires, les frictions géopolitiques peuvent avoir des impacts qu’économiques sur la zone.

« Guerre impossible, paix improbable » disait Raymond Aron. Cela résume bien l’hypothèse du conflit arctique, car aujourd’hui, un état engagé dans un conflit classique trouverait un avantage stratégique à passer par la zone arctique.
 

 

Géopolitique et enjeux internationaux autour de l’Arctique, interview de Victor Chauvet
Géographe, spécialiste de la géopolitique de l’Arctique, Victor Chauvet est chercheur à l’Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE), auteur de « La Triangulaire Diplomatique Danemark-Groenland-Union-Européenne »  (L’Harmattan , 2014), et co-fondateur du POLARISK Group

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