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Des écoutes aux mariages : l’insatiable besoin d’en connaître chinois




Publié par Amaury Guillou le 27 Avril 2020

« Ayez des espions partout, soyez instruits de tout, ne négligez rien de ce que vous pourrez apprendre » (Sun Tzu, L’Art de la guerre) : la Chine d’aujourd’hui ne saurait mieux appliquer ces principes, menant contre ses partenaires commerciaux une guerre économique souterraine.



Un programme d’une envergure exceptionnelle

Les services de renseignements français tiennent à faire passer le message : malgré des déclarations officielles de coopération, la République Populaire de Chine profite de l’ouverture française à l’international et déploie un large dispositif d’espionnage. Contact de personnes haut placées, vol d’information par effraction ou piratage, voire même mariage. Tous les moyens sont bons pour mettre la main sur les secrets industriels ou militaires français, le tout piloté par le MSE (Ministère de la sécurité d’Etat), la toute-puissante agence d’espionnage chinoise.

La DGSI s’agace de constater la bienveillance de certains hommes politiques qui, en encourageant la collaboration avec l’Empire du Milieu, sont soupçonnés de faire le jeu du MSE. Il faut dire que la Chine déploie les grands moyens pour « favoriser la coopération économique franco-chinoise ». C’est ainsi que Huawei, véritable cheval de Troie de l’intelligence économique chinoise en France, s’est attaché les services d’un des lobbyistes les plus influents de la place de Paris, Paul Boury. Avec son carnet d’adresse, le lobbyiste a, entre autres, permis à l’entreprise de nommer Jean-Louis Borloo, ancien ministre de Nicolas Sarkozy et proche d’Emmanuel Macron, à la tête de son conseil d’administration en France. Fort utile pour éviter un boycott de Huawei sur la 5G comme aux États-Unis notamment.

D’autres personnalités à l’instar d’Emmanuel Lenain, ambassadeur à New Delhi et président de la France-China Fundation ou encore Cédric Villani, président du fonds de dotation de l’Institut Poincaré, en partie financé par des subventions de Huawei sont également citées pour être très sinophiles. Si aucune accusation concrète n’a été formulée, la DGSI laisse à penser que certaines négligences dans le partage d’information ont pu être effectuées. Néanmoins, même si cette stratégie d’influence a de quoi inquiéter elle l’est bien moins que la stratégie d’espionnage que met en place le régime chinois.

Car si des personnalités publiques sont approchées par les entreprises chinoises, d’autres personnes sont carrément « tamponnées » (approchées par un service de renseignement étranger dans le jargon du renseignement) par les services du MSE. La force de frappe du MSE et de ses 200 000 agents laissent présager de l’étendue du recrutement de sources françaises. Ces dernières sont soigneusement choisies, en raison de leur profil attractif, des grandes écoles dont elles sont issues, de leur carnet d’adresse.

Le MSE vise avant tout le secteur public afin de récupérer les données sensibles de l’Etat : 52% des personnes contactées travailleraient dans la fonction publique, à commencer par les institutions nationales (Parlements, ministères…). Néanmoins, leur intérêt se porte à part égale sur les entreprises françaises cotées agissant dans les secteurs stratégiques (hautes technologies), voire « d’intérêt vital ». L’objectif est de mettre la main sur les innovations technologiques et brevets, avec un enjeu non seulement économique mais aussi de souveraineté, et des secteurs sensibles comme l’aéronautique ou l’aérospatial, mais aussi la santé, le nucléaire ou les nanotechnologies. La République Populaire de Chine a par exemple tenté de mettre la main sur Alcatel Submarine Network, fleuron français des câbles sous-marin par lesquels transite toute l’information internet au niveau mondial.

Mais les Français ne sont pas les seuls à avoir à se plaindre des interférences chinoises : pas moins de 10 000 personnes auraient également été contactées en Allemagne, les États-Unis ont publiquement accusé LinkedIn de laisser-aller, et le Royaume-Uni dénonce le recrutement d’employés ou anciens employés du gouvernement.

Un modus operandi classique mais redoutable
 
Lorsqu’on pense à l’espionnage chinois en France un nom revient sans cesse : Huawei. Cristallisant toutes les craintes d’espionnage par le régime chinois via des mécanismes de portes dérobées, il n’est en réalité que la partie émergée de l’iceberg. Effectivement dès 2015 la France a mis en place le dispositif Cerbère pour surveiller Huawei de près, peu de chances dès lors que les services de renseignement chinois ne se servent que de leur porte étendard pour espionner en France. Mais alors comment la Chine espionne-t-elle notre pays ?
 
La Chine déploie d’importants moyens technologiques pour espionner en France avec en premier lieu de nombreuses cyber-attaques. Pékin a beau nier en bloc on y retrouve à chaque fois de fortes suspicions : en janvier 2019 Airbus est victime d’une cyberattaque piratant des documents techniques relatifs à la certification des avions du géant européen. Troublante coïncidence quand on sait que la Chine déploie d’importants efforts pour faire de son Comac C919 le futur grand rival de l’A320.
 
Pékin ne se prive pas non plus d’écouter son partenaire français allant même jusqu’à installer un centre d’écoute satellitaire à Chevilly-Larue, dans le Val-de-Marne. Mais là ne réside pas les spécificités de l’espionnage chinois en France. En effet rien de plus banal (sic) que de disposer de capacités d’écoutes chez ses « alliés », les Américains ayant été jusqu’à installer un centre d’écoute de la CIA au dernier étage de l’ambassade américaine à Paris.
 
Non là où la Chine témoigne d’un activisme accru dans son espionnage économique c’est dans le recrutement de sources françaises. Le Figaro a révélé en octobre 2018 l’importance du recrutement en France par le Ministère de la sécurité d’Etat et tout particulièrement du deuxième bureau, celui en charge de l’espionnage économique. Car la Chine cherche tout particulièrement à piller des données sensibles au cœur même de l'État et des fleurons de notre patrimoine économique. Selon la DGSI, près de 4000 cadres et employés de la fonction publique et de sociétés stratégiques ou cotées ont été « approchés » par la Chine via LinkedIn notamment. Plus inquiétant « plusieurs centaines de cibles sont entrées dans un processus de compromission assez abouti ». Mais là encore il serait ingénu de croire que seule la Chine a recours à ce type de pratique. Ce qui fait la spécificité chinoise tient surtout au nombre de « cibles » hameçonnées par LinkedIn, majoritairement de jeunes cadres à haut potentiel et ayant accès à des données intéressant tout particulièrement Pékin dans la guerre souterraine que le régime chinois mène contre ses rivaux économiques mondiaux.
 
Fini le temps où la Chine comptait principalement sur ses « stagiaires » pour obtenir de l’information. On se souvient de la brillante stagiaire chinoise LiLi qui en 2007 avait photocopié moult documents de son employeur Valeo pour les conserver chez elle. Néanmoins l’utilisation de jeunes recrues perdure, le contre-espionnage français dans un rapport confidentiel du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) s’inquiétant du nombre anormalement élevé de mariages entre des militaires bretons et des étudiantes chinoises. Cette statistique qui pourrait faire sourire l’est beaucoup moins quand on sait que Brest, avec la base de l’Ile Longue, est l’une des pièces maîtresses de la dissuasion nucléaire française.
 
Enfin, preuve de la puissance grandissante chinoise, la Chine ne se cantonne plus désormais au simple renseignement économique mais aussi politique en témoigne ces deux ex-agents de la DGSE tamponnés par la Chine mais démasqués et arrêtés pour compromission du secret défense en 2018.  
 
L’urgence d’une riposte
 
« Pendant trop longtemps, la culture du renseignement n’a pas été prise au sérieux par nos concitoyens comme elle devrait l’être », explique un haut responsable. Devant l’ampleur de ce programme d’espionnage chinois, les services français de renseignement ont décidé de riposter avec force et lucidité. Il est indispensable de sensibiliser les cadres et les élites politiques. La DGSE et la DGSI ont donc appelé à diffuser une note dans les administrations pour leur apprendre à repérer les tentatives d’approche sur les réseaux sociaux et à adopter les bonnes pratiques afin de protéger les informations sensibles. Parmi ces bonnes pratiques, les agences conseillent de refuser les demandes de connexion venant d’inconnus, car les accepter, par exemple sur LinkedIn, permet à ces profils de se constituer des réseaux professionnels et donc de paraître crédible. Une liste de sociétés écrans suspectes a également été publiée.
 
Si les agences de renseignement françaises réagissent aussi fermement, c’est que les enjeux derrière, principalement économiques, sont monumentaux. Les agences chinoises cherchent notamment à identifier des PME et start-ups développant des technologies innovantes prometteuses. Une fois ce ciblage fait, la Chine a plusieurs moyens à sa disposition pour siphonner ces innovations : voler des instruments high-techs, récupérer les brevets (comme ce fut le cas de l’entreprise Desseilles), par exemple en infiltrant un doctorant dans les centres de recherche, ou encore mettre en place secrètement des instruments de “rétro-ingénierie”, c’est-à-dire qui permettent de comprendre le fonctionnement ou la fabrication de l’objet, afin de pouvoir le reproduire après. Ce programme d’espionnage n’est donc ni plus ni moins que le pillage organisé de nos technologies les plus prometteuses.
 



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