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Au cœur de l’action : Bernard Meunier revient sur l’affaire de la Grotte d’Ouvéa et les enjeux actuels en Nouvelle-Calédonie




Publié par La Rédaction le 4 Juin 2024

Membre du GIGN, Bernard Meunier fait partie des otages volontaires sur l'ile d'Ouvéa en 1988. Dans cette interview exclusive, il revient sur cette affaire marquante et commente le nouveau soulèvement en Nouvelle-Calédonie.



Pouvez-vous nous rappeler le contexte général de l’affaire de la grotte d’Ouvéa en 1988 ?

Les élections régionales de 1986 en Nouvelle-Calédonie permettant l’ouverture de négociations sur un début d’autonomie pour le peuple premier, dit kanak, ne pouvaient aboutir favorablement pour le camp des indépendantistes. En effet, ils sont en infériorité numérique et donc bien en dessous des 50 % requis pour les remporter.

Le FLNKS (Front de libération Nationale de la Kanaky Socialiste) s’organise sérieusement à la suite de la création préalable de l’Union calédonienne (UC) qui deviendra sa branche armée. À sa tête, l’ancien séminariste et enseignant, Éloi Machoro, secrétaire général depuis 1981.

En 1986, « le vieil Éloi » comme on l’appelle, entrera dans le bureau de vote avec un tamiok (hache locale) en guise de bulletin ; fracasse l’urne en deux, lève les bras au ciel, et annonce que le FLNKS prendra le pouvoir par les armes s’il le faut.

Vont s’en suivre deux années supplémentaires d’exactions durant lesquelles les indépendantistes du FLNKS vont s’affronter avec les loyalistes (caldoches) sur des barrages. Des fermes de ces derniers vont bruler, des hommes tombent de part et d’autre des deux camps, deux gendarmes seront abattus, un village assiégé durant plusieurs mois… puis on recherche Eloi Machoro pour l’assassinat d’un jeune caldoche, mais les gendarmes ont peur d’intervenir, « le vieux » a la réputation d’avoir la gâchette facile. Ils demandent alors l’aide d’une équipe du GIGN pour les épauler.

On retrouve le leader du FLNKS à proximité du village de La Foa, il est avec une vingtaine de ses coreligionnaires sur l’élaboration du siège d’un nouveau village. À l’arrivée des gendarmes, Éloi sort avec son lieutenant à ses côtés, met en joue les gendarmes, alors que les deux indépendantistes sont neutralisés par deux tireurs du GIGN.

C’est Alphonse Dianou, également ancien séminariste et originaire de l’île d’Ouvéa, qui prendra la direction de la branche armée du FLNKS.

Alphonse veut frapper plus fort, il attendra alors la veille du premier tour des élections présidentielles du 22 avril 1988, entre le président sortant François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac, pour attaquer, avec l’aide d’une soixantaine d’indépendantistes, la brigade de gendarmerie de Fayaoué. Cette brigade est la seule sur l’île. Trente gendarmes mobiles renforcent depuis quelque temps, les cinq brigadiers déjà présents. C’est donc 35 personnels de la gendarmerie présents dans l’enceinte militaire ce matin du 22 avril à l’heure de la levée des couleurs. L’assaut est donné par Alphonse Dianou sur les quatre côtés, ne laissant aucune possibilité aux gendarmes présents d’aller chercher leurs armes restées cadenassées dans l’armurerie. Quatre gendarmes sont immédiatement abattus, un cinquième laissé pour mort. La trentaine restante est prise en otage. Une équipe de dix partira se cacher dans le sud de l’ile, les autres dans le nord.

Quel rôle spécifique avez-vous joué en tant qu’opérationnel du GIGN lors de cette crise ?

Une section d’alerte va décoller le soir même de Versailles Satory, pour atterrir à Nouméa une trentaine heures plus tard. C’est en Transat (avion militaire), puis en hélicoptère que nous rejoignons le nord de la petite île, et plus précisément le village de Saint-Joseph.

À notre arrivée, la dizaine d’otages située dans le sud sera relâchéé ; leurs geôliers dans leur majorité iront renforcer l’équipe se trouvant dans le nord.

Il nous restait donc à localiser des otages restants.

C’est à l'issue de quatre jours de recherche que le chef du village de Saint-Joseph, voyant des centaines de militaires arriver sur l’île sous les ordres du General Vidal commandant les troupes du Pacific, vient nous voir, seuls gendarmes présents dans le village, pour nous proposer de nous emmener à la grotte du dieu Wateô, où sont retenus les gendarmes.

Après plusieurs heures de marche dans la brousse, nous tombons sur le site, accueillis par des coups de feu. Nous ne pouvons intervenir à quinze contre une soixante d’individus armés, cachés, organisés et sans avoir aucune information sur la localisation précise des otages. Nous décidons d’attendre du renfort et de réfléchir à un plan d’action. Le lendemain matin, le substitut du procureur Jean Bianconi, connaissant Alphonse Dianou et une partie de ses acolytes pour les avoir rencontrés au tribunal de Nouméa, rentre en contact radio et lui fait la promesse de venir le voir. Malgré notre interdiction de s’approcher de la grotte, le magistrat part d’un pas décidé dans la brousse, accompagné de notre chef, le Capitaine Legorjus surpris par sa démarche. Ils se font prendre en otage. L’affaire se complique alors quelques heures plus tard pour sauver leur vie ainsi que celles des gendarmes déjà présents, nous décidons avec cinq de mes camarades de nous porter otages volontaires dans le but d’infiltrer le dispositif.

La suite de cette action est détaillée dans l’ouvrage, mais elle permettra la réussite d’une action conjointe huit jours plus tard.

Vous êtes devenu otage volontaire pour sauver des vies. Qu’est-ce qui a motivé cette décision extrêmement risquée ?

Le moteur de notre action à bien entendu été de sauver des vies, ce pour quoi nous sommes rentrés au GIGN.

Le rôle de cette unité, quand il arrive sur une crise particulièrement sensible comme celle-ci, est tout d’abord de figer la situation pour ne pas qu’elle empire, et ensuite de faire preuve d’imagination pour pouvoir résoudre la situation devenue extrêmement complexe.

Quels ont été les principaux défis que vous et votre équipe avez rencontrés pendant ces dix jours en tant qu’otages ?

En dehors du manque d’eau et de nourriture, la nécessité de garder toutes nos capacités d’intervention, si toutefois nous devions subitement passer à l’action.  
Dans un second temps, d’assurer la sécurité de l’intégralité des otages durant une éventuelle action de libération programmée.

Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience en termes de gestion de crise et de négociation ?

Des points fondamentaux qui sont déclinés dans le livre : « Négociation extrême », édité par VA édition.
La nécessité de devoir figer une situation malgré les risques encourus.
La tactique de négociation en tiroir.
L’imagination, l’engagement, la force du collectif et bien d'autres points déclinés dans le référentiel NEGOACTION.

Comment comparez-vous les évènements d’Ouvéa avec les récentes émeutes en Nouvelle-Calédonie ? Voyez-vous des parallèles ou des différences significatives ?

Les évènements actuels ont le même moteur, la même idéologie politique. La recherche de l’indépendance par tout moyen nécessaire par l'intermédiaire de la violence.

La différence majeure est d’une part :
Que l’action ait été plus subite et n’a pas évolué progressivement au fil des années comme dans les années quatre-vingt. Les violences actuelles, bien qu’annoncées verbalement par un ensemble d’acteurs politiques locaux, se sont déclenchées très rapidement et avec une violence inouïe.

Les membres du FLNKS ont eu un immense renfort de ce que l’on appelle en métropole, "les racailles", cette jeunesse désœuvrée, apparemment raciste et anticolonialiste, considérant qu’elle n’a rien à perdre, mettant à sac l’ensemble des édifices publics, mais aussi des sociétés privées, voire même de l’ensemble des magasins pouvant assurer leur propre alimentation.
 
Les parallèles sont l’engagement sans faille et la détermination des indépendantistes.
J’espère seulement qu’après une phase de préparation, une phase violente sur le terrain avec la mise en place de barrages et de tirs sporadiques ayant créés des dommages collatéraux très importants (impossibilité de se rendre à l’hôpital, d’acheter à manger, de se déplacer en sécurité, etc.), il n’y aura pas de troisième phase de type : fusillade masse envers la population loyaliste ou des forces de l’ordre, ou encore de prise d’otage comme en 1988.



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