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Affaire Squarcini-Fakir : le renseignement en eaux troubles




Publié par Artus Prêcheur le 28 Avril 2023

Les déboires judiciaires de l’ancien patron du renseignement intérieur dans l’affaire de l’espionnage de François Ruffin par LVMH montrent que l’importation des méthodes du renseignement dans les affaires liant des intérêts privés ne peut satisfaire les exigences déontologiques de l’intelligence économique.



L’affaire Squarcini/Ruffin/Arnault/LVMH

En s’acquittant de la somme de 10 millions d’euros validé par la justice le 17 décembre 2021, le groupe LVMH s’assure l’abandon des poursuites dans l’enquête sur l’implication de Bernard Squarcini, l’ancien patron du renseignement intérieur, dans l’espionnage du député François Ruffin (LFI) et de son média Fakir. M. Ruffin dénonçait dans cette enquête la « surveillance » dont il aurait été l’objet pendant le tournage de son film Merci patron sur le géant mondial du luxe et son PDG Bernard Arnault.

Cette affaire soulève les problèmes éthiques qui peuvent exister dans la pratique de l’intelligence économique, et dans le renseignement en général. Obtenir une information sur une personne morale ou physique contre son grès pose problème. Que M. Squarcini ait employé en tant que chef de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est une chose en tant qu’il œuvrait en vue de l’intérêt général, qu’il ait pu employé des méthodes similaires dans une affaire privée en est une autre.

Les manquements déontologiques dans l’utilisation des méthodes du renseignement sont caractérisés par la justice contre M. Squarcini avec les chefs d’inculpation de « vol », de complicité d’atteinte à la vie privée et d’espionnage à l’encontre de M. Ruffin. Ces chefs d’inculpation montrent-ils que les pratiques même de l’intelligence économique sont contestables en droit ?
 

La déontologie et l’intelligence économique : zone grise et part d’ombre

Non car l’intelligence économique n’utilise que des informations dites « blanches » ou « grises » obtenus par des moyens légaux ; c’est en cela qu’elle se distingue de l’espionnage économique. Ainsi, les professionnels de l’intelligence économique se doivent de respecter la Charte d’éthique du Syndicat français de l’intelligence économique (SYFIE), et plus particulièrement pour ce qui nous intéresse ici son article 4 alinéa 2 : « Les signataires de la Charte s’obligent à ne communiquer à leur client que des informations librement accessibles par des moyens légaux ». On l’aura donc compris, c’est la libre disponibilité de l’information qui est au cœur de la pratique déontologique de l’intelligence économique.

À ce titre, les investigation menées par M. Squarcini pour le compte de M. Arnault et de LVMH appartiennent à la zone grise voire franchement noire de la recherche d’information. M. Ruffin révélait ainsi «avoir travaillé avec une «taupe» qui aurait «fait les poubelles de Fakir ou piqué des documents». M. Ruffin déplore notamment la divulgation d’informations sur sa compagne : « À l’époque, cette relation sentimentale n’était pas officielle. Tous les membres de Fakir n’étaient pas forcément au courant ».

Ce dossier ne peut que nuire à l’image de l’intelligence économique en France en tant qu’il entache certains de ces acteurs. Ainsi M. Squarcini aurait travaillé en marge de l’enquête menée par le cabinet d’intelligence économique I2F. Cependant, les pratiques des acteurs professionnels du milieu et des mercenaires comme M. Squarcini sont notablement différentes. Là où le « Squale » a connu des déboires avec la justice, M. Seveno assure n’avoir que travaillé à ‘établissement d’une « cartographie » de Fakir et de l’entourage de M. Ruffin. I2F a aussi eu accès à un mail faisant état d’une possible intervention des membres de Fakir pendant une assemblée générale de LVMH ; mais le patron de I2F assure qu’il a été obtenu par une source humaine: « Si on cite un mail dans un rapport, c’est que nous en avions entendu parler, mais il n’y a eu aucun hacking. Je ne sais pas faire ».
 

Déontologie/téléologie, distinctions essentielles d’une bonne pratique de l’IE

On en revient donc à la distinction essentielle à une pratique déontologique de l’intelligence économique : la différence entre une information en source ouverte « blanche » et une information privée ou secrète. M. Squarcini a donc importé dans une affaire privée entre personne morale et physique des pratiques issues du renseignement, comme le confirment les enregistrements mis aux jours par Fabrice Arfi du journal Mediapart : « On a infiltré. On affine la liste, avec les domiciles, adresses et on va re-recroiser pour essayer d’en sortir un meilleur trombinoscope ».

C’est ce glissement et cette porosité entre le monde du renseignement et le monde des affaires qu’il convient d’interroger. Si l’on peut tolérer que le service du bien général impose de recourir à des méthodes troubles, ce n’est pas le cas pour la recherche d’informations au service d’intérêts privés. Si renseignement et intelligence économique ont en partage des pratiques qui font appellent à une déontologie commune, l’intelligence économique ne jouit pas, à l’instar du renseignement étatique, de la possibilité de suivre une éthique téléologique. Dit autrement, dans le cas d’intérêts économiques privés, la fin ne justifie pas les moyens. Dès lors, il convient pour un professionnel de l’intelligence économique de ne pas s’engager dans affaires qui poseraient un tel état d’âme.  C’est d’ailleurs le sens de l’article 3 de la Charte du SYNFIE qui plaide pour une « conformité à l’ordre public et à l’intérêt supérieur de la Nation ».
 



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