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​Turquie, où en est l’AKP




Publié par Henri Poisot le 5 Avril 2019

Recep Tayyip Erdogan et son parti de la justice et du développement (AKP), viennent de subir un revers électoral à l’occasion des municipales du 31 mars dernier. Istanbul est tombé aux mains de l’opposition, un symbole fort alors que Erdogan y est né et qu’il a focalisé sa politique sur son développement. Si le résultat est une défaite pour l’AKP, le parti au pouvoir reste majoritaire et puissant. Cependant, sans nul doute, Erdogan qui a l’habitude de dire « qui contrôle Istanbul contrôle la Turquie » appréciera.



Une défaite symbolique et personnelle

L’AKP et son allié ultranationaliste, le MHP détiennent toujours la majorité des municipalités, mais 7 grandes villes du pays sont passées à l’opposition dont la capitale Ankara et la ville mythique d’Istanbul. Elle a désormais sous son contrôle les plus importants pôles économiques du pays. Cette défaite est aussi celle du président Erdogan lui-même et de sa rhétorique particulièrement agressive alors que son parti a disposé d’un budget de campagne bien plus important que l’opposition. Il s’est fortement impliqué multipliant les interventions publiques, plus de 100 en 50 jours ! Il a fait de cette élection locale un enjeu de sécurité nationale. Le « reis » est bien seul au sommet de l’AKP et à cause de sa présence omniprésente dans la campagne il devra en assumer personnellement la responsabilité.
 

​Istanbul

La prise d’Istanbul est une double victoire politique et symbolique. Erdogan est né dans un quartier populaire de la ville et il a conçu sa stratégie de prise du pouvoir en s’assurant le contrôle des métropoles et d’Istanbul en premier. Maire de la ville de 1994 à 1998, elle a toujours été depuis sous le contrôle du parti présidentiel et a été au cœur de la politique de développement du président.
Le budget total de la ville est de 6 milliards d’euros (10 milliards pour Paris), un chiffre colossal comparé au PIB de la Turquie (moins de la moitié de celui de la France). La stratégie du président a été de faire d’Istanbul la vitrine du projet auquel il aspire pour son pays. On ne cesse de compter les projets titanesques, construction d’un nouveau pont sur le Bosphore, nouvel aéroport géant qui devrait être le plus grand au monde et de très nombreuses et imposantes mosquées. Il a aussi agi sur la propreté de la ville rénovant les routes et le système de distribution d’eau et réglant le problème des ordures.
Istanbul et l’AKP sont indissociables et ce centre urbain est habité par 15 millions de personnes sur une population totale de 80 millions. Ainsi voir le lieu de naissance du parti présidentiel passer sous le contrôle de ses ennemis pendant les 5 prochaines années est une victoire inespérée et fortement symbolique pour une opposition muselée et très surveillée.

Les difficultés économiques

Alors que le début du règne de Erdogan a été marqué par une forte croissance (un PIB passant de 200 à 950 milliards USD entre 2000 et 2010), les dernières années ont été le cadre d’une récession. Le chômage a fortement augmenté et plus grave, la livre turque a perdu la moitié de sa valeur en cinq ans face à l’euro. Cette crise provoque parfois l’absence de produits de première nécessité comme les oignons ou les aubergines ce qui a un impact important sur les classes populaires, des classes qui votent plus habituellement AKP. Les données sociologiques sur le vote ne sont pas encore disponibles, mais il est probable que les classes populaires se sont senties délaissées et ont dû en partie voter pour l’opposition.

Une opposition plus cohérente

Son succès s’explique par plusieurs facteurs partisans. Tout d’abord la baisse importante du score du MHP, l’allié traditionnel de l’AKP (17 % en 2004, 7 % en 2019) au profit du IYI. Ce parti de droite nationaliste créé par une dissidente du MHP c’est allié au principal parti kémaliste le CHP au sein de « l’alliance de la nation ». Ainsi une part importante de l’électorat ultranationaliste s’est reporté vers l’opposition. En continuant dans les alliances partisanes, la formation kurde le HDP s’est retirée de l’ouest pour se focaliser à l’est, libérant l’électorat kurde dans les villes comme Istanbul et Ankara et limitant la multiplication des listes d’opposition et ainsi les guerres intestines.

Quelle réponse du pouvoir ?

Il faut comprendre que l’alliance des partis d’opposition, les nationalistes de droite et du centre et les Kurdes est plutôt contre nature. Le succès est dû au caractère local de l’élection, mais il est peu probable qu’il se réalise pour les prochaines échéances nationales tant les visions sont différentes entre ces formations.
L’AKP en lui-même reste largement majoritaire avec 44 % des voix, il est toujours soutenu par la population sunnite rurale et il est fortement et durablement implanté dans tout le pays.
Affaiblis par les transfuges de son aile droite et par l’alliance des partis d’oppositions il est probable que Erdogan renforce sa politique nationaliste et populiste. Intensifiant par exemple sa répression contre les Kurdes pour retrouver la confiance de la droite. Il pourrait aussi profiter du retour à la croissance économique depuis 2018. Finalement, il devrait continuer sa rhétorique populiste et démagogique qui lui a si bien réussi par le passé. Insistant sur les thèmes de l’ordre et la sécurité, qui plaisent à une grande partie de la population turque traditionnelle. Les conséquences pourraient être dévastatrices pour la démocratie turque déjà affaiblie.   


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