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Trains de nuit : la supression de 8 millions d'euros de subventions entraîne la fermeture de deux lignes européennes.




Publié par La Rédaction le 3 Octobre 2025

La fréquentation des trains de nuit progresse fortement en France, portée par un regain d’intérêt des voyageurs et les objectifs de décarbonation des transports. Mais l’État a décidé de mettre fin à une subvention annuelle de 8 millions d’euros destinée à soutenir certaines liaisons internationales. Faute de ce financement, les lignes Paris-Berlin et Paris-Vienne cesseront de circuler à la fin de l’année.



En 2025, les trains de nuit occupent une place paradoxale dans le paysage ferroviaire européen. En France, un rapport du Réseau Action Climat (RAC) a mis en avant leur potentiel exceptionnel dans la transition écologique. La fréquentation est en plein essor, le public répond présent, et les perspectives de croissance semblent prometteuses. Pourtant, dans le même temps, plusieurs liaisons emblématiques, notamment Paris-Berlin et Paris-Vienne, vont être suspendues à la fin de l’année. Ce contraste illustre les tensions entre ambitions climatiques et réalités économiques, entre discours volontaristes et arbitrages budgétaires.

Le rapport du RAC, publié en mai 2025 et intitulé Le Réveil a sonné, dresse un bilan très positif des trains de nuit en France. En 2024, plus d’un million de passagers les ont empruntés, soit une progression de 26 % par rapport à 2023 et plus de 130 % par rapport à 2019. Le taux d’occupation moyen atteint 76 %, avec des records à 86 % sur des liaisons comme Paris-Toulouse. Autrement dit, la demande est bien réelle et dépasse même les prévisions. Le rapport souligne également que les trains de nuit permettent d’éviter des centaines de milliers de trajets en avion ou en voiture, contribuant ainsi de manière tangible à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour un trajet comme Paris-Nice ou Paris-Barcelone, l’empreinte carbone d’un passager est jusqu’à vingt fois inférieure à celle d’un vol.

Mais cet essor est bridé par un obstacle majeur : le manque de matériel roulant. Entre 2014 et 2020, une grande partie des voitures couchettes a été mise hors service. Résultat, les trains actuels affichent souvent complet, et l’offre reste limitée alors que la demande explose. Conscient de cette faiblesse structurelle, l’État a lancé en 2025 un appel d’offres pour 180 voitures neuves et 27 locomotives, avec une extension possible à 340 voitures. Ce plan représente plusieurs centaines de millions d’euros et inclut des investissements dans des centres de maintenance. Le RAC salue cette initiative, mais insiste sur l’urgence : sans un renouvellement rapide du parc, les trains de nuit risquent de manquer le rendez-vous de la transition écologique.

Alors que ce rapport présente le train de nuit comme une réussite à consolider, une annonce a jeté une ombre sur cet optimisme. L’opérateur autrichien ÖBB, qui gère certaines liaisons internationales, a confirmé que les trains de nuit Paris-Berlin et Paris-Vienne seraient supprimés à compter de décembre 2025. Ces lignes, relancées en grande pompe au début des années 2020 comme symboles du retour du ferroviaire transfrontalier, n’ont pas trouvé les conditions de viabilité économique nécessaires à leur maintien. L’une des raisons invoquées est la fin du soutien financier de la France, qui a décidé de ne pas prolonger les subventions.

Ce paradoxe est frappant. D’un côté, la France affirme par des rapports et des appels d’offres vouloir relancer les trains de nuit, y compris à l’international. De l’autre, elle se retire d’un projet qui incarne précisément cette ambition de mobilité durable européenne. Les contradictions apparaissent à plusieurs niveaux.

La première contradiction tient à la relation entre la demande et l’offre. Le RAC insiste sur le fait que les trains de nuit en France sont souvent pleins et que des voyageurs ne trouvent pas de places, preuve que l’offre est insuffisante. Mais les liaisons internationales, même avec des taux d’occupation corrects, n’arrivent pas à couvrir leurs coûts. Exploiter un train de nuit est structurellement plus cher qu’un train de jour, car les rames circulent moins souvent et nécessitent plus de personnel pour la sécurité et l’accueil. Sans un mécanisme de financement public stable, la rentabilité reste hors de portée.

La deuxième contradiction réside dans le traitement différencié entre avion et train. Alors que le transport aérien bénéficie encore d’exemptions fiscales, notamment l’absence de taxe sur le kérosène, le rail doit se battre pour obtenir des subventions limitées et temporaires. Cette distorsion fragilise l’économie des trains de nuit et envoie un signal incohérent aux voyageurs comme aux opérateurs : l’avion reste indirectement favorisé, alors que le train est présenté comme l’avenir de la mobilité bas carbone.

La troisième contradiction est politique. L’État français met en avant des objectifs ambitieux de réduction des émissions à horizon 2030 et 2050, et encourage des rapports louant le rôle clé du rail. Mais lorsqu’il s’agit de prendre en charge les coûts réels d’exploitation de certaines lignes, il se retire. Ce manque de cohérence entre stratégie à long terme et arbitrages budgétaires à court terme risque de décrédibiliser la politique ferroviaire nationale et européenne.

Enfin, la quatrième contradiction concerne la dimension européenne. Le train de nuit est un mode de transport transfrontalier par excellence. Sa viabilité dépend de la coopération entre États et opérateurs, de l’harmonisation des normes et du partage des coûts. La suppression des liaisons Paris-Berlin et Paris-Vienne rappelle que les volontés nationales ne suffisent pas si elles ne s’inscrivent pas dans une stratégie européenne coordonnée. Pour que ces trains prospèrent, il faudrait un cadre d’aides publiques stabilisé au niveau de l’Union, capable de soutenir des lignes qui ne seront jamais rentables seules, mais qui sont d’un intérêt général évident pour le climat et la cohésion du continent.

Les enjeux sont clairs. Il s’agit d’abord de stabiliser un plan de financement pérenne, car les trains de nuit ne peuvent dépendre de subventions aléatoires. Il faut ensuite améliorer la visibilité de l’offre. Beaucoup de voyageurs potentiels ignorent l’existence des trains de nuit ou ne trouvent pas de billets facilement, ce qui limite leur attractivité. Il est également urgent de renouveler et moderniser le matériel roulant, pour offrir des conditions de confort comparables aux alternatives aériennes. Enfin, il convient de porter ce débat au niveau européen. La transition ferroviaire ne pourra réussir qu’avec une coopération renforcée, une adaptation des règles de concurrence et un engagement commun des États membres.



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