Un satellite de connectivité spatiale pour tourner la page du déclin
Depuis près d’une décennie, le satellite géostationnaire de télécommunications subit une perte d’attractivité rapide. En effet, l’explosion des constellations, dominées par Starlink, qui a dépassé les 10.000 satellites déployés en orbite, a profondément bouleversé l’équilibre économique du secteur, selon une analyse publiée par Le Figaro. Dans ce contexte, Airbus Space et Thales Alenia Space, leaders historiques du segment GEO à 36.000 kilomètres d’altitude, ont dû engager une transformation radicale de leur modèle industriel.
Ainsi, les deux industriels ont abandonné le principe du satellite conçu sur mesure pour chaque client, afin de basculer vers des plateformes standardisées, produites en série. Cette mutation stratégique s’est concrétisée en 2019 par le lancement de deux programmes parallèles de satellite de connectivité spatiale de nouvelle génération : OneSat chez Airbus Space et Space INSPIRE chez Thales Alenia Space. Ces projets ont été cofinancés par l’Agence spatiale européenne, avec le soutien du CNES en France, mais aussi de l’UKSA britannique, du DLR allemand et de l’Agence spatiale espagnole.
Cependant, la maturation de ces technologies dites de rupture a entraîné des retards et des surcoûts significatifs. Selon une source industrielle citée par Le Figaro, « des centaines de millions d’euros ont été engagées » et des provisions ont été passées par les deux groupes. Malgré ces difficultés, Airbus Space estime avoir franchi une étape décisive. « Nous avons achevé le développement de OneSat, nous entrons désormais dans la phase de production et de montée en cadence », a déclaré Élodie Viau, directrice des télécoms d’Airbus Space.
Le satellite reprogrammable, un “couteau suisse” stratégique
Sur le plan technologique, ce satellite de connectivité spatiale rompt avec les architectures traditionnelles. Contrairement aux satellites GEO classiques, pesant environ six tonnes et figés dans leur mission, OneSat et Space INSPIRE sont plus compacts et nettement allégés. OneSat affiche une masse inférieure à trois tonnes, tandis que Space INSPIRE se situe autour de quatre tonnes. Surtout, ces satellites sont intégralement reprogrammables en orbite pendant toute leur durée de vie, estimée à quinze ans.
Cette capacité permet à l’opérateur de modifier la couverture géographique, la puissance émise ou encore les bandes de fréquences, sur simple instruction depuis le sol. Judy Wallace, chef du programme OneSat chez Airbus Space, souligne que « OneSat représente un saut technologique majeur avec son segment sol associé, les deux étant cybersécurisés par design ». Ce choix architectural répond à la nécessité croissante de résilience face aux menaces cyber, enjeu central pour les usages militaires et gouvernementaux.
Dans le cas de Thales Alenia Space, le développement de Space INSPIRE doit s’achever début 2027, en vue d’une première livraison au luxembourgeois SES. Les sites industriels de Cannes, chargés de l’intégration et des tests, et de Toulouse, responsable de la charge utile, jouent un rôle central dans ce programme. Airbus Space, de son côté, prévoit la livraison du premier satellite OneSat de série à l’opérateur américain Viasat fin 2026, avec une cadence cible de six satellites par an.
Airbus, Thales et la recomposition stratégique du marché du satellite
Cette montée en puissance industrielle s’inscrit dans une logique de complémentarité avec les constellations. Selon Élodie Viau, « les satellites GEO numériques reprogrammables répondent à la stratégie multi-orbites des opérateurs », une approche désormais adoptée par 25 opérateurs dans le monde, dont Eutelsat, propriétaire de la constellation OneWeb. Le satellite géostationnaire devient ainsi un outil d’orchestration, capable de travailler de concert avec les infrastructures en orbite basse selon les besoins opérationnels.
Pourtant, le marché reste structurellement limité. D’après une étude du cabinet Novaspace, les satellites GEO ne représenteront que 1 % des 43.000 nouveaux satellites lancés dans les dix prochaines années, mais pèseront tout de même 19 % de la valeur totale du marché spatial, estimée à 665 milliards de dollars, soit environ 615 milliards d’euros. Cette tension économique explique en partie la décision stratégique annoncée en octobre 2025 : le rapprochement des activités spatiales d’Airbus, de Thales et de Leonardo.
Ce futur champion européen du satellite vise à éviter les doublons industriels et la dispersion des financements publics. La coexistence de deux programmes quasi identiques, OneSat et Space INSPIRE, restera comme un contre-exemple en matière de coordination industrielle. À terme, cette recomposition pourrait redonner aux industriels européens une capacité de projection stratégique face aux géants américains des constellations.

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