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Mort d'un élève : la formation paramilitaire de la police du Massachusetts devient un symptôme d'un débat national sur la militarisation policière




Publié par La Rédaction le 16 Décembre 2025

Un an après la mort d'un élève-officier lors de son entraînement à la Massachusetts State Police Academy, la question de la militarisation de la formation policière aux États-Unis s'impose au-delà du cas individuel. Ce débat fait écho à un tournant culturel profond dans le maintien de l'ordre moderne : faut-il former des « guerriers » ou des agents au service de citoyens dans une démocratie ?



Une culture de formation inspirée du militaire : héritage et conséquences

Police Headquarters - Milford, Massachusetts - Wikimedia Commons
Police Headquarters - Milford, Massachusetts - Wikimedia Commons
Aux États-Unis, la notion de militarisation de la police recouvre l'utilisation de matériel, de tactiques et de modèles organisationnels inspirés des forces armées : véhicules blindés, armes lourdes, équipes d'intervention spécialisées (SWAT), entraînements paramilitaires et doctrines « warriors » (combattants) sont depuis des décennies intégrés aux pratiques policières civiles. Ce phénomène n'est pas purement matériel. Il s'accompagne souvent d'un « état d'esprit de combat » inculqué dès la formation : certains programmes enseignant aux recrues que chaque situation peut devenir mortelle, avec un accent dominant sur les tactiques défensives et létales plutôt que sur la résolution de conflits ou la dé-escalade. Dans ce contexte, le cas Enrique Delgado-Garcia, mort après une séance de boxe « full contact » à l'académie de la police d'État du Massachusetts, n'est pas seulement un accident tragique isolé ; il rappelle que les cursus de formation peuvent valoriser l'endurance physique extrême et la tolérance à la violence, parfois au détriment de l'acquisition de compétences sociales et désescalatoires.

Militarisation et violence policière : ce que disent les recherches

La littérature académique et les études disponibles suggèrent plusieurs conclusions clés sur la relation entre militarisation et comportements policiers :
  • Une recherche publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences indique que les unités policières militarisées ne sont pas plus sûres ni plus efficaces pour réduire la criminalité que des unités non militarisées, et que l'armement lourd n'améliore pas nécessairement la sécurité des agents ou des civils. 
  • Des analyses sociologiques montrent qu'un modèle d'entraînement inspiré des forces armées peut favoriser une culture du « guerrier », où l'ennemi est presqu'assimilé à un adversaire plutôt qu'à un citoyen confronté à un problème social complexe. 
  • Dans plusieurs pays où l'on observe des niveaux élevés de militarisation policière, une corrélation avec une violence accrue dans les interactions avec le public a été documentée
  • Une comparaison internationale met en lumière que des pays avec des formations policières plus longues et moins militarisées (par exemple, la France ou la Belgique) ont des taux de violence policière fatal moins élevés qu'aux États-Unis, suggérant que le contenu et la durée de la formation importent autant que l'armement ou l'approche stratégique
Ces éléments invitent à se demander si l'emphase sur la force et la combativité n'entraîne pas, paradoxalement, un rendement social contre-productif : elle peut conforter des comportements plus agressifs et renforcer la tendance à recourir à la force plutôt qu'à la négociation, surtout dans des contextes tendus.

Comparaison structurée : modèle américain versus modèle français

L'État français offre un contraste intéressant en matière de formation et de culture institutionnelle de maintien de l'ordre :
  • La gendarmerie nationale française est une force à statut militaire, héritière historique de la maréchaussée, et organise sa formation autour de cadres disciplinés, de missions de police administrative et judiciaire, mais dans un cadre institutionnel explicitement dual  à la fois militaire et au service du public civil. 
  • À l'inverse, la police nationale française, civile, met traditionnellement l'accent sur la mission de « garder la paix » (en référence aux gardiens de la paix) et la proximité avec les populations, avec des formations qui incluent des modules importants de communication, de résolution de conflits, et de médiation.
Cette distinction est importante car elle montre qu'une formation rigoureuse n'implique pas forcément une approche guerrière de considérer l'adversaire comme un ennemi. La gendarmerie, même avec son statut militaire, intègre la dimension de service public et de légitimité sociale dans ses missions, alors que certains cursus américains notamment ceux qui intègrent une « culture de la guerre » peuvent accentuer des comportements violents.

Faut-il former des « guerriers » ? Une question de légitimité démocratique

Le débat central que soulève la mort d'un élève-officier ne porte pas uniquement sur les méthodes d'entraînement, mais sur la finalité même de la formation policière. Dans une démocratie, l'usage de la force par l'État est strictement encadré ; la police n'est pas une armée. Pourtant, lorsqu'elle est formée comme telle, des tensions apparaissent :
  • L'emphase sur l'agressivité et la préparation à la confrontation peut produire des officiers plus enclins à utiliser la force, parfois dans des situations où des approches non violentes seraient plus adaptées.
  • Les formations fortement militarisées donnent peu de place à la compréhension des dynamiques sociales, économiques et psychologiques des populations qu'ils servent, ce qui peut fragiliser la légitimité du maintien de l'ordre dans une société pluraliste.
Ainsi, la question n'est pas uniquement technique mais politique et philosophique : une formation inspirée du modèle militaire, même efficace pour faire face à des situations extrêmes, est-elle appropriée comme socle pour tous les agents qui interviendront quotidiennement auprès de populations civiles ? Le risque est clair : imposer un modèle de « guerrier » peut transformer des agents chargés de protéger en acteurs plus enclins à percevoir les citoyens comme des menaces avant tout.

Vers une réflexion de fond sur la formation policière

Un an après la tragédie qui a coûté la vie à Enrique Delgado-Garcia, la Massachusetts State Police Academy se trouve au cœur d'un débat plus vaste que ses murs. La mort de ce jeune recrue alimente une réflexion collective sur la militarisation de la police, la finalité de la formation et la responsabilité démocratique d'un corps chargé de sécurité. Ce débat dépasse les États-Unis et rejoint des questions transnationales fondamentales : comment concilier la nécessité d'une formation solide pour faire face à des menaces réelles, tout en évitant d'entraîner des comportements agressifs et une posture distante vis-à-vis du public ? La réponse ne se trouve pas simplement dans plus ou moins de discipline ou d'armement, mais dans une redéfinition de ce que signifie être un gardien de la paix dans une société démocratique, un professionnel capable non seulement de maîtriser la force, mais surtout de légitimer son usage avec discernement, humanité et responsabilité.


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