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Mais qu’est-ce que la guerre ?




Publié par François-Bernard Huyghe le 8 Juin 2022

Sommes-nous en guerre contre la Russie ? Avons-nous été en guerre contre la Covid ? Pourquoi parle-t-on de la guerre économique ?
L’emploi du champ lexical martial n’est jamais innocent... Cet usage à outrance n’est-il pas entrain de nous faire oublier ce qu’est la guerre, la vraie ?
François-Bernard Huyghe, docteur en sciences politiques et directeur de recherche à l’IRIS est auteur de nombreux livres sur les pouvoirs de l’information. Constatant les tensions idéologiques passant par les mots et leur maitrise, il publie alors « La bataille des mots » (VA Éditions), une analyse du nouveau lexique continuellement employé aussi bien pour glorifier que décrier.

Extrait p65-67



"GUERRE"
 
Le mot inspire toutes sortes de métaphores : guerre des nerfs, guerre des prix, guerre des images… On a particulièrement critiqué lemploi de « guerre au terrorisme » par F. Hollande quatorze ans après G.W. Bush (qui avait été moqué pour cela en 2001 : fait-on la guerre à une stratégie comme la Blitzkrieg ?). Voire la guerre au virus dEmmanuel Macron (fait-on la paix avec un bout dinformation génétique ?). De même, quand Bruno Le Maire parle de faire la « guerre économique et financière totale » à la Russie pour sanctionner linvasion de lUkraine, il doit retirer sa phrase : ce vocabulaire martial pourrait donner prétexte à une escalade militaire. Pourtant, lexpression guerre économique se banalise pour désigner une forme exaspérée de la concurrence, celle qui recourt notamment à des pratiques despionnage ou dinfluence, à priori du ressort de l’État et hors de la sphère de l’échange marchand.
 
Mais, hors lusage métaphorique (un conflit si intense quil serait « comme » une guerre), la guerre, la vraie, avec des avions et des blindés, nest pas si facile à cerner. Une des raisons est que, même lorsquun État comme la France emploie ses forces armées, le politique préfère parler de coopération, de mission de paix, d’OPEX, dintervention lointaine – si possible dans le cadre dune mission internationale, voire humanitaire – de lutte contre des forces terroristes, mais pas de guerre. Que ces interventions soient présentées comme des opérations de police destinée à arrêter des criminels et où la probabilité que lennemi nous inflige des dommages sur notre territoire (sauf opérations terroristes) est nulle, renforce le tabou. Pour la petite histoire, la dernière déclaration de guerre en bonne et due forme, entre États souverains, considérant leurs relations comme une alternance de périodes de paix et de guerre explicitement reconnues, date de… 1945.
 
La définition redevient cruciale au moment où lon envisage, sinon le recours au nucléaire, du moins des mesures de contrainte non armées, livraisons darmes à un des belligérants, et un dommage lourd (sanctions) comme substitut au fer et au feu.
Quelques vérités se rappellent à nous en Ukraine :
  • La guerre suppose mort dhommes administrée collectivement (le plus souvent par des organisations d’État spécialisées du nom darmées), usant doutils spécifiques (des armes, justement) obéissant à une autorité et à des fins politiques. Ceci dans un cadre juridique et moral exceptionnel (un pays est ou nest pas « en état de guerre »). Elle oppose des communautés naturelles (naturelles au sens quon y appartient généralement par la naissance plutôt que par un choix calculé) (même si le mercenariat se développe).
  • La guerre est une catégorie anthropologique : la période où les autorités politiques ou religieuses proclament que ce nest plus un crime que de tuer l’ennemi commun. Elle le distingue de lennemi privé que lon combat pour ce quil est ou pour ce quil nous a fait, non par ordre dune autorité commune et comme membre dune autre Nation.
  • La guerre est ostensible, spectaculaire : elle mobilise toutes les énergies dune Nation et, par ailleurs, elle fonde lexistence même de l’État, le souverain qui décide qui est lennemi. Tout en elle est proclamation pour l’Histoire, cest pourquoi elle vise souvent au sublime et tombe facilement dans lemphatique. La guerre vise à imposer le silence à lautre. Que ce soit le silence de la honte du vaincu, celui de la mort ou de la soumission. En ce sens la guerre est une rhétorique sanguinaire.
  • La guerre, enfin, vise à briser la volonté politique dun acteur, à lui imposer une paix où il perd une province ou son pouvoir. Sa fin est politique : un ordre durable.


Telles sont les réalités que nous devons réapprendre à penser après des décennies où lidée même était oubliée.
 
Hart L., Stratégie, Tempus 2007"



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