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La stratégie économique, politique et militaire étasunienne face à la Chine




Publié par Henri Poisot le 3 Juin 2019


Les tensions qui émergent entre les États unis et la Chine sont sensiblement croissantes ces dernières années. Si l’aspect de guerre économique est très souvent cité, les deux pays s’affrontent sur une multitude de secteurs mêlés en même temps. L’administration américaine essaye par une politique globale, de réduire l’influence de la Chine et d’en limiter l’expansion.



La mer de Chine méridionale 

La mer de Chine méridionale est un enjeu majeur dans l’affrontement entre les deux superpuissances. Cette mer grande comme la méditerranée est bordée par plus d’une dizaine de pays, elle est ouverte par seulement quelques détroits peu profonds par lesquels transitent le plus de biens et de marchandises au monde.

La zone est vitale pour la Chine pour trois raisons. Elle consiste tout d’abord en la principale voie d’exportation et d’importation pour le pays, notamment pour la plupart du pétrole et gaz dont son économie a un besoin impératif. Ensuite, la mer de Chine méridionale possède d’importantes ressources halieutiques nécessaires pour nourrir sa population ainsi que de grandes réserves d’hydrocarbures. Pourtant la plus critique et la moins connue du grand public et sûrement la dernière. L’île d’Hainan faisant face à Hanoi abrite la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) chinois. Les SNLE sont de puissants instruments de souveraineté et de dissuasion, ils portent des missiles chargés de têtes nucléaires et permettent ce qui est appelé « la seconde frappe ».

Ce concept cherche à garantir une riposte nucléaire à tout moment même si le pays est lui-même dévasté. Pour assurer leur efficacité et leur mission, les SNLE doivent se « diluer » dans la mer et deviennent ainsi impossibles à trouver. La marine chinoise doit s’assurer du contrôle de cette mer pour assurer à ses sous-marins d’atteindre le Pacifique par le détroit de Luçon, où ils deviennent invulnérables.

Cette nécessité de contrôle a abouti à une politique plutôt agressive de la part du gouvernement chinois qui réclame de fait une souveraineté sur une large partie de sa surface. Il essaye de créer une situation légale en exerçant un contrôle autoritaire sur le transit, la pêche et l'exploration des ressources, ainsi qu’en militarisant de nombreux îlots tels les Spratleys.

Les États-Unis effectuent des missions de Freedom of navigation (FONOPs) pour contester les revendications chinoises, la marine américaine réalise ainsi des passages dits inoffensifs dans les eaux internationales (mais sous contrôle chinois pour Pékin) et donne des garanties aux autres nations -qui peuvent se permettre de se fâcher avec la Chine-. Empêcher le contrôle de facto de la mer de Chine méridionale par Beijing est nécessaire pour rassurer les alliés comme les Philippines et dénier un accès facile aux importantes ressources de la zone.

Huawei, 5G

Les États unis ont désormais étendu leur politique de « containment » de l’influence chinoise en prenant des positions radicales dans le secteur des télécommunications.
Les pressions ont commencé lorsque le gouvernement américain a annoncé qu’il cesserait tout partage d’informations entre ses services secrets et ceux des pays qui adopteraient la solution technologique de Huawei pour s’équiper en 5G.
 
Le 15 mai 2019, l’administration Trump a interdit aux entreprises de télécommunications américaines de se fournir auprès de certaines entreprises considérées à risques. Cette mesure vise principalement des entreprises chinoises dont Huawei qui réalisent une importante partie de leur chiffre d’affaires dans les équipements réseau. Si Huawei ne réalise actuellement que 6,6 % de son résultat sur le continent américain, l’administration Trump veut éviter de laisser le champ libre aux entreprises américaines qui seraient tentées par la 5G de Huawei. Un domaine où les États unis accusent un retard certain.

Toujours dans cette optique d’affaiblir la Chine à travers ses entreprises, récemment le géant américain Alphabet (Google) a retiré à Huawei sa licence d’utilisation de son système d’exploitation pour téléphones : Android. Progressivement les détenteurs de téléphones de la marque chinoise n’auront plus accès aux mises à jour et au store d’application. Huawei dit avoir prévu cette possibilité depuis le premier trimestre 2018, mais un tel coup de tambour médiatique pourrait lui faire perdre de nombreux clients. Le chinois avait dépassé Apple en 2018 pour devenir le deuxième fabricant de smartphones mondial.

Iran

 Il y a quelques semaines, Donald Trump a annoncé la fin des régimes spéciaux qui épargnaient de sanctions encore 8 pays, dont la Chine, achetant du pétrole iranien. Pour priver l’Iran de revenus, le Congrès a voté des sanctions contre le pays, mais aussi contre les pays et entreprises qui feraient des transactions avec l’Iran autour de son pétrole.

Si les sanctions visent prioritairement l’Iran, elles ont aussi comme effet de priver la Chine d’un approvisionnement en pétrole par une voie terrestre sûre et rendent ainsi le pays encore plus dépendant du trafic maritime, notamment à travers le détroit de Malacca en direction des ports de la mer de Chine méridionale. Cela pourrait aussi avoir comme conséquence une baisse de la croissance chinoise, en affaiblissant la Chine par un pétrole plus cher et pus rare.  

Taiwan 

Une autre politique remise en cause par le président Trump est celle de la Chine unique. Depuis 1979, les États-Unis ne reconnaissent plus Taiwan comme un pays a part entiere, et cela a permis un rapprochement avec la République populaire. Les Américains ont cependant toujours garanti l’indépendance de l’île de Taiwan notamment à travers la fourniture d’armes, mais en évitant soigneusement tout contact et référence officielle sur le sujet.

Donald Trump a fait voler en éclat cette précaution dès le 2 mai 2016 en divulguant publiquement un appel à la nouvelle présidente taiwanaise Tsai Ing-wen issue du parti indépendantiste. Depuis, la marine américaine a multiplié les passages dans le détroit de Taiwan apportant ainsi plus de garanties à l’indépendance de l’île en provoquant l’ire de Pékin. D’autres actions paraissant être des provocations calculées comportent par exemple la remise à neuf de « l’ambassade » à Taipei. Plus récemment, John Bolton le conseiller a la sécurité nationale a rencontré son homologue taiwanais aux États-Unis, une première depuis 1979.

Garantir l’indépendance de Taiwan est aussi dans la stratégie pour limiter la profondeur tactique de la Chine. Taiwan est ainsi un porte-avions impossible à couler à seulement 130 kilomètres des côtes chinoises et qui peut contrôler le nord du détroit de Luçon et le sud de la mer de Chine orientale, une véritable épine dans le pied de l’empire du Milieu. 
 
Pourquoi les US gagnent…

Les États-Unis ont déjà fortement affaibli la Chine tant au plan économique que diplomatique, les ripostes de Pékin paraissent faibles et disproportionnées, car c’est l’Amérique qui a la main dans cette partie complexe et cela pour plusieurs raisons :

Dollar et obligations : La domination du système internationale par le dollar est un des plus grands pouvoirs d’influence et de coercition à la disposition du gouvernement américain. (Et soit dit en passant ce pourquoi l’euro est très important utile et nécessaire). La force du dollar est ainsi que chaque transaction effectuée peut tomber sous le coup de la juridiction américaine.
La Chine est aussi connue pour détenir une partie non négligeable des bons du trésor américain (5 %). Il est souvent affirmé que si le pays les vendait cela aurait un impact dévastateur sur les États-Unis, mais cela est inexact. Avec une monnaie peu échangeable comme le Yuan, la Chine a absolument besoin d’importants fonds en dollars pour ses importations et les obligations sont un agréable substitut a la monnaie fiduciaire grâce à l’intérêt qu’elles comportent. Leur vente serait rapidement absorbée par les banques centrales des pays émergeants en demande d’obligations en dollars stable.

Douanes et monnaie :  A été mise en place le 10 mai 2019 une énième augmentation des frais de douanes de 10 % à 25 % sur des biens chinois représentant 200 milliards de dollars. Le seul moyen pour la Chine d’annuler véritablement l’augmentation des barrières douanières serait de fortement dévaluer le Yuan. Une telle dévaluation aurait de nombreux effets négatifs sur l’économie chinoise, particulièrement sa dette publique et ses débiteurs privés, cela provoquerait aussi une forte déstabilisation de l’équilibre économique régionale. L’impact serait aussi évidemment politique, la Chine essaie d’instaurer une certaine respectabilité du Yuan pour en faire une véritable monnaie mondiale et se passer du Dollar. Une dévaluation et le manque de stabilité du Yuan, détruirait la confiance des pays intéressés.

Une Armée récente : Malgré l’incroyable effort de la Chine pour se doter d’une armée professionnelle et particulièrement d’une marine puissante, elle ne peut rivaliser avec les États-Unis, encore moins accompagnés de leurs Alliés régionaux (Japon, Philippines, Taiwan, Corée du Sud, etc.). Derrière la rhétorique guerrière du président chinois se trouve surtout une impuissance à véritablement s’opposer aux actions FONOPs américaines et donc à rendre totalement concrète les aspirations chinoises sur les espaces maritimes qui l’entourent.

La partie sino-américaine se joue sur tous les tableaux, l’administration Trump cherche à affaiblir ce rival économique montant par tous les moyens à sa disposition.  Les mesures brutales qu’elle emploie devraient se révéler efficaces pour affaiblir ou du moins contenir la Chine, mais elles augmentent le ressentiment d’une grande partie du monde à l’égard de l’Amérique. Si la manœuvre s’avère couronnée d’un certain succès, elle semble aussi en partie délétère pour les États-Unis. Le grand gagnant de la confrontation des deux géants pourrait finalement se révéler être l’Union européenne, si elle s’accorde politiquement…

Les terres rares, arme ultime de la Chine ? 

Terres rares est un nom qui regroupe les métaux présents en faibles quantités dans le sol, ils sont utilisés de nos jours pour alimenter toute l’industrie de l’électronique. La spécificité des terres rares est qu’elles sont globalement uniformément réparties sur Terre, cependant leur exploitation est très polluante et occupe une place importante due à la quantité de matières premières à raffiner. Ainsi la Chine a pris la place de premier producteur de ces ressources avec plus de 80 % de l’extraction et 90 % du raffinage. La Chine pourrait donc répondre aux Américains en augmentant le prix, ou en limitant l’export vers les États unis, mais une telle politique serait plutôt difficile à mettre en place pour plusieurs raisons.

Tout d’abord les entreprises américaines pourraient se fournir auprès d’autres importateurs non visés par des sanctions (européens, asiatique, etc.). Si Pékin veut contourner ce problème, il devrait imposer des sanctions à tous les pays, ce qui serait une vraie déclaration de guerre économique au monde entier. Une telle action détruirait la rhétorique chinoise du pays pacifiste, cela provoquerait aussi une pénurie mondiale déclenchant une importante crise économique et industrielle. La Chine prendrait-elle le risque de passer pour l’agresseur alors qu’elle peut jouer de sa position actuelle de victime ? C’est assez improbable.
 
https://www.questionchine.net/chine-etats-unis-postures-escarmouches-et-guerre-de-tranchees-genese-des-contrefeux?artpage=2-3
https://vinageoblog.wordpress.com/tag/detroit-de-lucon/
https://www.belfercenter.org/publication/freedom-navigation-south-china-sea-practical-guide


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