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Entre tous les ennemis, le plus dangereux est celui dont on est l’ami : l’espionnage économique par les services de renseignement américains




Publié par Oscar Dominique le 10 Avril 2019

Dans son œuvre Hypercompétition en 1994, Richard Aveni prétend qu’avec l’intensification de la concurrence, les entreprises de la Triade notamment ne peuvent plus s’offrir le luxe de respecter les traditions d’élégance du passé. Il utilise un vocabulaire imprégné de termes guerriers pour décrire les relations économiques internationales ; pour lui, la chevalerie est morte. Le marché est en proie à une guerre de renseignement économique, une guerre menée largement par les services de renseignement des grandes puissances économiques qui collaborent avec les entreprises, véritables champions nationaux. Nous étudierons surtout ici l’exemple américain (CIA, NSA), car l’information est abondante.



Entre tous les ennemis, le plus dangereux est celui dont on est l’ami : l’espionnage économique par les services de renseignement américains
Le business mondial, nouveau champ d’action de la CIA
 
La menace soviétique étant définitivement écartée en 1991, la priorité absolue des États devient la défense des intérêts économiques du pays. Il n’y a plus d’alliés, que des concurrents commerciaux.
À travers leurs ministères et agences, surtout les services de renseignement, certains gouvernements se mettent à la disposition des entreprises nationales pour échanger des informations utiles à la conquête de marchés étrangers. Les États-Unis en sont un exemple parfait. Ils prennent conscience de leurs faiblesses dans le domaine économique à la fin de la guerre froide ; par ailleurs ne dit-on pas que les grands gagnants de la guerre froide sont l’Allemagne et le Japon (L’Allemagne est aujourd’hui la plus grande cible d’espionnage économique de la part de la CIA).
 
Dans les années 1990, Bill Clinton crée le National Economic Council pour défendre les intérêts économiques du pays (interne), mais surtout l’Advocacy Center, sorte de lobby international pour le business américain. Ce dernier est épaulé par les services de renseignement américains ; en effet, si un marché risque d’échapper à une entreprise américaine, et si l’Advocacy Center juge que les concurrents (surtout européens) ne respectent pas les règles, son directeur appelle Langley pour rétablir l’équilibre. Exemple parlant : l’Arabie Saoudite souhaitait acheter des avions civils en 1995 et doit choisir entre Airbus et Boeing. Les Français sont convaincus de remporter le marché, mais ils sont mis sur écoute par la NSA qui les désigne comme corrupteurs dans la presse. Il suffit d’un appel du président Clinton au Roi Fahd pour que Boeing remporte le contrat.
 
Des services de renseignement qui espionnent surtout les alliés
 
Les Américains n’ont jamais caché que leurs services secrets espionnaient autant leurs alliés que leurs adversaires. En mars 2000, James Woosley, ancien directeur de la CIA, rédige une tribune dans le Wall Street Journal intitulée Why we spy on our allies : l’espionnage des entreprises européennes est justifié, car elles utilisent régulièrement la corruption pour récupérer des marchés, contrairement aux honnêtes entreprises américaines qui misent plutôt sur la qualité de leurs produits...
Par ailleurs, la NSA dédie 65 % de ses ressources à l’espionnage politique, militaire et économique (35 % des ressources seulement sont allouées à la lutte antiterroriste). Ceci explique les révélations d’Edward Snowden quant aux écoutes de la NSA dans le monde entier, surtout en Allemagne et en France.
 Les Américains affirment que cet espionnage ne profite pas aux entreprises américaines, mais nourrit seulement l’analyse du gouvernement. Cependant, vu les liens étroits entre les secteurs public et privé aux États-Unis, il est très probable que l’information récupérée par la NSA ou la CIA termine dans un QG d’entreprise américaine.  Les services secrets américains avaient redirigé leurs ressources vers l’espionnage économique suite à la chute du mur de Berlin. La commission Brown et Rudman avait tranché en 1996 lorsque la question se posait quant à l’avenir des 16 services de renseignement : ils pourront pratiquer l’espionnage économique, mais les informations seront délivrées seulement à la Maison-Blanche, il est donc hors de question de donner des informations secrètes aux entreprises sur leurs concurrents étrangers. De plus, dès 1992, 40 % des demandes de renseignement à la CIA sont de nature économique, une affirmation de Robert Gates, un ancien directeur. Une semaine plus tard, il affirmera que la CIA n’espionne que les entreprises qui sont déloyales envers leurs concurrents américains... critère très subjectif.
Ces services secrets peuvent être utilisés comme en temps de guerre : en 1995, Bill Clinton demande à la CIA de monter des opérations contre les concurrents commerciaux des États-Unis, y compris le Royaume-Uni, par le biais d’infiltration d’Américains dans les grandes entreprises étrangères concurrentes.
 
La CIA, véritable acteur du monde économique
 
La CIA dépasse aujourd’hui son rôle d’agence de renseignement et devient entrepreneur, en investissant dans de nombreuses start-up de la Silicon Valley. Elle crée In-Q-Tel en 1999, avec un petit capital de 30 milliards $ ; c’est un fonds d’investissement spécialisé dans les nouvelles technologies qui investit dans ces start-up de l’avenir. La CIA souhaite mettre la main sur ces nouvelles technologies avec un fort potentiel militaire, notamment dans le domaine de la cybersurveillance.
In-Q-Tel a investi dans de nombreuses start-up très intéressantes tel que Sonitus, une start-up qui fabrique des systèmes de communication radio high-tech, avec des micros que l’on cache dans la bouche... une véritable technologie « James Bond » que la CIA souhaite développer pour l’appliquer sur le terrain.
La CIA investit dans ce domaine si particulier des nanotechnologies pour élargir son arsenal technique dans le monde de l’espionnage.
 
L’utilisation des services secrets par les Américains dans une logique de guerre de renseignement économique n’est pas une exception ; les Français, Britanniques, Russes et Chinois le font également, ces derniers utilisant surtout le cyberespionnage pour parvenir à leurs fins. Les services secrets pratiquaient déjà le corporate espionnage, mais contre des puissances ennemies, comme lors de l’épisode Concorde-Tupolev en guerre froide. La nouveauté après la chute de l’URSS ? L’espionnage économique massif entre alliés, initié surtout par les Américains dans une logique de défense des intérêts des entreprises nationales contre des concurrents considérés comme malhonnêtes.


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