Les grands événements sportifs, notamment les courses cyclistes, ont souvent été la cible de manifestations en tout genre, qu'elles soient politiques ou sociales. Sur le Tour de France en 2022, le groupe d'activistes climatiques Dernière Rénovation s'était assis sur la route avec des fumigènes à quelques kilomètres de l'arrivée entre Morzine et Megève, provoquant une interruption de la course pendant une dizaine de minutes. La course avait toutefois repris rapidement, le mouvement étant levé par les forces de l'ordre.
Nos travaux d'anticipation lors du processus de sécurisation des JO de Paris 2024 l'ont montré : il est rare qu'un contexte international provoque un arrêt de compétition. La plupart des interruptions tiennent à l'intervention malheureuse d'un spectateur maladroit, à un animal traversant la route, ou encore à des conditions climatiques extrêmes. Pourtant, cette 80ᵉ édition de la Vuelta restera dans les annales : le conflit israélo-palestinien s'est invité dans la course, la perturbant à de multiples reprises et la 21ᵉ et dernière étape a dû être annulée, privant coureurs et spectateurs de la cérémonie protocolaire.
Peut-on reprocher aux organisateurs de ne pas avoir anticipé un tel fracas en écho à la situation dramatique à Gaza ? Sécuriser une grande épreuve sur route ne peut se faire que dans le cadre d'un lien étroit entre l'organisateur et les services de l'État. À l'instar de ce que nous avons vécu lors de la sécurisation des courses des Jeux Olympiques de Paris 2024, le risque de blocage revendicatif était anticipé et surveillé par les plus hautes instances sécuritaires, tout en restant en mesure de réagir. Comment imaginer que les services de renseignement puissent passer à côté d'un mouvement de contestation politique, même modestement organisé, autour d'un événement sportif à rayonnement international ?
Le schéma d'anticipation permet de détecter les menaces, d'identifier les meneurs, d'évaluer les risques et de prévoir les moyens d'y faire face. Dans le cas de l'arrêt de la Vuelta, il est difficile d'imaginer que Javier Guillen, le patron du Tour d'Espagne, n'ait pas pris ce risque en considération. Dès le départ, la course faisait face à une tension croissante sur fond d'incidents liés aux soutiens à la cause palestinienne.
C'était donc au Ministerio del Interior de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour protéger cette compétition populaire. Les dispositifs d'anticipation déployés avaient pour objectif de créer une véritable bulle tactique autour de la course. Ce schéma, que nous avions appliqué lors des Jeux de Paris 2024, a montré son efficacité : détection des risques de contestation par les services de renseignement, points de filtrage sur les accès contrôlés par l'État, recours à la sécurité privée, et maintien d'un lien étroit avec l'organisateur.
Autant de leviers, correctement utilisés, permettent d'éviter qu'un événement sportif international ne se transforme en tribune politique. La Vuelta 2025 restera un exemple d'événement perturbé par un contexte international, mais elle démontre aussi l'importance cruciale de l'anticipation et de la coordination entre organisateurs et autorités.
Landry RICHARD
Directeur d'ingénierie de sécurité et officier de réserve de la Gendarmerie Nationale. Ancien sapeur-pompier professionnel pendant plus de 20 ans, spécialisé dans les risques industriels et NRBC, il a dirigé de nombreuses opérations de secours à l'international. Il a ensuite rejoint le secteur privé, en direction sûreté de grandes entreprises, puis la Direction de la Sécurité des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il dirige aujourd'hui la société SEVEN, spécialisée dans la sécurisation des grands événements, et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Au-delà des risques (VA Éditions, 2023).