Enderi






Facebook
Twitter
YouTube

















Accueil
Envoyer à un ami
Version imprimable


Pétrole : un pétrolier russe stoppe sa route vers l’Inde et fait demi-tour en Mer Baltique




Publié par Jehanne Duplaa le 29 Octobre 2025

Un pétrolier chargé de pétrole russe à destination de l’Inde a brusquement fait demi-tour en Mer Baltique, signal fort d’une chaîne logistique fragilisée par les nouvelles sanctions visant la Russie. L’épisode, observé sur données de suivi maritime, interroge la soutenabilité des flux et le calcul de risque des armateurs comme des raffineurs.



Le 29 octobre 2025, le pétrolier Furia a opéré un demi-tour dans le détroit de Fehmarn, entre le Danemark et l’Allemagne, alors qu’il convoyait du pétrole de type Urals vers l’Inde. Ce mouvement intervient une semaine après le durcissement des sanctions américaines contre Rosneft et Lukoil, qui redessine, très concrètement, le théâtre maritime de la Russie et des acheminements de pétrole vers l’Asie.

Les faits survenus en Mer Baltique : cap inversé, vitesse réduite

Le pétrolier Furia, un Aframax, a pivoté vers l’Est après avoir progressé vers l’Ouest dans le détroit de Fehmarn, puis a fortement ralenti. Les plateformes Kpler et Vortexa font état d’un chargement d’environ 730 000 barils de pétrole Urals embarqués à Primorsk le 20 octobre. La route initiale mentionnait Sikka (Gujarat), avant une escale annoncée à Port-Saïd à la mi-novembre, pratique classique des navires qui passent le canal de Suez et affinent ensuite leur destination finale. Ces points ont été détaillés par Bloomberg et publiés par The Economic Times.

Dans ce même corridor, l’Inde est devenue l’acheteur clé de pétrole russe depuis 2022 ; pourtant, le pétrolier a cessé sa progression et attend en Mer Baltique. Le navire, âgé d’environ 23 ans, dépasse la norme d’exploitation usuelle d’environ 18 ans pour un transporteur de pétrole, ce qui le place dans la catégorie sensible pour les contrôles maritimes renforcés. Ce facteur, ajouté au fait que le Furia est sanctionné par l’UE et le Royaume-Uni, complique les assurances et les autorisations de passage, comme l’a rappelé UNN.

Contexte stratégique : sanctions, fenêtres de liquidation et prudence des raffineurs indiens

La séquence s’inscrit dans un changement de posture majeur. Washington a sanctionné Rosneft et Lukoil et exigé l’arrêt des transactions d’ici le 21 novembre. Cette fenêtre de « wind-down » met sous pression les contrats de pétrole et les navires associés. Bloomberg rapporte que des dirigeants de raffineries indiennes anticipent une chute nette des flux de brut russe. « Nous n’allons absolument pas cesser d’acheter du brut russe. Ce sont les entités et les compagnies maritimes qui sont sanctionnées, pas le brut. », a toutefois précisé Anuj Jain, directeur financier d’Indian Oil Corp, en indiquant que les achats de pétrole resteraient conformes au cadre des sanctions et au plafonnement des prix, rapporte The Economic Times.

Avant ce tour de vis, l’Inde avait importé en moyenne 1,7 million de barils par jour de pétrole russe sur les neuf premiers mois de 2025, ce qui l’exposait à un ajustement brusque à la suite des nouvelles règles. Ce chiffre, repris dans la presse économique indienne il y a moins d’une semaine, illustre la dépendance créée par les rabais consentis par la Russie. Les raffineries, notamment privées, cherchent des alternatives au pétrole russe (Moyen-Orient, Amériques) et arbitrent entre marge et conformité.

Pression opérationnelle : assurances, « shadow fleet » et contrôles danois

Au-delà des sanctions primaires, l’élément le plus déstabilisant pour un pétrolier reste l’assurance. Sans couverture P&I crédible, un navire chargé de pétrole voit ses escales et ses transits bridés. Une enquête Reuters décrit comment une partie du pétrole russe et iranien a continué de circuler en Asie via une « flotte fantôme », parfois adossée à des assureurs non conventionnels, ce qui accroît les risques techniques et juridiques. Cette tendance explique la multiplication des demi-tours et des déroutements comme celui du Furia.

En Mer Baltique, le Danemark a renforcé ses contrôles pour entraver les pétroliers transportant du pétrole russe, en ciblant en particulier les navires anciens, précisément le profil du Furia. Les autorités danoises ont annoncé ce mois-ci une intensification des inspections. Dans un réseau où l’Inde demeure une destination clé, ce durcissement augmente le coût de transaction de chaque tonne de pétrole, rallonge les délais et fragilise la fiabilité des livraisons.

Ce que l’on sait du chargement, des routes et des acteurs

Les données publiques concordent : 730 000 barils d’Urals chargés le 20 octobre à Primorsk ; route initiale vers Sikka avec arrivée estimée mi-novembre ; puis jalon Port-Saïd déclaré, hypothèse courante avant le passage de Suez.

L’armement et la chaîne de conformité affichent des zones d’ombre : propriétaire immatriculé aux Seychelles (Whispering Willow Corp) et gestion de conformité annoncée par Harbor Harmony Shipmanagement (Azerbaïdjan), entités qui n’ont pas répondu aux sollicitations, d’après The Economic Times. Ces éléments, classiques dans le commerce de pétrole sous sanctions, compliquent les vérifications de conformité que les banques et les assureurs exigent pour laisser partir la cargaison.

En aval, la question est de savoir qui prendra titre du pétrole et où. Les raffineries indiennes achètent souvent « delivered », transfert de propriété au déchargement. Tant que le statut du pétrolier et des parties liées reste incertain, chaque jour d’attente coûte : frais d’affrètement, exposition au marché, risque de détérioration de la fenêtre météo en Mer Baltique et au passage de Suez. Pour l’Inde, l’équation devient : sécuriser du pétrole compatible sanctions, préserver les marges et éviter l’atteinte à la réputation, surtout depuis que certaines majors publiques et privées ont déclaré intensifier leurs achats de pétrole moyen-oriental, relève Business Standard.


Un signal de rupture dans la mécanique russo-indienne du brut

Le demi-tour du Furia illustre un mouvement plus large. Depuis l’été, plusieurs navires chargés de pétrole russe à destination de l’Inde ont été déroutés, retardés ou se sont vus refuser l’accès à certains terminaux, à la suite de directives portuaires durcies et du risque de sanctions secondaires, comme l’ont documenté des dépêches de l’été et de l’automne. La nouveauté, c’est l’atteinte directe aux producteurs centraux russes, qui perturbe la contractualisation et rebat la carte des affréteurs.

Pour Moscou, l’enjeu est double : maintenir des volumes de pétrole en mer malgré le prix plafond et faire naviguer des pétroliers plus âgés sans incidents notables. Pour New Delhi, l’arbitrage s’opère entre sécurité d’approvisionnement, coût du baril livré et diplomatie énergétique. D’un côté, la volonté d’Indian Oil de poursuivre les achats « dans le respect des sanctions » ; de l’autre, de grandes raffineries indiennes se préparent à réduire fortement leurs volumes en provenance de la Russie. Dans l’intervalle, chaque cargaison de pétrole russe devient un test grandeur nature de conformité, où un demi-tour en Mer Baltique peut annoncer d’autres immobilisations sur les routes vers l’Asie.




Nouveau commentaire :

ENDERI promeut la liberté d'expression, dans le respect des personnes et des opinions. La rédaction d'ENDERI se réserve le droit de supprimer, sans préavis, tout commentaire à caractère insultant, diffamatoire, péremptoire, ou commercial.