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Otages en mer : quand la piraterie devient une arme économique et terroriste




Publié par La Rédaction le 1 Octobre 2025

La piraterie maritime n’appartient pas au passé. Elle s’est réinventée comme une économie des otages, combinant violence asymétrique, réseaux financiers opaques et soupçons de financement du terrorisme. Si le nombre global d’attaques a baissé depuis le pic somalien des années 2010, le risque reste élevé : 116 incidents recensés en 2024 selon le Bureau maritime international (IMB), dont douze enlèvements dans le Golfe de Guinée. Les marins captifs deviennent une ressource stratégique, utilisée pour rançonner les armateurs et défier les États.



Les modes d’action des pirates aujourd’hui

 

La piraterie se décline en deux modèles principaux. Dans l’océan Indien, les groupes somaliens privilégient la capture de navires entiers et de leurs équipages. Les négociations s’étalent sur des mois et les montants exigés atteignent des sommets : en décembre 2024, des pirates somaliens ont demandé dix millions de dollars pour un thonier chinois et ses dix-huit otages . Au plus fort de la crise, la rançon moyenne avoisinait cinq millions par navire, avec des détentions de plus de onze mois .

Dans le Golfe de Guinée, le modèle diffère. Les pirates ciblent les officiers les plus précieux, les transfèrent à terre puis négocient rapidement des rançons par personne. Les montants sont moindres mais les violences plus fréquentes. Les marins sont retenus dans des camps isolés du delta du Niger, soumis à des conditions de détention éprouvantes pour forcer les armateurs à céder .

Ces actions révèlent une asymétrie flagrante : quelques hommes armés de fusils d’assaut et d’une vedette rapide peuvent immobiliser des navires de plusieurs centaines de millions de dollars, générant des coûts colossaux pour les armateurs et leurs assureur
 


Pirates et financement du terrorisme : un lien prouvé ?

 

La question centrale est de savoir si la piraterie sert directement de levier financier au terrorisme. Les enquêtes internationales ont montré que les rançons circulent dans des réseaux financiers opaques. La Banque mondiale et l’UNODC ont documenté le rôle des circuits hawala dans le recyclage des fonds issus de la piraterie somalienne .

Cependant, établir un lien direct avec des organisations terroristes reste complexe. Les pirates somaliens, par exemple, affirment agir de façon autonome et refuser les alliances avec les islamistes d’Al-Shabaab. Pourtant, les autorités américaines et européennes rappellent que les flux de rançons peuvent indirectement profiter à des groupes armés via des intermédiaires. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) a averti en 2020 puis en 2021 que le paiement de rançons exposait armateurs et assureurs à des risques de sanctions si les bénéficiaires avaient des liens avec des organisations terroristes .

En Afrique de l’Ouest, les connexions entre pirates et milices terrestres sont plus visibles. Certains réseaux criminels du delta du Niger sont liés à des insurrections locales et financent leurs activités grâce aux kidnappings maritimes. L’Atlantic Council estime que la frontière entre criminalité organisée et terrorisme tend à s’estomper dans la région .
 

Comment lutter contre le business des otages ?

 

La réponse militaire reste essentielle mais insuffisante. Dans l’océan Indien, l’opération européenne Atalante, à laquelle participe activement la France, protège les navires humanitaires et dissuade les pirates par une présence navale permanente . Dans le Golfe de Guinée, la mission française Corymbe et les exercices Grand African NEMO renforcent les capacités des marines locales et favorisent la coopération régionale .

Les armateurs ont développé leurs propres mesures défensives. Le guide BMP5 (Best Management Practices) recommande vitesse accrue, citadelles sécurisées et barbelés pour retarder les assauts. L’emploi de gardes armés privés, autorisé sur certaines routes, a contribué à la baisse des attaques somaliennes après 2012 .

Sur le plan financier, la clé réside dans la traçabilité. Les polices d’assurance “Kidnap & Ransom” et “War Risks” imposent désormais un suivi strict des paiements et un contrôle de conformité renforcé, afin d’éviter toute violation des sanctions internationales. Le Groupe d’action financière (GAFI) rappelle que le financement du terrorisme par rançon constitue un risque majeur et recommande une vigilance accrue .

Enfin, à long terme, aucune lutte contre la piraterie ne peut être efficace sans s’attaquer aux causes profondes : pauvreté côtière, corruption, absence d’État de droit et exploitation illégale des ressources maritimes. Tant que ces facteurs demeurent, la piraterie restera un instrument rentable et durable de déstabilisation.
 


Sources

 
  • Bureau maritime international (IMB), Piracy and Armed Robbery Report 2024 et T1-2025 (statistiques incidents et otages)

  • Associated Press, décembre 2024, “Somali pirates demand $10 million ransom for Chinese vessel”

  • Banque mondiale, UNODC, INTERPOL, Pirate Trails: Tracking the Illicit Financial Flows from Piracy off the Horn of Africa, 2013

  • OFAC, U.S. Treasury, Advisory on Ransomware Payments and Sanctions Risks, 2020 et mise à jour 2021

  • Atlantic Council, 2025, analyse sur la criminalité maritime et le terrorisme dans le Golfe de Guinée

  • BMP5, Best Management Practices to Deter Piracy and Enhance Maritime Security (UKMTO, EUNAVFOR)



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