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Muddy Waters research, un fonds spéculatif controversé




Publié par Léa Genton le 15 Avril 2019

Savoir trouver, interpréter et diffuser la bonne information peut rapporter gros, comme le prouve la société américaine de recherche et d’investissement Muddy Waters Research, qui a accroché à son tableau de chasse diverses entreprises chinoises, américaines ou françaises.



Démissions de dirigeants, chutes du cours de Bourse pouvant dépasser 80 %, voire faillite… Les conséquences d’une note d’analyse de la société Muddy Waters Research ont de quoi donner des sueurs froides à bien des entreprises cotées.
Mais qui est donc cet acteur à la fois redouté et controversé, parfois accusé de manipulations ?
 
Muddy Waters Research LLC. a été fondée par l’investisseur américain Carson Block et a fait ses armes en dénonçant les malversations comptables d’entreprises chinoises cotées en Amérique du Nord comme le Sino-Forest Group et NQ-Mobile. Son principe de fonctionnement est simple : rédiger des notes contenant des informations gênantes (souvent des allégations de fraudes ou de mensonges) à propos de l’entreprise ciblée, tout en prenant eux-mêmes position en vendant les titres de la société concernée. Les notes d’analyses de Muddy Waters sont publiques et accessibles gratuitement à tous sur son site Internet, afin qu’un maximum de personnes y ait accès. Elles reposent sur des informations également publiques, notamment les comptes des entreprises, et sur l’interprétation qu’en font les analystes, qui, contrairement aux pratiques habituelles dans ce domaine, ne traitent qu’un petit nombre de cas par an dans lesquels ils ont déjà détecté d’éventuelles failles (Muddy Waters n’a publié que 4 notes en 2015).
 
Si les informations sur lesquelles s’appuie Muddy Waters sont donc en général des informations ouvertes (c’est-à-dire librement accessible), cela ne signifie pas que tous peuvent les trouver et les traiter efficacement. L’investigation est une profession qui requiert une méthode. Ainsi, la société a par exemple recours aux services de Matijn Rasser, qui a travaillé pendant dix ans dans les services de renseignements américains et a cité les analyses de QVerity, un cabinet qui emploie notamment des anciens de la CIA, dans son rapport sur Noble Group.
 
Tout le travail de l’entreprise repose sur sa fiabilité, acquise au fil de ses nombreuses victoires et prédictions qui se sont réalisées (ou autoréalisée ?) mais également grâce aux preuves de crédibilité apportées par les régulateurs financiers. En effet, à plusieurs reprises les autorités, que ce soit la Food and Drug Administration (FDA) et Département de la Sécurité Intérieure des États-Unis ou la Commission des Valeurs Mobilières de l’Ontario, ont diligenté des enquêtes suite à des révélations de Muddy Waters et lui ont donné raison. De même, l’entreprise a remporté les procès en diffamation intentés par certaines de ses cibles.
De nombreuses entreprises ont donc appris à leurs dépens que les notes de cette société sont des menaces à prendre au sérieux. C’est le cas du groupe de grande distribution français Casino, qui est l’une de ses cibles depuis le 17 décembre 2015. À cette date, Carson Block a critiqué le poids de la dette de Casino comme étant « dangereusement élevé » et affirmé que l’entreprise était gérée avec « une vision à court terme ». En conséquence de quoi, selon lui, l’action ne devait valoir que 7 €, contre 49 € à ce moment-là. Un certain nombre d’investisseurs ont suivi cette recommandation, ce qui a provoqué une chute immédiate du cours de plus de 20 % et à une dégradation de la note de crédit en catégorie spéculative. Le groupe, normalement discret, a été obligé de diffuser un long communiqué pour se défendre point par point face aux attaques et même de prendre des actions concrètes telles que des cessions d’actifs pour réduire son endettement. Depuis, les deux entreprises ont toujours une relation extrêmement hostile : Muddy Waters accuse Casino d’avoir essayé de la piéger et de lui soutirer des informations par l’intermédiaire d’une personne qui se serait fait passer pour un journaliste du Wall Street Journal et un représentant de l’AMF, ce que Casino dément. Suite à un simple tweet de Muddy Waters démontrant grâce à un lien Infogreffe que la filiale Casino Finance n’avait pas déposé ses comptes de l’exercice 2017, l’action Casino a touché en août 2018 son plus bas depuis 1996. Le groupe français résiste cependant mieux que bien d’autres cibles comme Noble Group, qui a fait défaut sur sa dette et est attaqué en justice par l’un de ses actionnaires ou Sino-Forest Corporation qui a fait faillite et été l’objet d’une procédure judiciaire au Canada.
 
Muddy Waters démontre donc que dans un monde où l’information est accessible instantanément à tous, les entreprises doivent être préparées à réagir rapidement et efficacement à ce genre d’attaque, et avoir conscience de la valeur que représentent toutes les informations qu’elles diffusent.

 


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