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Le soft power chinois sur les autoroutes sanitaires




Publié par Agnès BOSCHET le 25 Mars 2020

Fin mars, la Chine reprend-elle l’avantage de l’influence en exportant ses équipes médicales ? Sont-ce les premiers signaux de sortie de crise en Chine, une nouvelle opportunité pour exporter le Soft-power ?



Membres de la Belt & Road Initiative, Empreur supreme jonathan, Wikipédia 20

La dernière semaine de mars 2020 confirmera si la Chine est en passe de sortir de la crise sanitaire qui la terrasse pour reprendre l’avantage. Nous assistons à nouveau à un rapport de force sur fond de Covid-19 ; une lutte hégémonique qui semble inextricable et qui fait la part belle à la capacité d’influence et à la compétition. 
Les États-Unis et l’Europe sont encore sous l’effet de la sidération du boomerang qui vient de les frapper et les institutions internationales le sont tout autant. 

Le soft power chinois vient au chevet du monde occidental à terre et prodigue ses remèdes et conseils. Forte de son expérience, la Chine propose son aide matérielle et ses experts, notamment à des pays adhérant à son initiative BRI, comme c’est le cas de l’Italie. Le nouveau projet de construction sanitaire proposé par Pékin officialiserait-il l’impulsion chinoise à orienter les progrès de la santé dans le cadre de la Belt and Road Initiative ?

L’exemple de la main tendue (concept de « développement pacifique ») de la Chine aux pays en difficulté comme l’Italie, la Serbie, l’Espagne est un beau geste, mais quelles en seront les contreparties ? Pourquoi la Lombardie accueille-t-elle des conseillers chinois ? À quand remontent les premiers partenariats et aides économiques à l’Italie ?

Depuis l’après-crise financière de 2008, l’Europe est le premier partenaire commercial de la Chine. Cette dernière y a investi 145 milliards d’euros. D’après le Xinhuanet.com, la Fondation Italie-Chine déclarait à Trieste en février 2019, que l’Italie était la troisième destination des investissements chinois en Europe, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. La Chine tisse sa toile dans les infrastructures européennes. Les entreprises d’État chinoises contrôlent déjà des parts importantes des réseaux électriques italiens, du réseau gazier britannique et de l’exploitant du réseau grec. Elles cherchent prioritairement à capter des secteurs stratégiques tels que l’énergie ou les télécommunications. Et pour cela, Pékin a besoin de prendre l'initiative et surtout de susciter la confiance étrangère pour stimuler les exportations et les investissements pour la relance. 

La Grèce en son temps, suivi du Portugal (EDPR énergie) ont signé des accords qui permettent à la Chine d’accéder au sud de l’Europe, mais  l’accord signé le 23 mars 2019 à Rome entre l’Italie et la Chine pointe une situation inédite qui en fait le premier pays du G7 à intégrer le projet des Nouvelles Routes de la Soie.  

Étranglé par une situation économique préoccupante, le gouvernement italien dirigeait en 2019 un pays avec une dette publique de 130 % du PIB (38 000 euros par Italien). Les banques italiennes sont fragiles et de nombreuses grandes entreprises italiennes ont des besoins urgents de recapitalisation. Le gouvernement a pris son risque en solitaire au point de s’éloigner de ses alliés, furieux. Et selon des communiqués officiels de l’époque, un protocole évalué entre sept et vingt milliards d’euros avait déjà été signé. 
Dans la corbeille on retrouve sans grande surprise les ports de Gênes et de Trieste qui sont des points d’entrée vers la France, l’Espagne et le reste de l’Europe. Gênes relie la France et l’Espagne et Trieste à l’Europe centrale. À Gênes, un nouveau terminal sera construit et financé à hauteur d’au moins 50 % par la Chine. Outre les infrastructures, la Chine investira prioritairement dans les secteurs de l’énergie, de l’aéronautique et des télécommunications, mais compte tenu des injonctions de Bruxelles et Washington, le secrétaire d’État italien à l’Économie Michel Geraci, déclarait que conscient des risques, Huawei ne se verrait pas attribuer l’équipement du pays en 5 G. 

Le pari fait ici est très risqué et les attendus sont bien connus, car l’Italie, tout comme de nombreux pays du continent africain, pourrait risquer de perdre la propriété de certaines de ses infrastructures si elle se retrouvait dans l’incapacité de rembourser ses emprunts. En réaction, les Vingt-Huit décidèrent de contrôler ce type d’opérations et d’instaurer un accès réciproque aux marchés publics. Cette décision, assortie d’un document en dix points, considère que la Chine n’est plus « un pays en développement, mais un “rival systémique”.

La situation est très périlleuse, car elle ne repose sur aucune majorité sérieuse dans l’Union. L’Europe est désormais divisée au sud et à l’est, depuis que Pékin a créé en 2012, le “Groupe des 16 +1”, constitué de la Chine et des pays d’Europe centrale et des Balkans afin de la déstabiliser. Un cheval de Troie pour lutter contre des politiques contraires aux intérêts chinois. 

L’Europe est pieds et poings liés ; les décisions sont peu suivies d’effet de corps et annoncent des jours de grands dangers. De nombreuses entreprises chinoises sont entre les mains de l’État et cela va introduire des facteurs de distorsion de la concurrence qui vont se révéler désastreux pour les entreprises européennes. Et ce, sans compter avec une fragilité des protections contre le cyberespionnage.

À elles seules la Lombardie, la Vénétie et l’Émilie-Romagne représentent 40,1 % du PIB national et 50 % des exportations totales. Selon un article du Huffington Post en date du 02.03.2020, “à court terme, l’épidémie et surtout les mesures pour la contenir provoqueraient une baisse du PIB comprise entre 9 et 27 milliards d’euros selon des hypothèses données sur l’ampleur des pertes dans les différents secteurs. La situation instable affecte le commerce international. Si l’on calcule que les exportations générées par les provinces du nord de l’Italie touchées par le coronavirus représentent 138 milliards d’euros.” 

Devenue l’épicentre du Covid-19, l’Europe accélère ses mesures de confinement et vient de fermer les frontières de l’espace Schengen. En Italie, en Allemagne et en Autriche, les opérateurs télécoms coopèrent avec les autorités sanitaires en leur donnant accès aux données de localisation des smartphones, dans le respect du RGPD. En Italie, Vodafone, Telecom Italia et WindTre ont proposé l’accès à leurs données de localisation en Lombardie, la région la plus atteinte par l’épidémie. Le soutien de Huawei, ZTE, Alibaba et Xiaomi à l’Italie met en évidence les implications technologiques des relations entre Rome et Pékin, longtemps critiquées par les États-Unis. Huawei a proposé de déployer un réseau cloud pour connecter en temps réel, les centres de crise des hôpitaux italiens les plus importants aux hôpitaux de Wuhan, avec à la clé, une amélioration de la connexion.

Dans le contexte de pandémie, la Chine se redéploie sur tous les échiquiers stratégiques en Europe. Et les puissances occidentales en état de choc ne doivent pas perdre de vue les priorités de sûreté qui sont les leurs, notamment en matière de protection des infrastructures critiques. L’Italie est historiquement une base clé de l’OTAN pour le sud de l’Europe et l’Afrique. 
           
Agnès Boschet, coauteure de : Chine digitale, dragon hacker de puissance  », Agnès BOSCHET, Jessica Chimenti, Thomas Duval, Nicolas Mera Leal
 

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