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Le nouveau Livre Blanc est-il nécessaire ?




Publié par Pierre-Marie Meunier le 29 Avril 2013

Alors que la sortie officielle du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale (LBDSN), version 2013, est attendue dans les heures à venir, de plus en plus de voix se font entendre concernant l’utilité de l’exercice, lancé quatre ans seulement après le précédent. Les bouleversements budgétaires n’auraient-ils pas pris le pas sur les bouleversements stratégiques qui imposent normalement sa révision ?



Opération Serval (crédit ECPAD)
Opération Serval (crédit ECPAD)
Au niveau tactique, l’armée française a depuis longtemps acté le fait d’adapter la manœuvre à ses moyens matériels et humains, une « stratégie des moyens » déclinée aux opérations locales et ponctuelles en quelque sorte. Pour paraphraser maladroitement le général Patton, la tactique dit ce que l’on doit faire, la logistique ce qu’on peut faire. Cela fait bien des années que les trois armées « font avec » et font durer, particulièrement sur des terrains exigeants comme l’est l’Afrique ou comme le fut l’Afghanistan. Au niveau stratégique par contre, c’est-à-dire au niveau où se dessinent les ambitions et les objectifs politiques et militaires de la nation, on aurait peut-être attendu autre chose que le diktat des normes comptables. Le sentiment partagé est que la stratégie et la diplomatie françaises se décident désormais à Bercy, suivant des critères qui ne touchent que de très loin le rayonnement, l’influence, la politique étrangère, la souveraineté ou la défense des intérêts vitaux de la nation.

Le Livre Blanc de 1994 actait la fin de la posture de Guerre froide, 22 ans après celui qui l’entérinait, et reposait en partie sur le présupposé d’un nouvel ordre mondial issu de la Pax Americana. Le LBDSN de 2008 fut une nécessité post-11 septembre, un peu tardive, mais qui consacrait cette fois le nouveau désordre mondial, et l’incertitude stratégique qui en découle. Les nouvelles menaces ont fait leur apparition ; la guerre est devenue non-conventionnelle dans la théorie, longtemps après l’être devenue dans les faits. En 2013, que constatons nous de nouveau ? La France a réappris à faire la guerre, la vraie, et est actuellement en train de livrer bataille dans le Sahel. Mais au lieu de prendre acte du retour de la guerre pour les armées françaises, on semble se préparer à faire comme si cela n’avait pas eu lieu et comme si cela n’arriverait jamais plus.

Le contexte des précédents Livres Blancs.

En 1994, on réalise avec grand peine que notre vision stratégique en place depuis près de 50 ans vient de s’effondrer en même temps que notre ennemi désigné. La guerre du Golfe semble être le premier avatar d’une nouvelle forme de guerre, faite de technologie encore en développement et de coalition mondiale pour résoudre les crises de la planète. Aux Etats-Unis, l’enthousiasme de cette vision provoque la conceptualisation de la Revolution in Military Affairs, du nom du thème de la cinquième conférence stratégique de l’Army War College’s Strategic Studies Institute en 1994. Cette « révolution » sera déclinée au niveau des armées US sous le vocable de Network Centric Warfare (NCW), ou « combat réseau-centré ». Cette nouvelle approche organisationnelle et conceptuelle de la façon dont sont menés les conflits induit, dans un premier temps, les Joint Operations, ou « opérations combinées », soit le décloisonnement total des cinq armées américaines (US Air Force, US Army, US Navy, US Marine Corps et US Coast Guards). Au niveau des stratégies militaires, on assiste à la naissance des Effect-Based Operations, ou « Opérations fondées sur les effets à obtenir : on quitte une logique quantitative (« combien de divisions ? ») pour une logique capacitaire, une approche fonction des effets à produire sur le terrain. Enfin, pour les armées, c’est le temps de la Transformation, mutation nécessaire des matériels des doctrines d’emplois, de l’instruction et de l’entrainement pour coller à cette nouvelle approche qu’est le NCW. L’apothéose de cette nouvelle conception de la guerre sera l’offensive irakienne de 2003, ou comment prendre un pays en trois semaines. Les limites de cette approche seront vite perçues. Mais avant le 11 septembre, la France suit de près les débats intenses en cours outre-Atlantique et décline à son niveau ce que peut être la RMA et le NCW : Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB), programme FELIN mais surtout SCORPION dans les années à venir. Une vision plus modeste, mais surtout plus pragmatique qui aboutiront à des résultats technico-opérationnels nettement moins discutables que certaines usines à gaz américaines, tel le Future Combat System.

En 2008, le 11 septembre est passé par là, les guerres d’Irak et d’Afghanistan aussi. Ce dernier théâtre est à ce moment là vu comme une victoire : la réalité du Surge de l’insurrection de 2006-2008 n’est pas encore perçue à sa juste valeur. De son côté, l’Irak est clairement vu comme un bourbier, même si un léger mieux s’installe après les terribles années 2005-2006, qui ont vu se réaliser jusqu’à plusieurs dizaines d’attentats par jour sur le territoire irakien. Mais la France n’est pas en Irak, et l’Afghanistan, ce n’est pas vraiment encore la guerre. Le LBDSN s’inscrit néanmoins dans cette tendance logique de prise en compte du nouveau contexte stratégique (l’instabilité du monde et incertitude) et des nouvelles menaces (proliférations, terrorisme, piraterie…).

Le présent, source de toutes les inquiétudes

Depuis 2008, le contexte international a-t-il changé ? La course aux armements en Asie a repris de plus belle avec des tensions régionales de plus en plus vives ; la Russie commence à avoir les moyens de ses ambitions et met l’Est de l’Europe sous pression ; l’Afrique perpétue de son côté une longue tradition d’instabilités : des territoires entiers, courant du Sahara occidental à la Corne de l’Afrique, sont devenues des zones de non-droit. La péninsule arabique ne progresse guère dans le sens de la pacification, avec le Yémen au bord du statut d’état-failli. Le conflit Syrien entretient plus au Nord un trou noir dont se désintéressent les pays occidentaux mais qui risque de déborder sur toute la région le jour où l’Etat syrien s’effondrera. Bien d’autres régions du monde sont sources de tensions susceptibles de dégénérer en conflits armées, mais au milieu de ce chaudron, l’Europe désarme, tout en sachant qu’elle ne pourra plus réellement compter sur l’implication américaine sur le Vieux Continent. Lassés d’un Burden Sharing trop déséquilibré, les Américains nous ont mis face à nos responsabilités.

La France a historiquement rempli son devoir et accepté cette responsabilité, quitte à revendiquer, trop ostensiblement pour certains de nos voisins, le leadership sur les questions de défense européenne et de politique étrangère de l’Union. Les socialistes français ne sont en rien étrangers à cette posture volontaire de la France, car la défense fait relativement consensus dans le milieu politique français. C’est à un Ministre socialiste, Charles Hernu, que la France doit d’avoir conserver la dissuasion nucléaire, après avoir convaincu François Mitterrand de l’importance de cet outil. Inversement, c’est à la droite que les armées doivent la plupart des réformes douloureuses de ces 15 dernières années. Si certaines étaient inévitables, d’autres sont nettement plus discutables. Mais rien ne permet de dire aujourd’hui que le monde est moins préoccupant qu’avant. Certes la France ne craint pas d’invasions à ses frontières à horizon de trente ans. Mais qui osera prévoir au-delà ? De plus, les intérêts vitaux de la France ne s’arrêtent pas à la défense de la ligne bleue des Vosges. Nos intérêts vitaux, ceux pour lesquels nous sommes prêts à engager nos forces armées englobent aussi la protection de nos ressortissants expatriés, la défense de nos territoires ultra-marins, la sureté de nos axes d’approvisionnement, le respect de nos accords de défense… En résumé, si le Livre Blanc devait prendre une direction déterminée, ce serait celle d’une consolidation de nos forces armées et d’un renforcement de nos capacités faisant actuellement défaut. Les opérations au Mali ont une nouvelle fois prouvé une vérité connue de longue date : les guerres se gagnent avec des troupes en nombre au sol. La technologie permet d'agir plus vite, plus loin, plus précisément. Les troupes et les soldats permettent d'agir tout court. Dans le contexte actuel, on comprend mal comment justifier la baisse des effectifs militaires par la seule volonté de réduire la masse salariale de la seule catégorie de serviteurs de l’Etat qui ne peut se défendre. A croire que les gouvernements successifs ne savent faire autre chose qu’imiter le comportement des actionnaires de sociétés qu’ils dénoncent à grands cris : on licencie du monde pour dégager du cash.

Le LBDSN est censé traduire les ambitions stratégiques de la France pour les années à venir. Il semblerait plutôt que ce texte traduise les ambitions budgétaires du gouvernement pour un outil dont il ne comprend plus l’importance, particulièrement dans le contexte du désengagement américain au profit de l’Asie et de l’effondrement militaire européen.  Une fois l’outil militaire brisé, ou au moins affaibli, il sera facile de dire que nous n’avons plus les moyens de nos ambitions. Et c’est précisément à ce type de forfaiture que nous nous préparons. La France pourrait disposer via son outil militaire d’un levier d’influence sur les affaires européennes, et prendre ainsi le leadership sur la question tant délaissée de l’Europe de la Défense. Mais apparemment l’Europe comme la Défense ne semble plus intéressée grand monde en France. Nous paierons ces errements un jour, on ne reconstitue pas un outil de défense au claquement de doigt.  Le risque que nous prenons vaut-il  seulement ce que nous gagnons aujourd’hui ?



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