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Le droit OHADA des sociétés, un modèle d’intégration juridique qui influence les Européens




Publié par La rédaction le 7 Juillet 2020

Entretien avec Victor KALUNGA TSHIKALA et Stéphane MORTIER, auteurs du PRÉCIS DE DROIT OHADA DES SOCIÉTÉS, paru le 2 juillet chez VA ÉDITIONS



L’harmonisation du droit des affaires en Afrique, où en est-on ?

S. MORTIER – Depuis 1993, l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) a pour vocation d’harmoniser le droit des affaires au sein des États membres. Ils sont actuellement au nombre de 17 (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, République Démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo) à partager un corpus de droit des affaires commun.
Où en sommes-nous ? Dix Actes uniformes correspondant chacun à un pan majeur du droit des affaires (médiation, arbitrage, voies de recouvrement, droit commercial général, sûreté, comptabilité, entreprises en difficulté, transport de marchandises par route, coopératives et droit des sociétés commerciales) s’appliquent uniformément dans toute la zone et constituent le Code OHADA. Une Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) compétente au troisième degré (cassation), mais pouvant également être saisie pour avis, vient renforcer le dispositif. Nous en sommes donc déjà loin, mais il est toujours possible d’aller plus loin et l’avenir verra certainement d’autres textes enrichir ce corpus déjà conséquent.


Quelle place y occupe le droit des sociétés ?

V. KALUNGA TSHIKALA –  L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) offre un cadre clair, pérenne et adapté aux activités des entreprises. Le droit des sociétés, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui régissent la vie des sociétés de leur création à leur disparition, en est une brique particulièrement importante. La création, la gestion et éventuellement la liquidation d’une entreprise relèvent du même processus dans l’ensemble de la zone OHADA, quelle que soit la forme juridique choisie : société en nom collectif, société en commandite simple, société à responsabilité limitée, société anonyme, société par actions simplifiée, société en participation, mais aussi société de fait ou crée de fait auxquelles il convient d’ajouter les sociétés coopératives et le groupement d’intérêt économique. Le statut juridique est généralement choisi au moment de la création de l’entreprise. En ce sens, le droit des sociétés occupe une place de choix et particulièrement stratégique. De plus, il ne s’agit pas un droit statique, mais moderne et adapté à son environnement. Il est dès lors amené à évoluer : des dispositions relatives à la responsabilité sociétale des entreprises pourraient y faire leur apparition lors d’une prochaine révision du texte.

Constate-t-on une réelle influence sur le climat des affaires ?

S. MORTIER –  Indéniablement ! La sécurité juridique ne peut que contribuer à une amélioration du climat des affaires. Aujourd’hui, dans la zone OHADA, on peut créer une entreprise en quelques jours ; c’est un vecteur de développement économique. Pour l’investisseur étranger (intra- ou hors zone OHADA), investir dans un cadre juridique clair et bien défini, avec l’assurance d’une sécurité judiciaire au travers de la CCJA et la possibilité de recourir aux modes alternatifs de règlement des différends (arbitrage et médiation), sont des indicateurs de confiance. Depuis plusieurs années le Rapport « Doing Business » de la Banque Mondiale donne des indications positives spécifiques à la zone OHADA, ce n’est pas anodin...
 

Pourquoi un focus sur la République Démocratique du Congo ?

V. KALUNGA TSHIKALA – Avant tout parce que c’est ma patrie ! En effet, je suis Recteur de l’Université de Kalémie dans la Province du Tanganyika. La République Démocratique du Congo a adhéré à l’OHADA beaucoup plus tard (en 2012) que la plupart des pays membres (en 1993), et avait un délai de deux ans pour mettre ses entreprises et sa législation en conformité. C’est une révolution que de changer le système juridique sur des pans entiers du droit des affaires, et ce n’est pas une mince affaire. Des milliers d’entreprises ont ainsi mis leurs statuts à jour, certaines formes juridiques ayant disparu (comme la société par actions à responsabilité limitée de droit congolais par exemple) au profit des formes juridiques proposées par le droit OHADA. Les tribunaux de commerce en RDC étaient prévus dans la législation depuis plusieurs années, mais n’avaient pas été mis en place. C’est bien l’adhésion à l’OHADA qui a permis l’établissement et le fonctionnement de ces tribunaux de commerce. La modernisation du droit également : le droit des sociétés était issu du Décret du Roi-Souverain du 27 février 1887 relatif aux Sociétés commerciales. Il a été remplacé par l’AUSCGIE adopté en 1997 et révisé en 2014.

En tant que membre de la Commission nationale OHADA de RDC, je tiens également à souligner le travail considérable et l’implication personnelle du Professeur Roger MASAMBA dans l’aventure et le processus d’adhésion de la RDC à l’OHADA. Aujourd’hui la RDC est particulièrement investie dans la démarche et est pleinement consciente des avancées permises par le droit OHADA.


En quoi de droit OHADA peut-il influencer les Européens ?

S. MORTIER – La réussite du droit OHADA, hormis dans la zone géographique qui est la sienne, c’est sa capacité à être prise en exemple. Je pense notamment à l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires dans la Caraïbe (OHADAC). Bien que sous une forme différente et essentiellement centrée sur l’arbitrage et la conciliation, mais aussi de manière générale sur le droit international privé, cette organisation vise le développement des échanges et des économies des pays membres. Enfin, le projet de Code européen des affaires s’inspire, depuis 2016, particulièrement de l’OHADA, c’est un sujet que nous abordions il y a quelques mois lors d’un colloque organisé par Europanova au Sénat à Paris. Au sein de l’Union européenne, la législation veille au consommateur (droit de la concurrence, protection des données…), mais peu de textes concernent les commerçants, au sens du statut de commerçant. Le Code européen des affaires, dans un avenir assez proche nous l’espérons, viendra combler ce manque en apportant un véritable environnement juridique commun aux acteurs économiques, y compris en matière de droit des sociétés. Soulignons que c’est probablement la première fois de l’histoire de la construction européenne qu’une réalité (et réussite) africaine vient impulser un projet européen. Il ne s’agit plus d’une possibilité d’influence, c’est acquis !

 



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