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L’Afrique, continent convoité : une malédiction des matières premières ?




Publié par Régis LOUSSOU KIKI, le 28 Mai 2019

L’Afrique a de l’or sous les pieds : la richesse en ressources naturelles du continent noir ne fait aucun doute. L’abondance de métaux précieux (manganèse, chrome, platine, or, terres rares – au total environ 30 % des réserves mondiales de minerais) comme d’hydrocarbures (7,6 % des réserves de pétrole, 7,5 % de gaz) et la puissance démographique (1,28 milliard d’habitants en 2018, nombre qui devrait doubler d’ici à 2050) sont deux arguments en faveur du développement africain.



Pourtant, cette émergence peine à connaître un élan [1] . La convoitise que génèrent ces matières premières n’est pas étrangère à cette difficulté : elle place l’Afrique au centre d’un échiquier d’influences et de prédations, vecteur de déséquilibres et d’insécurités. Une « malédiction » [2]  des ressources naturelles ?

Les 54 États africains peinent à transformer l’essai de la richesse naturelle en développement économique stable pour deux raisons principales. D’abord, l’instabilité inhérente aux cours des matières premières a des conséquences majeures sur les PIB des pays producteurs. Ensuite, les revenus générés grâce à ces ressources entraînent d’importants problèmes de gouvernance, qui prennent concrètement la forme de corruptions, de conflits armés et de problèmes environnementaux. On qualifie ainsi ces États de « fragiles », ingouvernables, car coincés entre fléaux internes (corruption et changements de régime) et externes (ingérence étrangère pour défendre des intérêts économiques et stratégiques). Les tentatives de rationalisation des structures de gouvernance et de régulation des marchés africains se heurtent fréquemment à la réalité des conflits géopolitiques locaux.

Cette fragilité est exploitée par les grandes puissances qui placent l’Afrique au cœur de leurs stratégies en termes de matières premières. La bataille faisait déjà rage entre puissances coloniales pour la conquête des territoires les plus riches ; ce fut ensuite un enjeu de l’affrontement des deux blocs pendant la Guerre froide. Aujourd’hui, les ressources africaines sont un levier de puissance des pays émergents (Chine, Inde) sur un continent qui fut longtemps la chasse gardée de l’Occident. La rivalité entre les États-Unis et la Chine sur ce terrain en est l’illustration : Pékin s’imagine puissance hégémonique grâce à une Chinafrique basée sur une logique de partenariat, une solidarité « Sud-Sud » faisant fi de toute exigence démocratique ; un scénario que Washington tente de contenir en misant sur le besoin en sécurité du continent, notamment par l’action d’Africom, bureau régional du US Department of Defense. Par ailleurs, l’importance de l’ingérence étrangère est d’autant plus forte que de nombreuses matières premières touchent au secteur clé de la défense. C’est par exemple le cas du platine (dont 85 % des stocks se situent sur le continent noir), métal stratégique pour les industries de défense ainsi que pour les technologies du numérique. L’Afrique présente une formidable réserve de ces métaux, sans compter l’inévitable uranium – une richesse qui fait des ressources minières africaines le nerf de l’économie de guerre.
 

L’Afrique, continent convoité : une malédiction des matières premières ?
La complexité de l’échiquier africain des matières premières a une conséquence majeure : la montée de l’insécurité et la multiplication des conflits sur le continent. D’après la Banque Mondiale, les États disposant de minerais stratégiques, de pierres précieuses (diamants) ou d’autres ressources « pillables » tels le bois ou le cuivre, risquent quatre fois plus de faire les frais d’un conflit armé qu’un État qui en est dépourvu, chiffre qui monte jusqu’à neuf dans le cas de pays détenteurs d’hydrocarbures [3] . La rivalité pour les ressources est une lutte à mort. L’Afrique compte pour un tiers des conflits armés répertoriés sur le globe et ces conflits, dans leur majorité, ont un rapport direct avec les productions minières ou pétrolières : on parle de « guerres de l’extractivisme » [4]. En réaction, les dépenses militaires du continent africain ont augmenté de 28 % entre 2008 et 2017 [5] ; il s’opère une véritable marche forcée vers la militarisation.

Pour les puissances investies en Afrique, la présence militaire est souvent un impératif dans la sécurisation des intérêts nationaux. Ainsi, les militaires français au Niger semblent indispensables à la stabilité du pays ; ils permettent de justifier et de défendre les intérêts énergétiques du pays sur place. S’entremêlent donc des considérations politiques, économiques et militaires.

Outre les conflits armés, la prédation de matières premières ouvre la porte à un risque de long terme : l’épuisement des ressources. L’hypothèse d’une difficulté croissante d’accès aux sous-sols africains apparaît en effet de plus en plus tangible. Des pénuries des sources d’énergie et de graves problèmes environnementaux commencent déjà à voir le jour – et sont alors susceptibles, dans un cercle vicieux, de faire à leur tour monter le taux de conflictualité. Le dérèglement climatique, directement renforcé par les pratiques « extractivistes » qui découlent des rivalités entre puissances, accélère par exemple les mouvements de populations et l’apparition de réfugiés climatiques, eux-mêmes sources de tensions.

La croissance démographique africaine est supérieure à sa croissance économique globale : comment le continent peut-il parvenir à nourrir sa population ? La richesse des sols africains peut-elle être une chance ? L’exemple de la Côte d’Ivoire, parvenue à une croissance stable et durable, est porteur d’espoir. Mais la fragmentation des différents États africains, que ce soit en termes de dotations naturelles en matière première ou en termes de qualité de gouvernance, ne laisse que peu de place à une coopération qui serait pourtant nécessaire afin d’éviter les catastrophes à court terme (multiplication des conflits) comme à long terme (épuisement des stocks). La coopération « Sud-Sud », évoquée précédemment avec le cas de la Chine, semble être la porte de sortie choisie par de nombreux pays africains : elle leur permet de rompre avec le « pillage » et la présence militaire des Occidentaux et de garantir la non-ingérence comme principe indélogeable d’accords commerciaux gagnant-gagnant. Elle ne résout cependant pas l’épineuse question de la raréfaction des matières en sous-sol.

Pour trouver la voie d’une croissance inclusive, profitant à l’économie et aux populations, les pays africains devront diversifier leurs exportations, limiter la corruption et apprivoiser les appétits géopolitiques des grandes puissances. Paradoxalement, le fait que rien de tout cela ne puisse arriver sur un champ de bataille quasi permanent rappelle l’importance desdites puissances en matière de sécurité sur le continent. Le destin commun d’une Afrique divisée est donc encore aux mains de ses partenaires internationaux.


[1] L’Afrique ne représente en 2014 que 4,5 % du PIB mondial, 4 % des investissements directs internationaux et 2,2 % des exportations mondiales.
[2] L’expression « malédiction des ressources naturelles » apparaît la première fois en 1990, dans un livre de l’économiste britannique Richard Auty qui démontre que l’abondance en matières premières dédiées à l’exportation semble paradoxalement nuire à la croissance de plusieurs pays, notamment africains.
[3] Philippe Hugon, « Le rôle des ressources naturelles dans les conflits armés africains », Hérodote 2009/3.
[4] L’extractivisme désigne l’exploitation massive de ressources naturelles.
[5] Dépenses militaires, production et transfert d’armes – Compendium 2018, Rapport du GRIP, 2018/3.


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