VBCI, les leçons d'un choix technique et stratégique français



Publié par Romain Lambert le 20 Mars 2015

Héritage des nouvelles conflictualités post-guerre froide, le Véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) de Nexter Systems est emblématique des changements stratégiques opérés depuis le début des années 1990, date des débuts de sa conception. Véritable rupture technologique et tactique pour une armée de terre initialement attachée à ses chenilles, le VBCI s’est imposé auprès des opérationnels comme le cheval de bataille par excellence des conflits modernes.



(Source : Nexter Systems)
Dans l’esprit des « opérationnels » au sens large, la fin de la guerre froide ne marque pas la « Fin de l’Histoire », mais bien un tournant vers d’autres formes de conflictualité, nécessitant de repenser tactique de combat, mobilité et protection. L’idée du VBCI nait de ces considérations, en plus de la nécessité de renouveler un parc de matériels déjà vieillissant et surtout conçu pour des opérations sur le terrain européen. La guerre du Golfe enfonce le clou : l’avenir est à la projection, à la légèreté combinée à la puissance de feu et aux combats réseaux-centrés. Sans tomber dans les turpitudes technologiques de l’armée américaine, l’armée de terre française souhaite sauter le pas de la numérisation, ce qui sous-entend, au moins partiellement, un parc de véhicule modernisé. Systèmes d’informations et de communications, génération électrique, protection, architecture, emport, confort… tout est à revoir ou presque, alors le mieux est encore de partir d’une page blanche.

Mais l’armée de terre doit d’abord trancher certains débats : roues ou chenilles ? Tourelle pour un homme ou deux hommes ? Quel calibre pour quels usages ? Combien de combattants portés ? Les premiers éléments de réponse seront donnés par le contexte opérationnel : engagée dans les Balkans et en Afrique dans des opérations de maintien ou d’imposition de la paix, la France a besoin de véhicules polyvalents, bien protégés mais projetables à un coût abordable. Car l’autre partie de l’équation est financières. Les dividendes de la paix imposent aussi de rechercher les solutions les moins onéreuses, qu’il s’agisse du maintien en condition opération (MCO) ou de la capacité de projection. Or un véhicule à roues est moins cher à l’achat, à l’entretien et à l’usage, et consomme moins de carburant. Il est aussi plus simple à projeter, matériellement et politiquement parlant : le Liban comme l’Afrique ou les Balkans ont enseigné que le « coût d’affichage politique » de la chenille était bien supérieur à celui de la roue, pour un gain tactique nul, en opérations de moyenne ou basse intensité. Parce qu’il se rapproche plus du char que du camion, le véhicule chenillé est « agressif » et détériore les voies de circulation, ce qui n’aide pas à construire la paix et gagner les cœurs et les esprits. Au grand dam des thuriféraires de la chenille et des nostalgiques des grandes charges dans la trouée de Fulda, une solution roue est donc choisie. L’avenir nous apprendra que ce choix a été le plus judicieux, malgré des débuts de conception difficiles. 

Des débuts difficiles

La genèse du programme en fait initialement un programme européen, partagé entre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. But de la manœuvre : mutualiser la production pour obtenir plus de véhicules pour moins chers. Mais les volontés politiques se heurtent rapidement aux réalités nationales : chacun veut bénéficier du maximum de retombées locales au détriment de la cohérence industrielle du projet. Surtout, les trois pays ne veulent tout simplement pas la même chose. Là où la France veut un véhicule de combat pour accompagner les chars, l’Allemagne privilégie un véhicule de soutien. Le Royaume-Uni, veut, lui, en fait deux véhicules : un véhicule de reconnaissance et un véhicule de soutien simultanément. Au tournant des années 2000, les trois partenaires se séparent : l’Allemagne se lance avec les Pays-Bas dans le programme Boxer, le Royaume-Uni entame son programme Future Rapid Effect System (FRES-UV et SV), qui n’a pour l’instant débouché que sur un rétrofit partiel des FV510 Warrior.

De son côté, la France décide de confier la réalisation du futur VBCI à plusieurs acteurs majeurs du secteur. Renault Trucks Defense s’occupera de la partie mobilité et train de roulement (sur la base de son savoir-faire développé notamment avec l’inusable VAB), Thalès fournira une partie de l’optronique, et Giat Industries (devenues entre temps Nexter Systems) jouera le rôle de systémier-intégrateur, tout en concevant caisses et tourelles. Nexter Systems peut faire valoir de son côté la réalisation de l’excellent Vextra, prototype 8x8 hybride, à mi-chemin entre l’EBRC Jaguar et le VBCI, et attestant déjà d’impressionnantes capacités de franchissement. Les premières livraisons commencent en 2008, pour un total de 630 véhicules commandés par l’armée française en 2 versions : poste de commandement et combat d’infanterie.

(Source : Nexter Systems/Yves Debay)
Chaude réception

Initialement, les opérationnels de l’armée de terre étaient plutôt réservés sur le VBCI, s’interrogeant sur ses capacités de manœuvre en zone urbaine, sa hauteur, son poids, ses coûts de MCO… autant de questions qui trouvent néanmoins rapidement des réponses, puisque les premiers déploiements interviennent dès 2010 en Afghanistan . Initialement cantonné à la protection des convois sur axes, le VBCI trouve rapidement ses marques hors-pistes, en participant directement aux opérations de combat. Les incertitudes sur son emploi sont rapidement levées : sa protection, sa mobilité et ses systèmes de capteurs couplés à une puissance de feu meurtrière en font un véritable démultiplicateur de force sur le terrain. Le choix d’une propulsion à roue prouve d’ailleurs là-bas toute sa pertinence. Cela peut sembler contre-intuitif, mais le Liban comme l’Afghanistan ont démontré que les chenilles s’usaient plus vite  que les pneus (tout en étant plus chères et plus compliquées à changer). De plus, alors qu’un véhicule à chenille aurait été irrémédiablement immobilisé par une rupture de chenille, un VBCI a par exemple pu regagner seul sa FOB  avec deux roues mises en lambeaux par un IED.

Au Mali en 2013, c’est sur un autre sujet que les VBCI ont pu faire la preuve de leurs qualités. Au terme d’un raid de 2500 km , menés en moins d’une semaine, ces derniers ont pu donner la pleine mesure de l’allonge de leurs capteurs et de leur armement, avec des tirs de neutralisation au-delà de 2000 mètres. Au Mali comme en Afghanistan, la protection a permis en outre qu’aucune victime ne soit à déplorer, malgré des accrochages sévères et de nombreux coups au but de tous calibres. Alors qu’ils arpentent aujourd’hui en plus les pistes en latérite de RCA, les VBCI ont démontré depuis leur entrée en service toute l’étendue de leurs capacités : polyvalence, protection, modularité, efficacité. Dernière illustration de ses performances : il vient très récemment d’être qualifié en version 32 tonnes  (contre 29 initialement). Autre preuve que le potentiel d’évolution du véhicule n’a pas été sous-estimé : IDEX a été l’occasion d’une démonstration d’un VBCI équipé d’une tourelle CTA T40 , une tourelle sans équivalent autre que celle du BMP-3 en termes de puissance de feu.

Combat-proven de manière incontestable, le VBCI dispose de toutes les armes pour s’imposer sur un autre type de champ de bataille : les exportations. Après l’annulation par le Canada du programme CCV, le VBCI est toujours en lice aux Emirats Arabes Unis et au Danemark, où il est en cours d’évaluation par la Defence Acquisition and Logistics Organization (DALO). Dans, ces deux pays, il a surclassé la concurrence sur le plan financier mais aussi sur bien des aspects technico-opérationnels. Alors tout porte à croire que 2015 sera une année déterminante pour le VBCI.

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