Un « bateau fantôme » saisi par la France : symbole de la guerre économique en mer



Publié par La Rédaction le 2 Octobre 2025

La saisie par la France d’un pétrolier suspecté d’appartenir à la « flotte fantôme » russe illustre l’intensification de la guerre économique qui se joue désormais sur les océans. Entre droit maritime, sanctions internationales et tensions géopolitiques, cette affaire révèle les enjeux multiples liés au contrôle des flux stratégiques.



Le 28 septembre 2025, la marine française a intercepté le pétrolier Boracay, anciennement baptisé Pushpa, au large de Saint-Nazaire. Selon les autorités, ce navire battant pavillon du Bénin faisait partie de la « flotte fantôme » russe, une constellation de bâtiments utilisés pour contourner les sanctions occidentales visant les exportations d’hydrocarbures de Moscou. L’opération a conduit à l’interpellation de deux membres d’équipage, le commandant, de nationalité chinoise, et son second. Placés en garde à vue, ils ont été entendus dans le cadre d’une enquête ouverte pour défaut de justification de la nationalité du navire et refus d’obtempérer. À l’issue de cette première phase, le parquet de Brest a retenu uniquement le chef de refus d’obtempérer contre le commandant, qui sera convoqué en correctionnelle en février 2026. Son second a été remis en liberté. La gendarmerie maritime et les commandos Marine assurent encore la sécurisation du navire, preuve que le dossier reste sensible.

La notion de « flotte fantôme » désigne un ensemble de navires opérant en marge du système international. Depuis 2022 et l’invasion de l’Ukraine, la Russie a multiplié le recours à ces bâtiments, souvent vieillissants, dont la propriété et le pavillon changent fréquemment afin de masquer l’origine des cargaisons. Ces navires transportent du pétrole vers des marchés tiers, comme l’Inde ou la Chine, échappant ainsi au plafonnement des prix et aux restrictions décidées par l’Union européenne et le G7. Le Boracay illustre ce procédé. Officiellement parti du port russe de Primorsk pour rejoindre Vadinar en Inde, siège d’une importante raffinerie, il a multiplié les manœuvres suspectes et s’est montré opaque dans ses communications, justifiant l’intervention des autorités françaises.

Au plan juridique, plusieurs enjeux apparaissent. La première difficulté tient à la question du pavillon. Un navire doit justifier de sa nationalité. Or, dans ce cas, les changements d’immatriculation successifs – vers le Bénin notamment – entretiennent une confusion qui complique l’application du droit maritime international. La seconde difficulté concerne la responsabilité du commandant. En matière de navigation, c’est lui qui répond devant la justice en cas de manquement, mais prouver qu’il avait une connaissance précise d’un dispositif destiné à contourner les sanctions est autrement plus complexe. Enfin, la compétence de la France à intervenir en mer dépend de la capacité à démontrer que le navire constituait une menace ou un cas de fraude manifeste. L’audience prévue devant le tribunal de Brest constituera donc un test important.

Au-delà du droit, l’affaire est hautement géopolitique. La France envoie un signal clair à la Russie : elle est prête à contrer activement les réseaux maritimes parallèles. Elle affirme également son rôle moteur au sein de l’Union européenne dans l’application des sanctions. Pour les acteurs privés, armateurs, assureurs et négociants, le message est limpide : coopérer, même indirectement, avec des navires de la flotte fantôme peut entraîner des risques judiciaires et commerciaux considérables. Mais cette fermeté n’est pas sans contrepartie. Moscou pourrait dénoncer une violation du droit international et engager une riposte diplomatique ou économique. Des tensions avec certains partenaires tiers, notamment en Afrique et en Asie, ne sont pas à exclure si la politique européenne de saisie est perçue comme unilatérale ou intrusive.

La saisie du Boracay est donc un acte fort, autant symbolique qu’opérationnel. Elle montre que la France assume son statut de puissance maritime et qu’elle entend jouer un rôle actif dans la protection de l’espace européen face aux réseaux opaques de transport. Mais le procès du commandant sera déterminant. Une condamnation renforcerait la crédibilité de la politique européenne en mer, tandis qu’un échec judiciaire affaiblirait l’ensemble du dispositif. Quoi qu’il en soit, l’affaire marque un tournant. Elle confirme que la confrontation entre l’Europe et la Russie ne se limite plus aux terrains militaires ou financiers, mais s’étend désormais aux océans, devenus un champ de bataille stratégique de la guerre économique globale.
 


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