Transformer l’air en eau : une révolution pour les forces armées ?



Publié par La Rédaction le 17 Octobre 2025

Ces dernières années, la question de l’approvisionnement en eau potable est revenue au centre des préoccupations militaires et humanitaires. Un nouveau système capable de « récolter » l’humidité de l’air pour produire de l’eau potable attire particulièrement l’attention — et pour cause : il promet de réduire drastiquement la logistique liée à l’eau sur le terrain.



Le concept : extraire l’eau de l’air ambiant

L’idée n’est pas nouvelle : les atmospheric water generators (AWG) sont des dispositifs conçus pour extraire la vapeur d’eau contenue dans l’air ambiant, puis la condenser ou la « piéger » via des matériaux dessicants pour obtenir de l’eau potable.

L’article de Defense News du 17 octobre 2025 présente un système pouvant fournir de l’eau « en dehors des réseaux » pour les soldats, en tirant parti de l’humidité atmosphérique. Concrètement, l’enjeu est de concevoir des unités légères, mobiles, et à faible consommation d’énergie, capables de fonctionner dans des climats même arides.


Des projets à l’étude : DARPA, GE Vernova, AirJoule…

Plusieurs initiatives contemporaines montrent que cette idée est en train de devenir une réalité :

Le programme Atmospheric Water Extraction (AWE) de la DARPA (États-Unis) vise à développer des systèmes compacts, capable de fournir de l’eau potable dans des conditions extrêmes, pour les besoins militaires, humanitaires ou de stabilisation.

Le projet AIR2WATER, mené par GE Vernova en partenariat avec des universités et des entreprises, a récemment franchi une étape de validation indépendante. Le prototype utilise des matériaux sorbants avancés (notamment des metal-organic frameworks, MOF) pour capturer l’humidité avant de la régénérer en produisant de l’eau potable.

La société AirJoule Technologies a signé un accord de recherche et développement avec le laboratoire d’ingénierie de l’armée américaine pour adapter sa technologie de génération d’eau à usage militaire.

Un produit déjà décrié dans le domaine civil, le WaterCube WC-10, fait parler de lui : il permettrait d’extraire jusqu’à ~10 gallons (≈ 38 litres) d’eau par jour à partir de l’air, notamment grâce à des sources d’énergie renouvelable.

Ces projets montrent la voie vers des systèmes modulaires, hybrides et connectés, fortement pertinents pour des dispositifs déployables en situation opérationnelle.


Avantages pour les forces armées

L’adoption d’un tel dispositif pourrait apporter des bénéfices majeurs :

Réduction de la logistique
Le transport de l’eau est souvent un cauchemar logistique, coûteux en carburant, vulnérable aux attaques, et lourd à planifier. Si l’eau pouvait être « fabriquée » sur place, le cycle logistique serait radicalement simplifié.

Autonomie en zones hostiles
Dans des théâtres où les sources d’eau naturelles sont rares ou contaminées (zones désertiques, terrains hostiles, zones post-catastrophe), disposer d’un système autonome d’extraction d’eau constituerait un avantage stratégique.

Agilité et résilience
En cas de rupture de ligne de communication ou d’approvisionnement, les unités pourraient maintenir leur approvisionnement en eau sans dépendre de longues chaînes logistiques.

Applications civilo-militaires
En mission humanitaire ou de stabilisation, ces systèmes pourraient servir à fournir de l’eau aux populations, renforçant l’acceptabilité locale et l’impact social des missions militaires. Limites, défis et remarques critiques

Pour autant, plusieurs obstacles demeurent avant une adoption généralisée :

Rendement et conditions climatiques
Le rendement dépend fortement de la température, de l’humidité relative, et du cycle jour/nuit. En conditions très sèches (humidité < ~30 %), l’efficacité chute.

Besoins énergétiques
L’extraction d’eau nécessite de l’énergie — pour chauffer, refroidir, activer les matériaux sorbants. La question de la source d’énergie (solaire, batterie, carburant) est cruciale pour la viabilité sur le terrain.

Poids et taille des unités
Il faut que les dispositifs soient assez compacts et légers pour être transportables (par hélicoptère, véhicule ou homme). Le volume d’équipement ne doit pas dépasser ce que le système logistique accepte. On lit des critiques selon lesquelles le poids et la taille de certaines unités pourraient rendre leur déploiement incommode en pratique.

Maintenance, durabilité et robustesse
Dans des environnements agressifs (sable, poussière, chaleur extrême), les composants (filtres, surfaces sorbantes, systèmes de régénération) doivent résister. Des mécanismes de nettoyage, de remplacement et de robustesse sont indispensables.

Coût unitaire et coût du litre produit
Le coût de fabrication, de maintenance et de remplacement des composants (MOF, membranes, systèmes thermiques) doit rester maîtrisé pour que l’eau produite ne soit pas trop chère par rapport aux méthodes classiques (transport, purification locale…).


Un avenir prometteur — mais conditionné

L’idée de transformer l’air en eau constitue une avancée technologique fascinante, et le regroupement d’efforts entre agences militaires (DARPA), industriels (GE, AirJoule) et universités en témoigne. Le fait que le projet AIR2WATER ait passé une étape de vérification indépendante est particulièrement encourageant.

Mais ce n’est pas encore un processus mature : avant un déploiement à grande échelle, des démonstrateurs sur le terrain devront prouver la fiabilité dans des circonstances opérationnelles. Il faudra également s’assurer de l’interopérabilité avec les contraintes logistiques des forces, de la sécurité des composants (protection contre les agressions extérieures, sabotage, conditions extrêmes), et du coût global.

Pour ENDERI, le sujet est intéressant à suivre de près : dans un monde où la projection, l’agilité et la réduction des chaînes logistiques deviennent des éléments de supériorité stratégique, un système autonome de production d’eau pourrait légitimement figurer parmi les technologies « game changer » du domaine de la sûreté et de la défense.


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