Tigre HAD : mais pourquoi avoir choisi le Hellfire ?



Publié par Pierre-Marie Meunier le 7 Février 2013

Tout récemment, la DGA a délivré son certificat de type à l’hélicoptère EC-665 Tigre d’Eurocopter, filiale d’EADS, en version HAD (Hélicoptère d’Appui Destruction), ouvrant ainsi la voie à l’utilisation opérationnelle de l’appareil à court terme.



Tigre HAD et missiles AGM-114K Hellfire (source : defense.gouv.fr)
La version HAD reprend les spécificités de la version HAP (Hélicoptère Appui Protection) en termes d'emports d'armements, à savoir un canon de 30 mm (canon 30M781 sur tourelle THL 30 développé par Nexter Systems) et la capacité à utiliser des paniers de roquettes (fournis par TDA) et des missiles Mistral (missile d’auto-défense air-air courte portée produit par MBDA). A ces caractéristiques, la version HAD vient ajouter des moteurs théoriquement 10% plus puissants, une électronique embarquée modifiée, et naturellement la possibilité de tirer des missiles antichar. Du fait de la polyvalence de tous les modèles de missiles air-sol, cela revient à disposer d’une véritable capacité de frappe au sol, bien supérieure à ce que peuvent faire les seules roquettes. Toute la gamme des missiles envisagés permet de traiter aussi bien des structures que des véhicules, fixes ou mobiles. Dans ces conditions, le seul fait surprenant est le choix français de faire appel pour cette capacité à des missiles américains, à contre-courant d’un patriotisme économique pourtant très à la mode.

L’explication de ce choix est peut–être à chercher dans la vente d’hélicoptère Tigre à l’Australie en version ARH (« Hélicoptère de Reconnaissance Armé »). L’Australie commande, dès 2001, 22 exemplaires du Tigre, qui seront livrés entre 2004 et 2011. Mais les Australiens s’intéressent aux Hellfire américain pour équiper leur appareil. Dès 2005 est menée en Australie une campagne d’essais de la combinaison Tigre/Hellfire. Lockheed Martin, fabricant le missile, use de toute son influence pour permettre l’exportation de ce missile sur une plate-forme autre qu’américaine, car jusque là, le Hellfire n’équipe que les AH-64 (Israël, Grande-Bretagne, Grèce, EAU, Egypte, Koweït, Arabie Saoudite, Singapour, Taïwan), les Bell 209/AH-1 (Turquie), les S-70B SeaHawk (Turquie), et même des AC-208B/Cessna-208 (systèmes achetés par l’Irak et le Liban entre 2007 et 2009). Ce missile équipe également les drones MQ-9 Reaper et RQ-1 Predator, et est pontuellement monté sur des OH-58D Kiowa Warrior ou sur des AH-1W Super Cobra. Seule exception : la vente de Hellfire AGM-114A (appelés localement RBS-17, installés à terre sur trépieds) à la Suède et à la Norvège pour la défense côtière, au début des années 1990. En 2006 l’Australie commande 500 missiles AGM-114K Hellfire pour un montant de 25 millions de $. Ils seront livrés entre 2006 et 2009. La même année, la France en commande 250, livrés entre 2007 et 2011. La France profite de ce fait de la campagne d’essais menée en Australie, et du fait que le binôme hélicoptère/missile sera déjà opérationnel lorsque les Tigre HAD français arriveront en service. Cela permet en théorie d’éviter les coûts d’intégration d’un nouveau missile à la plateforme. De plus, l’Hellfire est un missile combat-proven.
 
Sauf qu’il y avait au moins trois autres possibilités : le PARS-3, le Spike ER et le Brimstone. Le PARS-3 (auparavant connu comme le Trigat LR / Third-Generation Anti-Tank Long Range) est vendu par PARSYS Gmbh, une JV entre l’allemand Diehl et MBDA. Le PARS-3 équipera les Tigre UHT allemands. Le Spike ER (pour Extended Range) est la version lourde de la famille Spike, conçue pour plateforme aéroportée et fabriquée par Rafael. Le Brimstone est le petit dernier de MBDA, qui a fait ses preuves en Libye. Les caractéristiques de ces missiles sont très proches : environ 50 kg chacun, 7000 mètres de portée et même efficacité terminale (double charge creuse en tandem et autres raffinements).
 
Le Hellfire est par contre différent sur un point non négligeable : les AGM-114K achetés par la France sont des missiles à guidage laser semi-actif (Semi active Laser / SAL), ce qui signifie qu’il faut désigner la cible au laser jusqu’à l’impact. En clair, ce ne sont pas des missiles de type Fire & Forget, contrairement aux autres : autodirecteur IR pour le PARS-3, guidage SAL et radar pour le Brimstone, autodirecteur dual CCD/IR pour le Spike ER (en plus de son mode de recopie vidéo vers le tireur par fibre optique).
 
La capacité Fire & Forget n’est disponible que sur les AGM-114L (L pour Longbow) avec l’ajout d’un radar à onde millimétrique. Ce missile n’est utilisable qu’avec l’Apache AH-64D Longbow, reconnaissable à son radar en tête de rotor. Le PARS-3 a deux défauts : sa relative difficulté à traiter des bâtiments, étant donné qu’ils peuvent constituent des «cibles froides», difficiles à discriminer de leur environnement, et son prix. Depuis que la France et l’Angleterre se sont retirées du programme, celui-ci a vu ses coûts explosés (l’effet des petites séries) pour atteindre quasiment 1 million d’euros l’unité, soit en moyenne 5 fois le prix d’un Hellfire (vendu entre 100 000 et 400 000 $ la pièce selon le pays). Pour un prix équivalent aux Hellfire (220 000 $ pièce), l’Espagne a de son côté opté pour le Spike ER de Rafael pour équiper ses Tigre. Du côté français on s’interroge sur les raisons du choix du Hellfire : un achat de Spike ER pour les Tigre, et un achat de Spike MR et LR pour l’infanterie et les unités anti-char (en lieu en place des Hellfire et des Javelin) aurait permis de ne disposer que d’une seule famille de missile en attendant le futur MMT de MBDA et un éventuel montage de Brimstone (estimés à 270 000 $ l’unité) sur les Tigre. Une manière de renforcer la cohérence opérationnelle (d’autant que les Spike avaient la préférence des militaires) avant de privilégier une approche industrielle européenne. Mais il faut croire que l’influence de Lockheed Martin est très forte en France, puisque certaines décisions ont été prises sans appel d’offres.
 

Les différentes plateformes du Hellfire

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