Du Brésil à la Colombie : des précédents qui ravivent les soupçons
En octobre 2024, Saab avait confirmé qu’une assignation du département américain de la Justice (DoJ) avait été adressée à sa filiale Saab North America Inc. dans le cadre de l’achat de trente-six Gripen E/F par le Brésil. Ce dossier avait déjà fait l’objet d’enquêtes brésiliennes et suédoises : un écart de 900 millions de dollars entre l’offre initiale et le contrat final avait éveillé des soupçons, au point d’impliquer l’ancien président Lula et son fils, avant que la Cour suprême brésilienne n’abandonne l’action pénale en 2022, jugeant la procédure régulière.
Aujourd’hui, un an après la requête du DoJ, Saab affirme ne pouvoir communiquer davantage pour des raisons de confidentialité. Et voilà que l’industriel suédois doit faire face à de nouvelles accusations, cette fois en Colombie, autour d’un contrat de 3,6 milliards de dollars pour l’acquisition de dix-sept Gripen E/F. Ces appareils doivent remplacer les Kfir colombiens, arrivés au terme de leur potentiel.
Le prix élevé du contrat est au cœur de la controverse. Les opposants du président Gustavo Petro estiment que le montant est disproportionné. Un élément d’autant plus sensible que, fin 2022, la Colombie envisageait l’achat de seize Rafale français, mais les négociations avaient échoué faute de solution pour un paiement différé sur cinq ans.
À l’époque, Saab s’était étonné du choix colombien en soulignant que le Gripen E/F était « 50 % moins cher ». Or, le contrat signé fixe un prix unitaire d’environ 210 millions de dollars, ce qui a immédiatement déclenché critiques et soupçons.
La Colombie demande des comptes : documents internes, arbitrages techniques et rôle des proches du pouvoir
Face à la polémique, le Bureau du contrôleur colombien a demandé la transmission de l’intégralité du dossier :
copie du contrat, documents fournis par la société ayant conseillé le ministère colombien de la Défense, justifications techniques, juridiques et économiques concernant les différentes options étudiées – dont le Rafale et le F-16.
Parallèlement, des révélations du journal suédois Expressen sur le train de vie de Verónica Alcocer, épouse du président Petro, ravivent les soupçons. Selon des sources relayées dans le pays, son séjour en Suède et ses relations avec des milieux économiques influents attirent l’attention des enquêteurs, alors que le couple serait séparé d’après le président.
Pour Camilo Enciso, ancien secrétaire à la Transparence et spécialiste anticorruption, il existe des « motifs raisonnables de croire » que des avantages indus pourraient avoir été offerts ou accordés depuis la Suède à des personnes ayant de près ou de loin une influence sur les décisions d’achat de l’État. Il précise toutefois qu’un motif raisonnable « n’est pas une preuve ».
La réponse de Saab : transparence, absence d’intermédiaires et transferts de technologie
Face à l’ampleur de la controverse, Saab a publié un long communiqué sur X pour réfuter les accusations. L’avionneur explique que le prix du Gripen inclut non seulement l’appareil, mais aussi un ensemble complet :
munitions, radar AESA, systèmes d’autodéfense, simulateurs, pièces détachées, ainsi qu’un dispositif d’entraînement. Saab rappelle également que la Colombie bénéficie d’un plan de financement sur sept ans, censé la protéger de l’inflation et des fluctuations des prix internationaux.
L’entreprise insiste ensuite sur la transparence du processus :
aucun intermédiaire, aucun tiers, négociations menées « exclusivement » entre Saab, les représentants du gouvernement colombien et sous supervision des autorités suédoises. Saab affirme appliquer une politique « tolérance zéro pour la corruption », conforme aux standards de l’OCDE.
Enfin, le groupe met en avant les engagements pris : coopération industrielle, transferts de technologie, et participation à des projets colombiens dans les énergies renouvelables et le traitement de l’eau. Une manière de rappeler que l’accord dépasse la seule fourniture d’avions.