Quels critères pour une victoire au Mali ?



Publié par Pierre-Marie Meunier le 21 Janvier 2013

La France, via son ministre de la Défense, l’a annoncé tout récemment : le conflit qu’elle mène au Mali ira jusqu’à la « reconquête totale du territoire malien ». C’est à la fois très ambitieux ou très limité selon ce que l’on veut bien entendre par « reconquête ». Il est vrai que le gouvernement et la Présidence entretiennent un certain flou sur les objectifs finaux.



(crédit : Wikimedia commons.org)

Ce flou amène à s’interroger sur ce qui définira la fin des hostilités dans le cas particulier du Mali. La première guerre du Golfe a été le dernier conflit à s’être terminé très officiellement le 28 février 1991 par la reddition d’un des camps. Cela a été possible grâce à la survivance dans le camp du vaincu d’une autorité légitime, apte à déclarer la cessation des combats. Les Américains ont cru pouvoir faire la même chose lors de la deuxième, sauf que ce n’est pas au vainqueur d’annoncer sa victoire, mais aux vaincus de reconnaitre leur défaite. Et c’est là la caractéristique de la majorité des conflits depuis 1991 : les ennemis rencontrés ne se sont jamais avoués vaincus, pas plus les milices irakiennes que les Talibans. Ils ont très vite compris le mécanisme clé des conflits insurrectionnels : tant qu’ils ne perdent pas, ils gagnent. La reddition des groupes terroristes islamistes au Mali n’est pas envisageable. Quand bien même nous parviendrions à isoler un groupe, il mourrait très probablement en martyre et un autre prendrait le relais. Neutraliser tous les combattants djihadistes n’est pas non plus un objectif atteignable, car ce type de conflit entretient malheureusement les vocations : plus nous paraissons forts et résolus, et plus nous nous créons d’ennemis. Mais ce n’est pas en étant faibles que nous nous en ferons des amis : nous leur laisserions juste suffisamment de liberté d’action pour pouvoir frapper directement chez nous. Quelle que soit l’issue des combats à venir, nos ennemis au Mali ne s’avoueront pas vaincus, et il ne sera pas possible non plus de déclarer unilatéralement la victoire. Sauf à définir clairement ce que le pouvoir politique entend par victoire.

Que signifie reconquérir le territoire malien ? Est-ce simplement chasser les islamistes des grandes villes du Nord ? Ou est ce que cela va jusqu’à la formation d’une armée malienne apte à reprendre le contrôle de la totalité de son territoire : villes, campagnes, axes de circulation, espaces désertiques ? Les ressources en temps, en hommes et en matériels ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Veut-on juste chasser les islamistes du Mali ou faire en sorte qu’ils ne puissent pas revenir ? La description de l’évolution de cette intervention va reposer sur une somme de critères, portant sur la reprise du territoire, la neutralisation du potentiel militaire des islamistes, la montée en puissance de l’armée malienne, l’implication des autres états africains, de la CEDEAO et de l’UA et même l’implication des états européens (sans compter quelques surprises comme la prise d’otages en Algérie). La stratégie française s’articule pour l’instant autour de toutes ces lignes d’opérations. L’armée française, seule ou accompagnée, va vraisemblablement mettre peu de temps à achever le volet militaire de cette intervention. D’ici quelques semaines au pire, les forces armées françaises prendront certainement pieds dans les villes de Kidal et Tessalit. Il est même possible que cela se fasse sans réel combat, car notre ennemi n’est pas idiot au point de se laisser surprendre en combat conventionnel en rase campagne. A l’instar de ce qui s’est passé en Irak, en Afghanistan ou en Libye, notre ennemi va probablement tenter de gagner des zones refuges (celles où sont nos otages par exemple), dans la profondeur de la zone Sahélienne. Le reliquat sur place va se fondre dans la population, et attendre des temps plus propices pour frapper.

La priorité de cette intervention doit être donnée au volet politique, portant sur l’assistance des pays africains dans le déploiement de troupes au sol et dans le renforcement de l’armée malienne. Certes cette armée est en piteux état, et les autorités maliennes ne brillent pas leur attachement à l’état de droit démocratique. Néanmoins l’Etat malien actuel vaut mieux que pas d’Etat du tout. Le renforcement et la formation de l’armée malienne nécessiteront certainement le maintien sur place de capacités dont l’armée malienne ne dispose pas : moyens ISR, hélicoptères de manœuvre, avions de frappes aériennes…Cette contribution matérielle sera vraisemblablement le prix à payer pour un passage en deuxième rideau des opérations militaires, qui risquent de basculer dans la basse intensité dans les mois à venir. L’armée française a pris sur elle de mener les opérations terrestres ; elle en a les moyens et la volonté. Mais on imagine très bien une opération européenne mettre en œuvre à l’avenir les moyens de soutien mentionnés ci dessus, en appui d’une opération africaine de contrôle de zone dans le Nord-Mali. Ce scénario optimiste serait en plus une victoire politique et une avancée significative sur le sujet de l’Europe de la défense.

N’en déplaise à ceux qui accusent la France de néo-colonialisme, la France s’oppose actuellement à ceux qui veulent véritablement coloniser le Mali. Elle a d’autre part tout à gagner au rétablissement d’un Mali souverain sur son territoire. Ce n’est qu’à cette condition que la France pourra se désengager, ou s’intégrer à une opération plus vaste, sur ce qui apparaitrait alors comme une victoire militaire et politique.


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