Parler du terrorisme



Publié par Jean-Baptiste Noé le 21 Février 2022

Loin de se limiter aux attentats, le terrorisme est un « objet scientifique à part entière ». Nouvel ouvrage de la collection TerrorismeS, « Le complexe terroriste » (VA Éditions) nous dévoile toute la complexité des éléments gravitant autour de l’acte terroriste. Sous la direction de Daniel Dory (géographe et Maitre de conférences) et Jean-Baptiste Noé (Docteur en histoire économique et rédacteur en chef de Conflits), un collectif de douze auteurs et spécialistes s’est réuni pour analyser le fait terroriste. Dans l’extrait présenté (pages 125-126), Jean-Baptiste Noé nous parle de la pertinence des mots principalement lors du traitement médiatique des attentats.



Toujours le sens des mots

L’étude du terrorisme est probablement l’un des domaines où le sens des mots est le plus piégé, où les mots utilisés par le langage commun et médiatique empêchent de penser en camouflant les faits et en modifiant la réalité. Parler d’une « attaque au couteau » ou d’une « voiture folle », donne à penser que ce sont ces objets qui attaquent, effaçant la personne qui en fait usage pour commettre son méfait. Parler des « jeunes », des « radicalisés », voire des « déséquilibrés », renvoie dans le domaine de l’ailleurs ou de la psychiatrie un phénomène qui est toujours politique. Dire que telle personne a été « poignardée » quand elle a été égorgée est une autre façon de dire tout en travestissant et cachant le réel. Nommer en somme, mais pour détourner le regard et ne pas faire usage des mots justes et vrais, tout en donnant l’illusion que l’on parle bien de ce qui se produit. Un mot véhiculant une pensée et une idée, faire usage d’un mot pour un autre est une façon d’empêcher de penser. Voici comment les couteaux effilés de la pensée meurent dans le sable d’un monde mal nommé.

Peut-on encore penser le terrorisme, au-delà des émotions et du sentimentalisme, au-delà des interdits ? Le travail d’un chercheur est de mettre le pathos aussi loin que possible du sujet pour ne garder que la raison sobre et simple. Or le terroriste au contraire vise à la publicité, à l’image forte, à la surréaction violente et passionnée. On comprend que pour ceux qui ont perdu un être cher dans un attentat il est douloureux d’entendre que le terrorisme tue peu ; que pour ceux qui sont blessés à vie, physiquement ou psychologiquement, par une voiture piégée il est difficile d’admettre que ce n’était qu’un acte isolé. La mémoire et le ressenti sont assez souvent éloignés de l’histoire. Aujourd’hui, le traitement du terrorisme évoque presque exclusivement le terrorisme islamiste, faisant comme si le terrorisme était chose nouvelle et sans précédent, oubliant l’usage du terrorisme par l’extrême gauche dans les années 1960-1970, notamment en Allemagne et en Italie, ou par les régionalismes politiques, comme les Bretons, les Basques et les Corses. Les États eux-mêmes ne savent pas comment répondre aux terroristes, oscillant entre mesures de police et mesures militaires. Mal nommer, il est vrai, empêche de bien agir.

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