Moscou : les traducteurs au cœur de la rencontre Poutine–Witkoff



Publié par Paul-Gabriel LANTZ le 5 Décembre 2025

Le 2 décembre 2025, lors de la présentation au Kremlin d’un nouveau plan de paix américain pour l’Ukraine, l’attention ne s’est pas seulement portée sur Steve Witkoff et Jared Kushner mais également sur les deux traducteurs, une interprète américaine soigneusement sélectionnée et un linguiste russe aguerri, responsable du contrôle du sens dans une négociation ultra-sensible. Les images publiées par TASS ont permis d’identifier précisément les deux profils.



Une interprète américaine choisie avec prudence

Kremlin - Moscou. Wikimédia Commons
La délégation américaine a cette fois confié la traduction à Tatyana Albert, collaboratrice du Département d’État depuis 2017. En avril dernier, Witkoff avait été accompagné par une interprète du ministère russe des Affaires étrangères, ce qui avait provoqué un vif scandale à Washington. Née et formée à Leningrad, docteure en langues étrangères en 1991, Albert s’est installée aux États-Unis où elle a complété un MBA à Liberty University. Elle travaille comme traductrice depuis 1997 et dirige TEA Associates depuis 2009, un cabinet de conseil environnemental basé en Virginie.
Elle figure également parmi les signataires de la lettre ouverte de traducteurs condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, initiative lancée en février 2022 par la traductrice américaine Anne O. Fisher. Selon l’analyse du média Agenstvo, elle accompagnait déjà Witkoff lors de son précédent déplacement à Moscou en août. Sa présence illustre la volonté américaine de garantir un canal linguistique totalement indépendant de Moscou.

 

Un interprète russe habitué aux sommets présidentiels

En face, Vladimir Poutine s’appuie sur Alexeï Sadykov, l’un des interprètes les plus chevronnés du ministère russe des Affaires étrangères. Senior adviser au département de soutien linguistique, Sadykov intervient régulièrement lors des rencontres internationales du président. Il avait notamment traduit lors de la rencontre Poutine –Trump en Alaska. Formé à l’université d’état Maurice Thorez puis à l’Institut des sciences humaines et appliquées, il est aussi maître de conférences à l’Université de sciences financières du gouvernement russe.
Dans un entretien accordé à l’émission « Moscou. Kremlin. Poutine », Sadykov expliquait que le président russe surveille de très près la précision des traductions, un point essentiel pour éviter toute distorsion des messages dans un contexte diplomatique tendu.

 

Une dimension stratégique majeure dans une négociation fragile

Salle de négociation au Kremlin - Wikimédia Commons
Le choix des traducteurs n’a rien d’un détail protocolaire. Comme le rappelait l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul, un interprète propre à chaque camp garantit aux négociateurs un compte rendu fidèle, un accès complet aux nuances, et limite les risques de déperdition d’informations entre les membres d’une même équipe.
À l’inverse, dépendre d’un interprète adversaire prive d’un accès direct aux apartés et aux signaux faibles, un enjeu crucial dans un échange où les positions américaines et russes restent profondément divergentes malgré la mise en scène d’un « plan de paix ». 

La rencontre Poutine – Witkoff a montré que, dans une négociation aussi exposée, les traducteurs deviennent des acteurs stratégiques à part entière. En confiant la traduction à une interprète indépendante, formée en Russie mais engagée contre la guerre, Washington envoie un signal clair : maîtriser chaque mot pour ne plus laisser Moscou piloter le récit de la discussion.

 

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