Les forces conventionnelles américaines à l’épreuve de la guerre irrégulière : mutation profonde ou mirage bureaucratique ?



Publié par La Rédaction le 13 Novembre 2025

Le Pentagone vient de formaliser l’engagement des forces conventionnelles dans la guerre irrégulière, une bascule qui pourrait redéfinir le rôle de l’armée américaine dans la « zone grise ». Mais derrière la signature d’une directive se cachent d’inévitables doutes : s’agit-il d’un virage stratégique majeur ou d’une promesse sans lendemain ?



Une directive historique mais encadrée

Image Pixabay
Fin septembre, le sous-secrétaire à la politique du Pentagone, Elbridge Colby, a approuvé une instruction actualisée du DoD précisant que la guerre irrégulière (Irregular Warfare, IW) « est une activité de forces interarmes conduite par les forces conventionnelles et les forces des opérations spéciales ». Ce document marque une volonté explicite de sortir l’IW de la sphère exclusivement des forces spéciales et d’en faire une compétence transversale.

L’enjeu est majeur : l’IW englobe les opérations asymétriques, non attribuables ou indirectes, menées par des acteurs étatiques ou non-étatiques pour influencer ou contraindre des adversaires sans recours à la guerre conventionnelle. Parmi les arguments avancés, celui du président du département Défense & Sécurité de Center for Strategic and International Studies, Seth Jones : « Pour qu’elle soit efficace, l’IW doit être bien plus qu’une activité des opérations spéciales ».

L’évolution apparaît donc comme un ajustement à un contexte global où la concurrence stratégique règne, dans lequel les forces régulières sont incitées à pénétrer la « zone grise » entre paix et guerre.

Néanmoins, cette directive reste, en soi, un document interne dont l’impact dépendra de sa traduction en doctrine, ressources, culture et promotion professionnelle au sein des armées.

Des attestations d’intentions… mais un vrai changement reste à prouver

Malgré la portée symbolique de la directive, plusieurs obstacles persistent. D’abord, l’IW n’est pas encore pleinement intégrée dans les priorités visibles des services conventionnels, chacun restant attaché à ses missions traditionnelles et à la guerre classique. Le généralisation de la culture IW aux forces régulières, qui sont hiérarchisées et conventionnelles par nature, se heurte à une logique antinomique, l’IW étant, par essence, ir­ré­gu­lière.

Ensuite, le modèle incitatif reste peu performant : il n’existe pas de barrière claire à la promotion ou à la reconnaissance pour ceux qui pratiquent l’IW dans les forces conventionnelles. « Combien de généraux ont été promus pour leur compétence en guerre irrégulière ? Je n’en vois aucun », souligne un ancien officiel.

Enfin, la vraie mise en œuvre dépend du rôle que l’IW va occuper dans des documents stratégiques de haut niveau et de sa traduction dans les doctrines de services et les budgets. Or, aucun jalon officiel n’a encore été publié en ce sens.

En somme, la directive marque un tournant stratégique potentiel, mais sa crédibilité dépendra de sa capacité à devenir un pilier réel des forces conventionnelles, et non pas une note administrative isolée.

La formalisation de l’IW pour les forces conventionnelles pourrait être, pour l’armée américaine, le signe d’une nouvelle ère de confrontation à bas seuil, mais la question demeure : cette directive se transformera-t-elle en transformation systémique ou restera-t-elle une seule note dans la feuille de route expansive de la puissance américaine ?

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