Les avions américains planent sur l'Europe



Publié par Solaine Legault le 15 Novembre 2017

Début novembre, Marillyn Hudson, la présidente de Lockheed Martin, déclarait à Reuters que la compagnie américaine était sur le point de vendre à l'Allemagne ses controversés F-35. Pourtant en Juillet 2017 Berlin et Paris affirmaient leur volonté de développer un système de combat aérien européen. L'Allemagne s'est-elle laissé séduire par les Etats-Unis ?



Le 8 novembre 2017, un officier de l'aviation allemande déclarait que le F-35 américain est leur « choix préféré » pour remplacer leurs Panavia Tornado. Moins de six mois plus tôt, Angela Merkel rencontrait à Paris Emmanuel Macron et tenait avec lui un conseil franco-allemand de défense et de sécurité. A cette occasion les deux chefs d’État avaient pourtant convenu de développer un système de combat aérien européen. Le Président français déclarait même lors de la conférence de presse : « Notre souhait, c'est en effet de pouvoir avoir une nouvelle génération d'avions de combat communs. » Mais depuis, c'est le F-35 qui semble retenir les faveurs de l'armée de l'air allemande.

 

Le F-35 a déjà fait couler beaucoup d'encre depuis le lancement de son programme en 1996. Donald Trump avait même critiqué ce programme dans un tweet de Décembre 2016 en disant que son coût était « hors de contrôle. » En dépit d’années de retard et de milliards de dollars de dépassement de budget, le F-35 a déjà séduit onze pays, dont cinq européens. Le général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'Air française s'en inquiétait, prophétique, devant l'Assemblée nationale le 19 juillet 2017, déclarant : « Le F-35 va constituer rapidement un standard de référence dans les armées de l'air mondiales, pas uniquement aux États-Unis mais aussi chez nos principaux partenaires. Que l'on soit surclassé par les États-Unis n'est pas surprenant, que l'on commence à l'être par des partenaires équivalents est une autre affaire. » Le revirement de l’Allemagne semble lui donner raison.

 

Coup dur pour l'industrie européenne ? Pas vraiment, affirme le lieutenant-général Karl Muellner, commandant en chef des forces aériennes allemandes. En effet le programme de développement franco-allemand est « un projet à beaucoup plus long terme qui vise à remplacer l'Eurofighter à partir de 2045 » a-t-il précisé , tandis que les F-35 américains remplaceraient les Tornado de la Luftwaffe d'ici 2025. Les deux questions seraient donc disjointes officiellement.

 

Quoi qu'il en soit, d'autres facteurs, notamment économiques, sont certainement en jeux alors que les États-Unis ont le déficit commercial le plus important du monde. Ce contrat que serait sur le point d'emporter Lockheed Martin entre certainement dans une volonté des États-Unis de rééquilibrer la balance commerciale avec l'Allemagne, pays qui arrive à la troisième place de ceux avec lesquels les Etats-Unis ont le déficit commercial le plus déficitaire (après la Chine et le Japon). Dans un autre de ces fameux tweet le président américain fustigeait en effet l'Allemagne déclarant « Nous avons un énorme déficit commercial avec l'Allemagne […] cela va changer. »

 

On peut toutefois partager l'inquiétude du général Lanata de voir les principaux partenaires européens de la France préférer se doter d'avions américains alors que le projet franco-allemand n'a pas encore été officiellement lancé. Peut-être faut-il aussi voir derrière cette « capitulation » allemande une stratégie de riposte face au volontarisme renouvelé de la France sur la question d’une Europe de la Défense. Compte tenu du retrait programmé de la Grande-Bretagne de la scène européenne, la France est en effet en bonne position pour prendre le leadership de la défense européenne. Il est tout à fait possible que l’Allemagne, locomotive économique de l’Europe, ait voulu se rappeler au bon souvenir de la France sur cette question, en fragilisant d’emblée un projet qui laisse trop peu de place à l’Allemagne à son goût.


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